Archives de catégorie : Q15 – abba abba

L’hiver, quand l’ouragan se déchaîne avec rage — 1845 (10)

J. Lacou Amours, regrets et souvenirs

Sonnet

L’hiver, quand l’ouragan se déchaîne avec rage
Et attriste la terre, que j’aime, dans la nuit,
A m’éveiller surpris, et entendre le bruit
Que font les éléments, surtout j’aime l’orage

Et la pluie qui tombe et bat avec tapage
Les grands vitraux carrés qui font face à mon lit,
Oh ! j’aime à voir aussi l’éclair qui soudain luit
Et un serpent de feu qui sillonne un nuage ;

Car c’est dans ces moments de terreur et d’effroi
Que le lâche et l’impie ont le cœur en émoi,
Reconnaissant un Dieu et craignant sa colère.

Celui qui fut la veille blasphémateur, méchant,
A la voix du tonnerre devient pâle et tremblant,
Et fait avec ferveur longtemps une prière.

Q15  T15  versification très incorrecte : hiatus : v2, 3, 8,11 – césure épique : v2,12,13 – ‘e’muet non élidé intérieur à un mot : v5 (pluie)

Dans ce vaste tombeau qui porte jusqu’aux cieux — 1845 (9)

Jules Ravier œuvres

Sonnet à Jacques Delille

Dans ce vaste tombeau qui porte jusqu’aux cieux
La force des guerriers, la gloire du génie,
Je parcourais un jour, plein de mélancolie,
De ses sombres piliers les plis majestueux.

Et tremblant, je sondais ce séjour ténébreux,
Guidé par la lueur d’une faible bougie.
Mais que vois-je ? un flambeau dont le feu s’irradie
A vous ! Rousseau, Voltaire, interprètes des dieux.

Les genoux et le front inclinés vers la terre,
Leur mémoire aussitôt inspire ma prière,
Qui rendit à l’écho ce penser de mon cœur :

Si tu sais rendre hommage à celui, noble France,
Dont l’esprit te laissa des marques de grandeur,
Delille a tous les droits à ta reconnaissance.

Q15  T14 – banv

Homme! libre penseur – te crois-tu seul pensant — 1845 (5)

Gérard de Nerval in  L’Artiste

Vers dorés
Eh quoi! tout est sensible!
Pythagore

Homme! libre penseur – te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toute chose:
Des forces que tu tiens ta liberté dispose,
Mais de tous tes conseils l’Univers est absent.

Respecte dans la bête un esprit agissant …
Chaque fleur est une âme à la Nature éclose;
Un mystère d’amour dans le métal repose:
Tout est sensible; – et tout sur ton être est puissant!

Crains dans le mur aveugle un regard qui t’épie:
A la matière même un verbe est attaché …
Ne la fais point servir à quelque usage impie.

Souvent dans l’être obscur habite un Dieu caché;
Et, comme un oeil naissant couvert par ses paupières
Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres.

Q15 – T23

La connais-tu DAFNE, cette ancienne romance, — 1845 (4)

Gérard de Nerval in L’Artiste

Delfica

La connais-tu DAFNE, cette ancienne romance,
Au pied du sycomore, ou sous les lauriers blancs,
Sous l’olivier, le myrte, ou les saules tremblants,
Cette chanson d’amour … qui toujours  recommence? …

Reconnais-tu le TEMPLE au péristyle immense,
Et les citrons amers où s’imprimaient tes dents,
Et la grotte fatale aux hôtes imprudents,
Où du dragon vaincu dort l’antique semence?

Ils reviendront, ces Dieux que tu pleures toujours!
Le temps va ramener l’ordre des anciens jours;
La terre a tressailli d’un souffle prophétique …

Cependant la sibylle au visage latin
Est endormie encor sous l’arc de Constantin
– Et rien n’a dérangé le sévère portique.

Q15 – T15

C’était bien lui, ce fou, cet insensé sublime … — 1844 (14)

Nerval Le Christ aux oliviers

V

C’était bien lui, ce fou, cet insensé sublime …
Cet Icare oublié qui remontait les cieux,
Ce Phaéton perdu sous la foudre des dieux,
Ce bel Atys meurtri que Cybèle ranime!

L’augure interrogeait le flanc de la victime,
La terre s’enivrait de ce sang précieux …
L’univers étourdi penchait sur ses essieux,
Et l’Olympe un instant chancela vers l’abîme.

 » Réponds! criait César à Jupiter Ammon,
Quel est ce nouveau dieu qu’on impose à la terre?
Mais si ce n’est un dieu, c’est au moins un démon …  »

Mais l’oracle invoqué pour jamais dut se taire;
Un seul pouvait au monde expliquer ce mystère:
– Celui qui donna l’âme aux enfants du limon.

Q15 – T21

Nul n’entendait gémir l’éternelle victime, — 1844 (13)

Nerval Le Christ aux oliviers

IV

Nul n’entendait gémir l’éternelle victime,
Livrant au monde en vain tout son coeur épanché;
Mais prêt à défaillir et sans force penché,
Il appela le seul –  éveillé dans Solyme:

« Judas! lui cria-t-il, tu sais ce qu’on m’estime,
Hâte-toi de me vendre, et finis ce marché:
Je suis souffrant, ami! sur la terre couché …
Viens, ô toi qui, du moins, as la force du crime!  »

Mais Judas s’en allait, mécontent et pensif,
Se trouvant mal payé, plein d’un remords si vif
Qu’il lisait ses noirceurs sur tous les murs écrites ….

Enfin Pilate seul, qui veillait sur César,
Sentant quelque pitié, se tourna par hasard:
« Allez chercher ce fou! » dit-il aux satellites.

Q15 – T15

Quand le Seigneur, levant au ciel ses maigres bras — 1844 (10)

– Nerval Le Christ aux oliviers
Dieu est mort! le ciel est vide …
Pleurez! enfants, vous n’avez plus de père!

Jean-Paul.

I

Quand le Seigneur, levant au ciel ses maigres bras
Sous les arbres sacrés, comme font les poètes,
Se fut longtemps perdu dans ses douleurs muettes,
Et se jugea trahi par des amis ingrats;

Il se tourna vers ceux qui l’attendaient en bas
Rêvant d’être des rois, des sages, des prophètes …
Mais engourdis, perdus dans le sommeil des bêtes,
Et se prit à crier: « Non, Dieu n’existe pas! »

Ils dormaient. « Mes amis, savez-vous la nouvelle ?
J’ai touché de mon front à la voûte éternelle;
Je suis sanglant, brisé, souffrant pour bien des jours!

« Frères, je vous trompais: Abîme! abîme! abîme!
Le dieu manque à l’autel où je suis la victime …
Dieu n’est pas! Dieu n’est plus!  » Mais ils dormaient toujours!…

Q15 – T15