Archives de catégorie : Quatrain

Décrit la formule de rime des quatrains.

Nous avons vu la liberté — 1944 (6)

Jean Tardieu in Margeries (1986)

Sur les bords de la Seine

Nous avons vu la liberté
Sous des couleurs sans consistance:
Elle prend une autre existence
Au fond de nos cœurs déchirés!

Tout ce qui fut la Connaissance
Dans nos veines est bien resté
Et remonte à la conscience
Comme le cri de la clarté.

Je vois la Seine qui s’allonge
Et déroule autour de nos songes
Ses arbres d’or et ses palais.

Que nos regards trop lourds s’y posent
Pour trouver la lumière éclose
Aux feux d’un immortel reflet.

Q17 – T15 – octo

La plaie que depuis le temps des cerises, — 1944 (5)

Jean Cassou (Jean Noir) – 33 sonnets composés au secret

XXIII

La plaie que depuis le temps des cerises,
je garde en mon cœur s’ouvre chaque jour.
En vain les lilas, le soleil, les brises,
viennent caresser les murs des faubourgs.

Pays des toits bleus et des chansons grises,
qui saigne sans cesse en robe d’amour,
explique pourquoi ma vie s’est éprise
du sanglot rouillé de tes vieilles cours.

Aux fées rencontrées le long du chemin
je vais racontant Fantine et Cosette.
L’arbre de l’école, à son tour, répète

Une belle histoire où l’on dit: demain…
Ah! jaillisse enfin le matin de fête
où sur les fusils s’abattront les poings!

Q8 – T28  tara

En tous pays, depuis toujours, les ouvriers — 1944 (4)

Jean Cassou (Jean Noir) – 33 sonnets composés au secret

XXII

En tous pays, depuis toujours, les ouvriers
meurent. Le sang des ouvriers baigne les rues.
Les ouvriers crient et tombent dans la fumée.
Le feu, le froid, la faim, le fer et la roue tuent

les ouvriers. En tous pays de pierres nues,
d’arbres pourris, de grilles d’hospices rouillées,
depuis toujours, par la misère des journées,
le troupeau des journées saignées et abattues …

O Dieu de justice, qui régnez, non aux Cieux,
mais dans le cœur de l’homme, au cœur de sa colère,
ne vous répandrez-vous donc jamais sur la terre?

Seigneur des forts et de la force, ouvre les yeux!
les bouches sont muettes, les poings sont liés,
et la chaîne est très longue. Mais les ouvriers?

Q10 – T30

Ame sainte, la Charité, — 1944 (3)

Jean Cassou (Jean Noir) – 33 sonnets composés au secret

XXI

Tombeau d’Antonio Machado

Ame sainte, la Charité,
guidant les saintes de la nuit,
abonde au lieu déshonoré
que la torche en vain purifie.

Elles vont délivrer les cendres
d’un pays qui n’est plus que sable
et, vol d’oiseaux clairs, les répandre
à travers un ciel respirable.

Là tu retrouveras l’odeur
de tes profonds étés en plomb.
Il ne restera plus jamais

qu’une urne brisée de colère,
à Collioure, au pied des pierres
où pourrirent les prisonniers.

Q59 – xyd eed octo

Il n’y avait que des troncs déchirés, — 1944 (2)

Jean Cassou (Jean Noir) – 33 sonnets composés au secret

VIII

Il n’y avait que des troncs déchirés,
que couronnaient des vols de corbeaux ivres,
et le château était couleur de givre,
ce soir de fer où je m’y présentai.

Je n’avais plus avec moi ni mes livres,
ni ma compagne, l’âme, et ses péchés,
ni cette enfant qui tant rêvait de vivre,
quand je l’avais sur terre rencontrée.

Les murs étaient blanchis au lait de sphynge
et les dalles rougies au sang d’Orphée.
Des mains sans grâce avaient tendu des linges

aux fenêtre borgnes comme des fées.
La scène était prête pour des acteurs
fous et cruels à force de bonheur.

Q17 – T23 – déca

Les poètes, un jour, reviendront sur la terre. — 1944 (1)

Jean Cassou (Jean Noir) – 33 sonnets composés au secret

 » Dès la première nuit j’ai commencé mes sonnets. Couché sur ma paillasse, avec mon pardessus, mon cache-nez, mes gants, mes souliers, je me suis senti comme un bloc passif, la momie, l’Osiris qu’on envoie dans la nuit. (…) Je dormais très peu à cause du froid : je m’occupais donc à mes exercices poétiques, me récitant par cœur les sonnets déjà composés, les corrigeant, les complétant. J’ai ainsi écrit sur la page blanche intérieure à peu près un demi-sonnet par nuit.  »

V

Les poètes, un jour, reviendront sur la terre.
Ils reverront le lac et la grotte enchantée,
les jeux d’enfant dans les bocages de Cythère,
le vallon des aveux, la maison des péchés

et toutes les années perdues dans la pensée,
les sœurs plaintives et les femmes étrangères,
le bonheur féerique et la douce fierté
qui posait des baisers à leur front solitaire.

Et ils reconnaîtront, sous des masques de folles,
à travers Carnaval, dansant la farandole,
leurs plus beaux vers enfin délivrés du sanglot

qui les fit naître. Alors, satisfaits, dans le soir,
ils s’en retourneront en bénissant la gloire,
l’amour perpétuel, le vent, le sang, les flots.

Q11 – T15

Le jour est à sa place et coule à fond de temps, — 1943 (7)

Robert DesnosEtat de veille

Saisons

Le jour est à sa place et coule à fond de temps,
A moins que l’être monte à travers des espaces
Superposés dans la mémoire et délestant
La cervelle et le cœur de souvenirs tenaces.

Etés, puissants étés, votre nom même passe,
Etre et avoir été, passe-temps et printemps,
Il passe, il est passé comme une eau jamais lasse,
Sans cicatrices, sans témoins et sans étangs.

Saisons, vous chérissez du moins le grain de blé
Qui doit germer aux jours de dégels et la clé
Pour ouvrir au départ les portes charretières.

Les astres dans le ciel par vous sont rassemblés,
L’an va bientôt finir et des pas accablés
Traînent sur les chemins ramenant aux frontières.

Q11 – T15

Arrête-toi! Je suis ici, mais tant de nuit — 1943 (6)

Robert DesnosEtat de veille

Fantôme

Arrête-toi! Je suis ici, mais tant de nuit
Nous sépare qu’en vain tu fatigues ta vue:
Tu te tais, car l’espace, où se dissout la rue,
Nous-même nous dissout et nous saoule de bruit.

C’est l’heure où panaché de fumée et de suie,
Le toit comme une plage offre au fantôme nu
Son ardoise où mirer le visage inconnu
De son double vivant dans un miroir de pluie.

Fantôme, laisse-nous rire de ta sottise,
Tu habites les bois, les châteaux, les églises
Mais tu es le valet de tout homme vivant.

Aussi n’as-tu jamais fait de mal à ces êtres,
Tant, s’ils ouvraient un soir la porte et les fenêtres,
Tu dissoudrais la nuit dans le bruit et le vent.

Q63 (a’=a*; b’=*) – T15   Les rimes du premier quatrain sont masculines; féminines celles du second.

Si tu veux, ouvrons la porte — 1943 (5)

Vincent Muselli Plusieurs sonnets

Si tu veux

Si tu veux, ouvrons la porte
Qui mène au jardin secret:
Laisse-toi prendre à ce ret,
O Toi, si frêle et si forte!

Amie, et faisons de sorte,
Par un amoureux apprêt,
Que je tienne, indiscret,
En cet émoi d’être morte

Elyséen, mais si bref!
Ah, n’en demeure grief
En ta chair jeune et fleurie,

Mais qu’un désir ingénu,
Charmante, y persiste et rie
A tel beau dieu reconnu!

Q15  –  T14 – 7s

Gaspiller sa pensée en un dévergondage — 1943 (4)

Fernand Baldensperger, trad. Les sonnets de Shakespeare, traduits en vers français ..

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Gaspiller sa pensée en un dévergondage
Est impudique: avant l’acte, la volupté
Est parjure et cruelle, âpre et sans loyauté,
Funeste, extrême, rude et menteuse et sauvage.

Plaisir des sens, maudit, dès qu’expérimenté;
Déraison poursuivie, et qui, sitôt l’usage,
Est déraison haïe: ainsi, sur son passage,
Serait l’appât rendant un chasseur hébété.

Hébété dans la chasse et dans la réussite;
Passé, Présent, Futur surexcitant l’ardeur;
Un bonheur devant soi, mais derrière, un malheur;

Avant, une âpre joie; un mauvais rêve, ensuite ….
Le Monde sait cela – mais nul n’est bien expert
A l’éviter, l’Eden qui mène à cet Enfer.

Q16 – T30 – disp: 4+4+4+2 – tr