Archives de catégorie : Q08 – abab abab

Au fond des bois, sous l’humide feuillée, — 1863 (11)

Alexandre Toupet Vieux péchés

Emma Livry

Au fond des bois, sous l’humide feuillée,
Tout gazouillait de badines chansons,
Des bruits joyeux montaient de la vallée,
Et dans leurs nids chantaient les oisillons.

Un papillon avait pris sa volée !
Sylphe rapide, il faisait sa moisson
D’un beau jardin parcourant chaque allée,
Se promenant de la fleur au buisson.

Comme une abeille, ô mutine sylphide,
Tu voltigeais, sans craindre l’avenir
Qui t’entrainait d’un sourire perfide.

Car sans songer qu’un jour tout doit finir,
Tu vins frôler une funeste flamme
Qui dans l’azur fit s’envoler ton âme

Le 15 novembre 1862, pendant une répétition sur la scène de l’Opéra, la gracieuse artiste chorégraphique, qui allait reprende le rôle de Fenella, dans La muette de Portici, s’étant imprudemment mise sur un praticable, placé près d’une herse de gaz, se vi soudainement entourée d’un réseau de flammes.

Q8  T23  déca  bi

Parce que de la viande était à point rôtie — 1862 (11)

Mallarmé in  Oeuvres complêtes – Poésies

Parce que de la viande était à point rôtie
Parce que le journal détaillait un viol,
Parce que sur sa gorge ignoble et mal bâtie
La servante oublia de boutonner son col,

Parce que d’un lit, grand comme une sacristie,
Il voit, sur la pendule, un couple antique et fol,
Ou qu’il n’a pas sommeil, et que, sans modestie,
Sa jambe sous les draps frôle une jambe au vol,

Un niais met sous lui sa femme froide et sèche,
Contre ce bonnet blanc frotte son casque-à-mèche
Et travaille en soufflant inexorablement:

Et de ce qu’une nuit, sans rage et sans tempête,
Ces deux êtres se sont accouplés en dormant,
O Shakspeare et toi, Dante, il peut naître un poète!

Q8 – T14

Le vert colibri, le roi des collines, — 1862 (8)

Leconte de Lisle Poèmes barbares

Le colibri

Le vert colibri, le roi des collines,
Voyant la rosée et le soleil clair
Luire dans son nid tissé d’herbes fines,
Comme un frais rayon s’échappe dans l’air.

Il se hâte et vole aux sources voisines
Où les bambous font le bruit de la mer,
Où l’açoka rouge, aux odeurs divines,
S’ouvre et porte au coeur un humide éclair.

Vers la fleur dorée il descend, se pose,
Et boit tant d’amour dans la coupe rose,
Qu’il meurt, ne sachant s’il l’a pu tarir.

Sur ta lèvre pure, ô ma bien-aimée,
Telle aussi mon âme eût voulu mourir
Du premier baiser qui l’a parfumée!

Q8 – T14 – tara

Autour d’une église aux voutes teintées, — 1861 (6)

Médéric Charot Ma première gerbe

Mon village

Autour d’une église aux voutes teintées,
Parmi les sillons verdoyants d’épis,
Cinquante maisons sans ordre jetées
Comme un tas de dés sur un vert tapis;

Deux routes de jour assez fréquentées,
Des arbres nombreux, un ciel de lapis,
Un ruisseau bordé de fleurs enchantées,
Trois ou quatre ponts sur l’onde accroupis;

Un petit bassin pour la lavandière,
Un grand abreuvoir couvert de roseaux,
Derrière un long mur un vert cimetière:

– Voilà mon village et mon âme entière.
Tant que tourneront pour moi les fuseaux
Qu’Atropos arrête avec ses ciseaux!

Q8 – T18 – tara

Connais-tu la raison pour laquelle je t’aime? — 1861 (5)

Léon Cladel Poésies

5

Connais-tu  la raison pour laquelle je t’aime?
C’est ton amour savante et ton charme érudit,
C’est dans la Volupté ton élégant système…
C’est ta caresse artiste enfin qui m’engourdit.

Nulle pour varier le monotone thème
Du plaisir n’est pareille à toi, je te l’ai dit;
Tes pleurs tombent sur moi comme l’eau d’un baptème,
Tes pleurs que le calcul appelle, ange maudit!

Rythmique, enlace-moi, nonchalante et rythmique;
En ton moelleux dandysme exempt de passion,
Mesure le regard, l’haleine balsamique,

La parole, le geste et l’ondulation:
Voluptueuse avec préméditation,
Tu parais délirante étant mathématique!

Q8 – T21

Ami lecteur, qui viens d’entrer dans la boutique — 1861 (2)

Henri Murger Les nuits d’hiver

Sonnet
Au lecteur

Ami lecteur, qui viens d’entrer dans la boutique
Où l’on vend ce volume, et qui l’as acheté
Sans marchander d’un sou, malgré son prix modique,
Sois béni, bon lecteur, dans ta postérité!

Que ton épouse reste économe et pudique;
Que le fruit de son sein soit ton portrait flatté
Sans retouche; – et, pareille à la matrone antique,
Qu’elle marque son linge et fasse bien le thé!

Que ton cellier soit plein du vin de la comète!
Qu’on ne t’emprunte pas d’argent, – et qu’on t’en prête!
Que le brelan te suive autour des tapis verts;

Et qu’un jour sur ta tombe, en marbre de Carrare,
Un burin d’or inscrive – hic jacet – l’homme rare
Qui payait d’un écu trois cents pages de vers!

Q8 – T15

Quand sous votre corps nu craque un soyeux coussin, — 1859 (1)

Mallarmé Entre quatre murs

Sonnet
A.R.

Quand sous votre corps nu craque un soyeux coussin,
Fumer dans l’ambre et l’or un tabac qu’on arrose
De parfums espagnols: voir voltiger l’essaim
Des houris à l’oeil noir, dont l’enivrante pose

Vous fait rêver au ciel; renverser sur le sein
De celle qui, rieuse, entre vos bras repose
Un verre de Xérès, et dans le frais bassin
Mouiller en folâtrant ses tresses d’eau de rose,

C’est l’Eden! – pense Hassan: et je lui fais écho!
Mais le Ciel, c’est pour moi comme à mon vieux Shakspeare
Un sonnet! – où l’esprit jouit d’être au martyre

Comme en son fin corset le sein de Camargo!
– Quoi! J’ai tant bavardé! plus qu’un vers pour te dire
Mon voeu: « Pour moi commande un sonnet à ta lyre. »

Q8 – T29

Ma pauvre muse, hélas! qu’as-tu donc ce matin? — 1857 (6)

Baudelaire Les fleurs du mal

La muse malade

Ma pauvre muse, hélas! qu’as-tu donc ce matin?
Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes,
Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint
La folie et l’horreur, froides et taciturnes.

Le succube verdâtre et le rose lutin
T’ont-ils versé la peur et l’amour dans leurs urnes?
Le cauchemar, d’un poing despotique et mutin,
T’a-t-il noyée au fond d’un fabuleux Minturnes?

Je voudrais qu’exhalant l’odeur de la santé
Ton sein de pensers forts fut toujours fréquenté,
Et que ton sang chrétien coulât à flots rythmiques

Comme les sons nombreux des syllabes antiques,
Où règnent tour à tour le père des chansons,
Phoebus, et le grand Pan, le seigneur des moissons.

Q8 – T13

Comme le sage Horace et le bon La Fontaine, — 1857 (2)

Joseph PétasseLe Collier de perles sonnets –

Pourquoi la forme du sonnet

Comme le sage Horace et le bon La Fontaine,
J’aime les courts récits, j’ai peur des longs travaux;
Mon pied aime à fouler les gazons de la plaine
Et trébuche en montant les rapides coteaux.

Bien mince est mon bagage et courte mon haleine.
Je ne saurais suffire à ces drames nouveaux
Où l’auteur haletant, péniblement promène
Le lecteur fatigué de ses sombres tableaux.

Mais graver sa pensée ou riante ou sévère
Dans un cadre imposé qui la borne et l’enserre,
Avec un horizon bien défini, bien net,

C’est un travail que j’aime, où ma muse est à l’aise,
Où mon coeur agité se délasse et l’apaise.
C’est pourquoi j’ai choisi la forme du sonnet.

Q8 – T15 – s sur s – bi Le grand sonettiste Pétasse répartit ses soixante-dix sonnets en ‘diseaux’. Chaque ‘diseau’ contient dix sonnets.

Petit sonnet, comment mettrai-je en toi — 1856 (2)

Louis Griveau Encore des rimes

Petit sonnet

Petit sonnet, comment mettrai-je en toi
Toute mon âme et toute ma pensée?
A tes versets, pour un pareil emploi,
Ma muse est-elle assez bien exercée?

Ah, je le sens, trop sévère est ta loi;
Etroitement  la chaîne en est tissée.
Il te faudrait plus habile que moi,
Pour, à toi seul, valoir une Odyssée.

Pour t’illustrer, tu n’as plus qu’un sizain.
Qu’un autre ici prenne ta gloire en main.
Ta part, pour moi, me semble être assez belle,

Si, sans aller au bout de l’univers,
Ton humble page obtient un regard d’elle,
Si d’un sourire elle honore tes vers.

Q8 – T14 – déca – s sur s