Archives de catégorie : Quatrain

Décrit la formule de rime des quatrains.

Je suis comme le riche, à qui sa clef suffit — 1943 (3)

Fernand Baldensperger, trad. Les sonnets de Shakespeare, traduits en vers français ..

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Je suis comme le riche, à qui sa clef suffit
Pour jouir des trésors d’un cher coffre d’avare:
Il ne veut pas les voir à tout coup, jour et nuit,
De peur que ne s’émousse une volupté rare.

Les fêtes sont aussi des raretés qu’on mit
De place en place dans un Almanach bizarre
Comme pierres de choix en montures de prix,
Ou joyaux isolés dont un collier se pare.

Le Temps est le coffret qui vous tient enfermé,
L’armoire où sagement se peut céler la robe,
Pour qu’au moment voulu l’éclat qui se dérobe
Puisse avoir l’imprévu de l’inaccoutumé.

Béni soyez, Valeur qui m’offrez double chance,
Etre vôtre – un triomphe; attendre – l’espérance!

Q8 – T30 – disp: 4+4+4+2 -tr

Des êtres les plus beaux nous souhaitons lignée, — 1943 (2)

Fernand Baldensperger, trad. Les sonnets de Shakespeare, traduits en vers français ..

… « ma traduction laisse subsister (la) disposition anglaise, mais elle maintient les groupes de rimes, qui dans l’autre système, donnent leur caractère aux deux premiers quatrains »

I

Des êtres les plus beaux nous souhaitons lignée,
Que Rose de Beauté ne disparaîtra pas,
Et, si la plus ouverte est vouée au trépas,
Qu’un tendre rejeton soit sa suite assignée.

Toi qui, dans tes yeux vifs concentrant tant d’appâts,
Nourris de ta substance une lumière ignée,
Tu réduis à la gêne une abondance innée –
Ennemi de toi-même et de ton propre cas!

Si bien que désormais, frais ornement du Monde,
Toi l’unique Héraut d’un Printemps généreux,
Tu renfermes ton être en un bourgeon frileux,
Et répands, tendre ami, ta lésine à la ronde.

Pitié pour l’Univers! ou bien, gloutonnement,
Absorbe l’Univers et toi, rien qu’en mourant.

Q16 – T30 – disp: 4+4+4+2 – tr

Je goûte, à ton fil de lait, — 1943 (1)

Audiberti Toujours

Ruth

Je goûte, à ton fil de lait,
tes creuses raisons, drôlesse
Laissant ce qui ne me laisse,
Je te choisis. Le fallait.

Mon soleil vit sous les feuilles
Des penseurs que je perdis.
Va-t-il se dissoudre, dis,
dans le golfe où tu m’accueilles?

Si c’est toi, beauté, ce soir
la porte du péché noir
qu’elle s’ouvre, et que je passe …

-Non! non! je ne veux, je ne
veux pas maintenant, limace!
toucher la face de Dieu.

Q63 – T14 – 7s

Onze nombre impair. La rétention du temps — 1942 (4)

Raymond Queneau – in Si tu t’imagines – les Ziaux IV – daté 1942

Bout de l’an

Onze nombre impair. La rétention du temps
Décembre devant nous achève un cortège
Assez loin de mille et un peu plus de cent
La boue et la pluie et pas encor la neige

De l’achèvement toujours à la limite
L’arbre attend son fruit et la lave son roc
La faux se détourne du nid de termites
L’étoile court après le chant niais du coq

Tous vont arriver. L’aube belle charogne
Epluche l’univers rejette la nuit
La sotte volaille s’égosille et luit

La graine éclate et se met à la besogne
L’année accouche de son alexandrin

Le sonnet s’arrête au numéro quatorze

Q59 – cddcxy 11s

Blum avait soutenu les rouges de l’Espagne, — 1941 (1)

Emile Bussière A la gloire du Maréchal : les grands noms de l’épopée française. Sonnets sur Roland, Jeanne d’Arc, Napoléon, Pétain

Le maréchal Pétain
L’ambassadeur

Blum avait soutenu les rouges de l’Espagne,
Et livré, conscient d’un criminel effort,
Nos armes, nos canons, pour les œuvres de mort,
D’effroyables bandits relâchés par le bagne.

Dans une foudroyante et savante campagne,
Le général Franco s’affirmant le plus fort,
Réduisit, sans pitié pour leur malheureux sort,
Les assassins traqués jusque dans leurs montagnes.

Depuis, le Maréchal dût, comme ambassadeur,
Pour réparer nos torts, plaider avec ardeur,
D’Irun à Malaga, de l’Ebre jusqu’au Tage

Partout on lui tendit une loyale main,
Mais il ne devait pas achever son voyage,
Car Dieu l’avait marqué pour un plus haut destin.

Q15  T14 – banv

On ne peut plus douter de mon cœur, capitaine — 1940 (2)

Olivier LarrondeL’ivraie en ordre (ed. 2002)


Juvenilia

On ne peut plus douter de mon cœur, capitaine
J’ai des mains plein ma poche et je les distribue.
Ta mèche de fer m’égratigne, j’aurais peine
A rhabiller de soie la mamelle où j’ai bu.

Il faudrait tout vous dire, oublier qui vous mène
Et si des mains coupées vous ont les bras tenus.
Un pirate déguise une peau de panthère
Ce pelage d’infante un autre dissimule.

Tes pieds gelés déforment  mon image, bouge,
Enlève ton sourire: il me coupe la bouche.
La bouteille vidée tend sa lèvre à la mer.

Une étoile vous brûle et vous perdez la tête
L’étoile qui vous brûle est une cigarette
(Vous devez regarder mon sonnet de travers).

Q8 – T15 – disp: 8+3+3

Hilversum Kalundborg Brno l’univers crache — 1940 (1)

Aragon Le Crève-Coeur


Petite suite sans fil

Hilversum Kalundborg Brno l’univers crache
Des parasites dans Mozart du lundi au
Dimanche l’idiot speaker me dédie ô
Silence l’insultant pot pourri qu’il rabâche

Mais Jupiter tonnant amoureux d’une vache
Princesse avait laissé pourtant en rade Io
Qui tous les soirs écoutera la radio
Pleine des poux bruyants de l’époux qui se cache

Comme elle – c’est la guerre – écoutant cette voix
Les hommes restent là stupides et caressent
Toulouse PTT Daventry Bucarest

Et leur espoir le bon vieil espoir d’autrefois
Interroge l’éther qui lui donne pour reste
Les petites pilules Carter pour le foie

Q15 – T28

Quand vous serez bien vieux, avec encor des dents — 1939 (1)

Raoul Ponchon in  Marcel Coulon: toute la poésie de Ponchon

Sonnet à Chevreul

Quand vous serez bien vieux, avec encor des dents
Plein la bouche, et déjà dorloté par l’Histoire,
Direz, si ces vers-ci meublent votre mémoire
Un tel me célébrait lorsque j’avais cent ans.

Lors, vous n’aurez aucun de vos petits-enfants
Qui n’ait soif à ce nom et ne demande à boire,
Répétant à l’envi votre immortelle gloire
Et le nombre fameux de vos jours triomphants.

Pour moi, je serai mort depuis belle lurette
Mais je refleurirai dans quelque pâquerette
Vous, vous aurez toujours la même horreur du vin.

Ah ! si vous m’en croyez, ô vieillard sobre et digne,
Ainsi que tout le monde éteignez-vous demain
Mais cueillez aujourd’hui les roses de la Vigne.

(1886)

Q15 – T14 – banv

L’assesseur ne doit pas rédiger son courrier, — 1938 (7)

Pierre Malicet Les sonnets du juge

L’assesseur

L’assesseur ne doit pas rédiger son courrier,
Faire le manucure au cours de l’audience,
Ni bavarder trop fort, mais sauver l’apparence,
Et d’un sommeil bruyant n’être pas coutumier.

Cet auditeur passif n’est qu’un pur chancelier
Disent les ignorants avec quelque impudence.
Ils ne veulent pas voir que la jurisprudence
Est l’oeuvre de ces gens au bon vouloir entier

Qui subissent sans fin, pénitence invisible,
Les assauts des bavards dont ils forment la cible,
Et sans pouvoir bouger de leur vaste fauteuil,

Supportent un bon vieux qui préside à sa mode,
Trop lentement parfois, c’est là le grand écueil,
Alors qu’ils ont, eux seuls, la meilleure méthode.

Q15  T14 – banv