Archives de catégorie : Q08 – abab abab

Dans des gouffres nimbés d’auréoles rosâtres, — 1894 (17)

Revue de l’Est

Deux maîtresses en une

Dans des gouffres nimbés d’auréoles rosâtres,
Où transparaît l’horreur d’un enténèbrement,
Je trace tes contours sur les célestes plâtres
Qui tapissent le bleu morne du firmament !

Sur la palette d’or des lunes idolâtres,
J’étale la couleur de ton rose piquant,
Et le halo des nuits vient ceindre tes albâtres
De ton flanc callipyge, où clame mon tourment !

Alors tu te fais chair, chair de jeune maitresse,
Des hurlantes amours recélant la caresse,
Dans l’ondulation d’un frêle corps d’enfant!

Tes reins ont des serpents les plis noueux et lisses,
Tes yeux ont les éclairs de leurs yeux, et tes cuisses
L’élastique rondeur des trompes d’éléphant !

(Louis Baboulet)

Q8  T15

Le vélin crie et rit et grimace, livide. — 1894 (10)

Alfred JarryMinutes de sable mémorial
Les trois meubles du mage surannés

II
Végétal

Le vélin crie et rit et grimace, livide.
Les signes sont dansants et fous. Les uns, flambeaux,
Pétillent radieux dans une page vide.
D’autres en rangs pressés, acrobates corbeaux,

Dans la neige épandue ouvrent leur bec avide.
Le livre est un grand arbre émergeant des tombeaux.
Et ses feuilles, ainsi que d’un sac qui se vide,
Volent au vent vorace et partent en lambeaux.

Et son tronc est humain comme la mandragore;
Ses fruits vivants sont des fèves de Pythagore;
Ses feuillets verdoyants lui poussent en avant.

Et les prédictions d’or qu’il emmagazine,
Seul peut les lire sans péril le nécromant,
La nuit, à la lueur des torches de résine.

Q8 – T14

Un soir d’automne en Normandie, — 1894 (3)

Fernand Halley Soirées d’automne

Amour et Patrie, sonnet patriotique

Un soir d’automne en Normandie,
Je vis au détour d’un chemin,
Une enfant, la mine hardie,
Qui me tendait sa blanche main.

Elle chantait la mélodie
Si chère aux Français, c’est certain;
L’hymne sacré de la patrie,
Et j’accompagnai le refrain.

Puis tout à coup, faisant silence:
 » Si tu le veux, beau troubadour,
Je te chanterai, me dit-elle,

Avec l’Espérance, l’Amour! »
« Oh! non, non! lui dis-je, ma belle.
Chante, chante encor pour la France! »

Q8 – T39  octo

L’air noble, le taint mat d’une Jéorjiaine, — 1894 (2)

Lord-Orangis (= Gabriel Marfond) Aifemaire Amour – Sonnets écrits d’après une orthographe nouvelle –

Le portrait

L’air noble, le taint mat d’une Jéorjiaine,
De longs cheveus de jais tombans jusqu’aus jenous;
Le sémillant aisprit d’une pariziaine,
Sous de longs cils trais noirs des jolis yeus trais dous;

Un nom beau comme un chant de harpe aioliaine,
Ou come les refrains des pâtres andalous:
Voila ce quy vous vaut, belle muziciaine,
De tant de coeurs aipris tant d’homajes jalous!

D’autres peuvent avoir le ton chaud de l’oranje,
Des rôses sur leur lys, ou, sous la fine franje
De leurs cils capiteus, un euil noir plus ardant.

Mais, je puis l’avouer, sans forcer la louanje,
Je ne conus jamais, avant vous ô mon anje
D’atraits aucy divers un tout aucy charmant.

Q8 – T6

Des pas menus et trottinants d’insecte, — 1893 (9)

Albert Aurier Oeuvres posthumes

Portrait

Des pas menus et trottinants d’insecte,
Un grand oeil noir toujours comme en maraude,
Une démarche alerte et circonspecte,
Toute petite, en robe d’émeraude

Elle trottine, elle flane, elle inspecte,
Avec des airs de carabe qui rôde,
Ou bien parfois, s’arrête et se délecte
Au grand soleil ardent qui la taraude.

Le satin vient du Japon, qui brillotte,
Semble une élytre, et, toujours brinqueballe
Comme une antenne, à sa toque embarbée,

Un plumasseau mince qui se trémousse …
Est-elle femme? Est-elle scarabée?
On aimerait l’aimer parmi les mousses.

Q8 – xyd ede – déca – brilloter : (H.N.) briller un peu

Dieu mit sur votre front la fierté d’une reine ; — 1991 (33)

Louis Capillery in L’année des poètes

Sans cœur

Dieu mit sur votre front la fierté d’une reine ;
Puis, prenant deux saphirs sur son royal bandeau,
Lui-même, il cisela vos grands yeux de sirène,
Brillants, comme au soleil brillent deux gouttes d’eau.

Quand il vous eut donné cet air de souveraine,
Il mit dans votre voix un ramage d’oiseau,
Quelque chose de doux, de languissant, qui traîne
Comme le chant lointain que soupire un roseau.

Sur vos lèvres qu’entr’ouvre un sommeil, il fit naître
Ce sourire de sphinx, si profond que, peut-être,
Nul ne saura jamais s’il est triste ou moqueur.

Alors, vous contemplant, il vous trouva si belle
Que, n’osant plus toucher à son oeuvre nouvelle,
Sous votre sein d’ivoire il oublia le cœur.

Q8  T15

Le Sonnet, ce léger poème en miniature, — 1991 (32)

Emmanuel Gosselin in Revue de Paris et de Saint-Petersbourg

Le sonnet

Le Sonnet, ce léger poème en miniature,
De plus d’un lapidaire a tenté le ciseau.
Le cadre n’est pas grand, soit, mais qui donc mesure
Le talent de l’artiste à l’ampleur du tableau ?

La toile importe peu : tout est dans la peinture
Lorsqu’une main habile a tenu le pinceau.
Ne comptons pas les vers, voyons la ciselure
Pétrarque ou Meissonnier, l’idéal, c’est le beau !

Quand l’Art pur guide seul la plume ou la palette,
Il transforme en chef-d’oeuvre une simple bluette
Et loge le printemps dans un pli de gazon.

Dans un coin de falaise il met la mer profonde,
Nous montre l’infini dans un bout d’horizon,
Et dans l’étroit Sonnet fait tenir tout un monde.

Q8  T14  s sur s (Pétrarque= Meissonnier. On frémit)

Ce matin morne où vous pensiez mourir, nos âmes, — 1991 (28)

Ivanhoe Rambosson in Le Saint-Graal

Les Possédés
à Rémy  de Gourmont

Ce matin morne où vous pensiez mourir, nos âmes,
En l’île de tristesse au fond des noirs jardins, –
Avec quel faste mortuaire nous allâmes
Vers la Tour de l’Aurore, où sont les paladins.

Quand on nous eut déclos l’huis d’or gardé de flammes,
Quand nous eûmes gravi les lumineux gradins,
Nous vîmes les guerrier du Christ et nous clamâmes :
Elus immaculés comme les séraphins,

Chevaliers, chevaliers, abolisseurs de sorts,
Belzébuth nous voudrait mener à mâle mort
Et nous vous conjurons en peur de nos folies

D’exorciser au nom du Verbe qui fut chair
Le succube égotant de nos mélancolies,
Qui nous pousse, perdus, vers le gouffre d’enfer !

Q8  T14  bi

Un sonnet, dites-vous, savez-vous bien, madame, — 1891 (12)

Henri Meilhac Le concours de La Plume

Un sonnet, dites-vous, savez-vous bien, madame,
Qu’il me faudra trouver trois rimes à sonnet?
Madame, heureusement, rime avec âme et flamme
Et le premier quatrain me semble assez complet.

J’entame le second, le second je l’entame,
Et prends en l’entamant un air tout guilleret.
Car ne m’étant encor point servi du mot âme
Je compte m’en servir et m’en sers en effet.

Vous m’accorderez bien, maintenant, j’imagine,
Qu’un sonnet sans amour ferait fort triste mine,
Qu’il aurait l’air boiteux, contrefait, mal tourné.

Il nous faut de l’amour, il nous en faut quand même,
J’écris donc en tremblant: je vous aime, je t’aime,
Et voilà, pour le coup, mon sonnet terminé

Q8 – T15 – s sur s