Archives de catégorie : Q15 – abba abba

Dans la salle aux murs gris de l’auberge interlope — 1880 (3)

Fernand Crésy (= Icres)Les fauves

Dans la salle aux murs gris de l’auberge interlope
Qui porte pour enseigne une branche de pin,
Nous la vîmes levant en l’air son escarpin
En posant ses genoux sur le banc qui s’éclope.

Sous la serge dont son épaule s’enveloppe,
Dans son verre graisseux elle trempait du pain,
Riant à tout buveur, maquignon ou rapin,
Qui pelotait ses seins en lui disant: « Salope! ».

Vous en souvenez-vous, Rosette? – et je surpris
Sur votre lèvre un fier plissement de mépris
Devant cet être abject qui n’a même plus d’âme.

Ce personnage était bien digne du décor …
Et moi, qui vous aimais, pouvais-je croire encor
Que vous seriez un jour plus ignoble, Madame? …

Q15 – T15

Tandis que le rêveur, les paupières mi-closes, — 1879 (27)

Georges Perdrix in Le Tintamarre (décembre)

Lyre & Crochet

Tandis que le rêveur, les paupières mi-closes,
Comme pour mieux voir ses rêves éblouissants,
Préludant sur sa lyre, aux sonores accents
Change le doux printemps, chante les fleurs écloses,

Les nids et les berceaux des petits enfants roses ;
Lorsque ses vers, pareils aux zéphirs caressants,
Apportent ces parfums qui réveillent les sens
Et mettent des rayons aux fronts les plus moroses ;

Tandis que le penseur va, sondant l’infini,
Arracher un par un ses secrets au mystère,
Répandre sa lumière aux confins de la terre,

Mons. Zola s’en va, lui, quand l’horizon brunit,
Dans les cloaques noirs des ruelles obscures,
Le crochet à la main, fouiller les tas d’ordures

Q15 – T30

La mort – inévitable écueil — 1879 (26)

Jules Jouy in Le Tintamarre (février)

La mort de Daumier

La mort – inévitable écueil
Où vient se briser toute barque
– Sous l’œil farouche de la Parque
Vient d’engloutir un grand cercueil.

Notre caricature en deuil
Pleure son homme de Plutarque.
Dans l’ombre, Basile-Aristarque
Dissimule un joyeux clin d’oeil.

Salut à ton char funéraire,
Maître ! toi que l’on porte en terre
Sans le goupîllon des bedeaux !

Tambours noirs, grondez une charge
Au soldat tombé sur le dos,
A Daumier, Kléber de la charge !

Q15 – T14 – octo

Le fond vert, d’un vert cru de salade de maches, — 1879 (25)

« Fantasio » in Le Tintamarre (novembre)

Croute
Sonnet impressionniste

Le fond vert, d’un vert cru de salade de maches,
Figure une prairie, où des blocs, convulsés
Par un pinceau trop rouge et trop longtemps brossés,
On la prétention folle d’être des vaches.

A droite, au premier plan, s’étalent quelques taches
Très blanches : des maisons, dont les toits empesés
Exhalent vers un ciel aux tons bleus insensés
Une fumée épaisse en compactes panaches.

A gauche, un paysan sur son âne juché.
Le tout fini, soigné, peigné, limé, léché ;
On sent que l’artiste a voulu faire un chef d’œuvre.

– A distance, on croit voir un salmis de hors-d’œuvre :
Beurre, olives, anchois, œufs durs et caviar,
Dans un plat de faux Delft au décor trop criard.

Q15 – T13

Les riens sont souvent bien des choses ! — 1879 (20)

L’Hydropathe

–       Georges Lorin

La cigarette

Les riens sont souvent bien des choses !
Et rien ne vaut ces riens de rien.
Cigarette, tu le vois bien,
Tu m’es plus chère que les roses.

Offerte, à titre de maintien
Par la saisisseuse de poses,
(L’effet est plus grand que les causes)
Désormais te voilà mon bien.

Je parle, je tourne, et t’oublie,
Je sors, dans un papier te plie,
Avec l’espoir de revenir.

En vain, tu veux être allumée,
Et t’évanouir en fumée,
De toi, je fais un souvenir.

Q15  T15  octo

Ka-ka-doi, mandarin militaire, et Ku-ku — 1879 (17)

Emile Goudeau in L’Hydropathe

Sonnet japoniste

Ka-ka-doi, mandarin militaire, et Ku-ku
Auteur d’un million et quelques hémistiches
Causent en javanais sur le bord des potiches,
Monosyllabiquant d’un air très-convaincu.

Vers l’an cent mille et trois ces magots ont vêcu
A Nangasaki Ki vend des cheveux postiches –
C’étaient d’honnêtes gens qui portaient des fétiches
Sérieux, mais hélas ! chacun d’eux fut cocu.

Comment leur supposer des âmes frénétiques ?
Et quel sujet poussa ces poussahs lymphatiques,
A se mettre en colère un soir, je ne sais pas !

Mais un duel s’ensuit ! – ô rages insensées !
Car ils se sont ouvert le ventre avec fracas –
Voilà pourquoi mes deux potiches sont cassées.

Q15  T14 – Banv

L’aérostat est une bulle — 1879 (16)

Félicien Champsaur in L’Hydropathe

Voyage dans les airs

L’aérostat est une bulle
Et, lent, monte vers le soleil.
La brise d’avril, en éveil,
Au-dessous, dans la nue, ondule.

Il va, le ballon minuscule,
Monte dans le matin vermeil,
Rose, bleu, violet, pareil
A l’aile d’une libellule.

Le filet est tracé de fils
De la vierge, ténus, subtils.
Une étoile encore étincelle.

Il va, soutenant avec art
Un myosotis pour nacelle,
Et puis, dedans, Sarah Bernhardt.

Q15  T14 – banv –  octo Allusion au voyage en ballon de l’actrice, dont le récit avait été publié à l’occasion nouvel an par l’éditeur de Flaubert, Charpentier, à la place d’un des Trois Contes (St Julien l’hospitalier) initialement prévu. Flaubert s’en plaint dans une lettre à Tourgueniev.

Sa barbe est noire, noire, et son front haut, austère, — 1879 (15)

Grenot-Dancourt in L’Hydropathe

Portrait d’Emile Goudeau

Sa barbe est noire, noire, et son front haut, austère,
Son nez est ordinaire et son œil est hagard,
Il a l’esprit alerte et prompt comme un pétard,
L’hydropathe le craint, mais se tait, et vénère.

Il est bavard comme un portier de monastère,
Mais n’aime pas le bruit des autres, et sait l’art
D’apaiser la tempête avec un bolivard
Dont il couvre à propos son crâne âpre et sévère.

Il tient un peu de l’ours et du bâton noueux,
Oh ! c’est qu’un imbécile et moi, cela fait deux,
Dit-il, et devant lui l’hydropathe frissonne.

Il fait des vers qui sont beaux, si beaux que personne
Ne comprend. Il est dur mais noble, zinc, et beau.
Sur nos lèvres son nom vole. Hein ? oui …. c’est Goudeau.

Q15  T13

Quitte le restaurant discret, où vous soupâtes, — 1879 (14)

Jules Jouy in l’Hydropathe

Sonnet-programme

Quitte le restaurant discret, où vous soupâtes,
Niniche et toi, bourgeois vide et prétentieux,
Profitant du lorgnon que le vin sur tes yeux
Pose, viens avec moi t’asseoir aux Hydropathes.

Pourtant, avant d’entrer, un mot: que tu t’épates
Ou non, garde-toi bien de mots sentencieux
Devant ce défilé de profils curieux:
L’endroit est sans façons, on n’y fait point d’épate.

Certes, ne t’attends pas à trouver un goût d’eau
Au parlement criard que préside Goudeau,
Laisse à ton nez poilu monter l’encens des pipes;

Et – moins sot que Louis, aux canons bien égaux
Foudroyant les Teniers et leurs drôles de types –
Du cercle ‘Hydropathesque’ admire les magots.

Q15  T14 – banv