Archives de catégorie : Q15 – abba abba

Dans sa forme attrayante, avec art modelée, — 1898 (15)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Le sonnet

Dans sa forme attrayante, avec art modelée,
Nous aimons le sonnet, concis et gracieux.
Nous le voulons parfait : accents hamonieux,
Œuvre finement ciselée.

Elevant son essor vers la voute étoilée,
Dont les astres sans nombre éblouissent nos yeux,
Ainsi que l’ode il peut, dans l’infini des cieux,
Monter sur une stance ailée.

Souvent le cœur y parle un langage charmant ;
L’esprit en fait jaillir comme d’un diamant
Les plus brillantes étincelles.

Oui, c’est un joyau rare, une perle, un trésor …
Avouons-le pourtant : c’est une cage d’or
Où n’entrent pas les grandes ailes.

(Léon Magnier)

Q15  T15  s sur s –  2m (octo 4-8-11-14

Des profondeurs du rêve en lequel tu t’exiles — 1898 (10)

Alban Roubaud in La Cité d’Art

Appareillage

Des profondeurs du rêve en lequel tu t’exiles
ô mon âme pour fuir un peu la vérité
n’entends-tu pas, ce soir, comme un appel jeté
par delà l’horizon, en de magiques îles ?

Viens ! je veux m’affranchir du souffle impur des villes
et murer à jamais mon cœur ensanglanté :
Allons nous abreuver aux sources de clarté,
loin des désirs malsains hurlant en troupes viles.

Cinglons vers d’irréels pays que tu nommas :
peut-être qu’il fleurit sous de nouveaux climats
l’oubli que nous cherchons à nos douleurs secrètes.

Et qu’enfin tu pourras en des sites d’espoirs,
accouder ta pensée au bord croulant des soirs
et ne la confier qu’à des choses muettes.

Q15  T15

Hors des cercles que de ton regard tu surplombes, 1898 (4)

Jean Moréas Poésies 1886-1896

Choeur

Hors des cercles que de ton regard tu surplombes,
Démon Concept, tu t’ériges et tu suspends
Les males heures à ta robe, dont les pans
Errent au prime ciel comme un vol de colombes.

Toi, pourquoi sur l’autel fumant en hécatombes
Les lourds désirs plus cornus que des égipans,
Electuaire sûr aux bouches de serpents,
Et rite apotropée à la fureur des trombes;

Toi, sistre et plectre d’or, et médiation,
Et seul arbre debout dans l’aride vallée,
O Démon, prends pitié de ma condition;

Eblouis-moi de ta tiare constellée,
Et porte en mon esprit la résignation,
Et la sérénité en mon âme troublée.

Q15 – T20

Son coeur avec ses doigts palpitait sur la lyre, — 1898 (2)

Maurice Deligny & Lucien Gouverneur Doubles sonnets sur singulières rimes

n° 9bis
Hommage à Sappho

Son coeur avec ses doigts palpitait sur la lyre,
Pour éveiller un chant sauvage et presque amer,
Ou sans cesse clamant, plus profond que la mer,
Son amour incompris que nul n’avait pu lire.

L’appel inentendu que lançait son délire,
Embaumé de caresse et tout fleuri de mer –
veilleux et fous baisers, n’en trouvait que de mer-
cenaires chez l’amant qu’elle brûlait d’élire ….

Elle dort maintenant, sous son linceul vermeil,
Encore inapaisée au suprème sommeil,
Et le flot inquiet qui vient battre la roche

Conserve de ses yeux l’attirante phospho-
rescence et pleure, ainsi qu’un éternel reproche,
Dans le rêve des nuits, le grand nom de Sapho.

Q15 – T14 – banv

Muse, écoute les sons envolés de la lyre — 1898 (1)

Maurice Deligny & Lucien Gouverneur Doubles sonnets sur singulières rimes

n° 9 Hommage à Sappho
Pour honorer la grande Poëtesse on a reproduit son divin caprice de couper les mots qui terminent certains vers

Muse, écoute les sons envolés de la lyre
Les accents font courir des frissons sur la mer
Houleuse éperdument. Dans les bois c’est la mer-
veille! et tout, jusqu’au flot, partage son délire.

Aphrodite la brûle; elle est venue élire
Sa demeure en ce corps que l’ouragan amer
Des voluptés mord, sèche et tord; Phaon le mer-
cenaire a saccagé cette âme sans la lire.

Grande amante fluide, ouvre tes flancs phospho-
rescents, tumultueux, à l’ardente Sapho
Qui, pour te posséder, s’élance de la roche!

Elle y croyait dormir un éternel sommeil,
Mais jusqu’en l’avenir, troublant comme un reproche,
Son désir de la chair vibre toujours vermeil.

Q15 – T14 – banv –  quelques fins de vers intra-mot, longtemps, longtemps, longtemps avant Denis Roche et Jean Ristat

Celui-là seul saura sourire, s’il a plu — 1897 (17)

Paul Claudel in ed.pléiade (Premiers Vers)

Celui-là seul saura sourire, s’il a plu
A la Muse elle-même, institutrice et Mère,
De former, lui ouvrant la Lettre et la Grammaire,
Sa lèvre au vers exact et au Mot absolu.

La sécurité de l’office qui l’élut
Rit que rien d’éternel comme rien d’éphémère
N’échappe à la mesure adéquate et sommaire
De la voix qui finit où le verbe conclut.

Gardien pur d’un or fixe où l’aboi vague insulte !
Si, hommage rustique et témoignage occulte,
Sa main cherche quoi prendre au sol pour s’en armer,

Je choisis de casser la branche militaire
Dont la feuille à ton front honore, Mallarmé,
Amère le triomphe, et verte, le mystère.

Q15  T14 – banv –  triste hiatus au vers 4

La lumière avait délié les fleurs d’entre les feuilles; — 1897 (9)

Robert de Souza Sources vers le fleuve

La Lumière

La lumière avait délié les fleurs d’entre les feuilles;
Les feuilles tendaient  leurs petites mains tendues
Suppliantes, au-devant des chenilles velues;
Mais les chèvres renouaient le tout en une touffe, d’une faim qui cueille.

Et les hommes ne sentaient point la vie, espoir et deuil,
Les songes dormaient des femmes étendues nues
Par les gazons qui frisent, et font les chairs moussues,
Pour, sans doute, que d’humbles ombres rases cachent notre orgueil…

Ni les âmes ne connaissent les grandes ailes,
Ni les coeurs la volonté de leurs appels,
Seules les bouches s’ouvraient au plaisir d’être nées;

C’était l’attente vague des existences,
Qui ne sentaient pas quand les aurait enfin créées,
La Lumière qui relie toutes choses- par qui l’on pense.

Q15 – T14 – banv – m.irr

Dans deux heures au plus on veut que dare dare — 1896 (16)

Ludovic Sarlat in  L’année des poètes

Un étrange défi

Dans deux heures au plus on veut que dare dare
Je présente au lecteur un sonnet tout entier.
J’accepte avec plaisir ce défi singulier
Qui me séduit surtout parce qu’il est bizarre.

Le sonnet, pour de grands esprits, c’est l’oiseau rare ;
Mais ce genre depuis longtemps m’est familier,
Et j’enfourche Pégase encor sans étrier :
On sait que de sonnets je ne suis pas avare.

Tiens ! je vais être au bout de mes quatorze vers,
Et je sens que, malgré la glace des hivers,
Poésie, en ma main ta coupe est toujours pleine.

J’ai fini mon sonnet et gagné mon pari :
Ma verve est toujours jeune, elle n’a pas tari,
Car j’ai fait celui-ci en un quart d’heure à peine.

Q15  T15  s sur s

Danseurs exaspérés des mornes menuets, — 1896 (8)

Henry Jean-Marie Levet (Le courrier français 1895-6)

Parades
A Mademoiselle Fanny Zaëssinger

Danseurs exaspérés des mornes menuets,
Sur les tréteaux menteurs et fragiles que foulent
Des marquis épaissis et des marquises goules,
Peuple épris de parade, exaucent tes souhaits.

Leurs jeux ont pollué la prairie aux bluets,
Les cuivres écrasés les flûtes qui roucoulent;
Des lampîons fumeux les soulignent aux foules,
La lune se taisant aux violons muets.

Ne sachant pas, aussi, ces gens, d’affèterie
Canailles encrassés, et de grâces flétries,
Réclament à nouveau le baisemain fripé;

Les trompettes sacrant d’éclats leur dernier leurre,
L’amant masqué de la beauté morte qu’on pleure
Se drapait des plis noirs de son manteau coupé.

Q15 – T15

Les marronniers mettaient leurs premiers bourgeons verts — 1896 (4)

Auguste AngellierA l’amie perdue

La floraison, I

Les marronniers mettaient leurs premiers bourgeons verts
Dans le blanc ciel d’Avril aux ombres inquiètes,
On vendait les derniers bouquets de violettes,
Le Printemps s’échappait des noirs mois entr’ouverts,

Quand les premières fois je la vis. A travers
Les dessins emmêlés de ses sombres voilettes,
Je lus, d’un seul regard, les souffrances secrètes
Et les longs désespoirs, dans ses yeux doux et fiers.

Ma pitié s’attacha, par des rêves tremblants
A la triste inconnue; et lorsque je l’aimai,
L’été allait ouvrir le temps des fleurs écloses,

On vendait les premiers bouquets de jeunes roses,
Et dans l’azur uni du calme ciel de Mai
Les marroniers mettaient leurs derniers thyrses blancs.

Q15 – T42