Archives de catégorie : Tercets

Maintenant la vapeur est à l’ordre du jour. — 1848 (3)

Jules VernePremier cahier

La vapeur

Maintenant la vapeur est à l’ordre du jour.
Tout marche par son aide! Est-ce un bien pour le monde?
Pour bien choisir sur terre où toute chose abonde,
Faut-il donc se hâter, lorsqu’on en fait le tour?

On vole désormais sur la terre et sur l’onde;
On fait sans y penser l’aller et le retour;
On singe le soleil qui, lorsqu’il fait sa ronde,
Mesure en une nuit le céleste séjour.

Ce ne peut-être un bien que dans ces temps de guerre,
Où vont s’anéantir ces hommes qui naguère
Marchaient contre la mort san reproche et sans peur,

Si trompant l’ennemi par sa subtile ruse,
Refaisant des guerriers autant que l’on en use,
L’amour toutes les nuits marchait à la vapeur!

Q17 – T15 s. pris dans les  poésies inédites

Vous qui lisez mes vers, et, d’une oreille sage, — 1848 (2)

Camille Esménard du MazetPoésies de Pétrarque

1

Vous qui lisez mes vers, et, d’une oreille sage,
Ecoutez les soupirs dont j’ai nourri mon coeur,
Rappelez-vous qu’alors j’étais dans le jeune âge,
Que je suis revenu de ma trop douce erreur.

Du trouble à la raison, des pleurs à l’espérance,
Si d’un style inégal je passe tour à tour,
Sûr d’être pardonné, j’invoque l’indulgence
De ceux qui parmi vous aurons connu l’amour.

Je sais bien qu’aujourd’hui que le regret m’accable,
Pourquoi du monde entier je fus long-temps la fable:
Oui, je le sais, de moi je n’ai plus qu’à rougir.

Je reconnais encore, après tant de folie,
Que tout ce qui nous plaît et charme notre vie
Est un songe trompeur qu’un instant voit finir.

Q59 – T15 –  (Pétrarque, rvf 1)

Dans un sombre tableau du vieux Albert Dürer, — 1848 (1)

Charles FournelPoésies

Dans un sombre tableau du vieux Albert Dürer,
Un cavalier pensif par la forêt chevauche,
Il porte lance à droite et longue épée à gauche,
Il ne sait point jusqu’où sa route va durer:

Les goules, qui des morts courent se saturer,
Lui montrent griffe et dents; le vieux spectre qui fauche
Lui sourit tendrement, et l’ombre en foule ébauche
Des visions, que l’oeil ose à peine endurer.

Quand là-bas, sous le ciel et sur la verte côte,
Ton bourg luit au soleil, en chemin côte-à-côte
Avec l’affreuse Mort, où vas-tu compagnon?

Quand, nous tendant les bras, le bonheur nous invite
A passer avec lui nos ans, qui vont si vite,
Où nous entraînes-tu, perfide ambition?

Q15 – T15

Poète à la voix pure, aux pensers ravissants — 1847 (7)

Hippolyte Tampucci Poésies nouvelles

Millevoye

Poète à la voix pure, aux pensers ravissants
Millevoye apparut dans cette sombre vie
Comme un ange d’amour et de mélancolie,
Pour séduire l’oreille et le cœur et les sens.

Le front tout parfumé de baisers caressants,
Il exhalait son âme en douce mélodie.
L’ardente volupté, pour lui n’eut point de lie,
Mais des flots de nectar, sans cesse renaissants.

Il lègue à l’avenir une page immortelle.
Enfin, las de bonheur, comme une fleur nouvelle,
Il tombe en son midi, brisé, sans se flétrir.

O soir délicieux d’une belle journée !
O sort digne d’envie ! ô sainte destinée !
Jeune, aimer, être aimé, le chanter, puis mourir !

Q15  T15

O doux baiser, qu’au milieu des alarmes, — 1847 (6)

Gabriel Monavon Jeunes fleurs

Un baiser

O doux baiser, qu’au milieu des alarmes,
J’osai ravir au sein de la beauté,
Riant larçin, trésor de volupté,
Dont les périls ont redoublé les charmes.

A tes élans, pour opposer des armes,
La crainte en vain s’unit à la fierté,
Tu sus t’ouvrir un passage enchanté,
Et la pudeur t’a pardonné ses larmes.

O doux baiser ! tendre espoir d’un amant,
Sois le prélude et le gage charmant
Des biens promis à ma flamme discrète.

Sur ce beau sein que tu pris en vainqueur,
Laisse à jamais ton empreinte secrète,
Et sois le sceau des mystères du cœur.

Q15  T14  déca – banv

Dans ces élans de ma tendresse — 1847 (5)

dr. Alexandre Delainne Hommage lyrique aux sciences naturelles

A toi

Dans ces élans de ma tendresse
Lorsque mon cœur bat près de toi,
D’où vient mon indicible ivresse ?
Oh ! si tu le sais, dis-le moi !

Mon âme qui n’est plus maîtresse
De ses transports, de son émoi,
Vers la tienne vole, s’empresse
Et veut s’y confondre … pourquoi ?

C’est que du ciel l’ordre inflexible
Par ses lois, de l’être sensible
Veut aussi charmer le séjour.

Et l’attraction si féconde,
Ce sublime pivot du monde,
Entre nous deux s’appelle … amour !

Q8  T15  octo

Oh ! mes jeunes amours, qu’êtes-vous devenues, — 1847 (4)

Charles Brainne Premières armes

A Madame A.M.

Oh ! mes jeunes amours, qu’êtes-vous devenues,
Vous que j’aurais voulu garder comme un trésor ;
L’instant où je croyais toucher du front les nues,
Et m’élever au ciel par un magique essor.

Accents mélodieux, extases inconnues
Qu’un ange soupirait sur une harpe d’or,
Harmonieux essaim de beautés toutes nues
Qui devant moi passiez et repassiez encor.

Ah ! revenez à moi, revenez, doux mensonges,
Qui voltigiez la nuit sur les ailes des songes,
Revenez endormir mes yeux mouillés de pleurs.

Rendez-moi, par pitié de ma longue souffrance,
Un peu de joie, au prix d’un siècle de douleurs,
Pour tous mes souvenirs une seule espérance.

Q8  T14

Quel caprice vivant qu’Alice! — 1847 (3)

Charles Hugo in Album d’Alice Ozy

Quel caprice vivant qu’Alice!
Par caprice elle eut pour amant
Un prince. On ne sait pas comment
Elle le quitta. – Par caprice!

L’éclat n’a rien qui l’éblouisse.
Elle préfère à tout moment
L’humble fleur au fin diamant,
Du beau rayon le pur calice.

Aujourd’hui sans savoir pourquoi,
Par caprice elle m’aime, moi! –
Par caprice, elle m’est fidèle.

Je ne connais dans ses amours
Qu’un caprice qu’elle a toujours:
C’est le caprice d’être belle.

Q15 – T15 – octo  Un des poèmes écrits par un des fils de Victor Hugo, rival (malheureux) de son père pour les faveurs de la belle Alice Ozy .

Amazone aux reins forts, solide centauresse, — 1847 (2)

Théodore de Banville Le sang de la coupe

Amazone nue

Amazone aux reins forts, solide centauresse,
Tu tiens par les cheveux, sans mors et sans lien,
Ton cheval de Titan, monstre thessalien;
Ta cuisse avec fureur le dompte et le caresse.

On voit voler au vent sa crinière et sa tresse.
Le superbe coursier t’obéit comme un chien,
Et rien n’arrêterait dans son calme païen
Ton corps, bâti de rocs comme une forteresse.

Franchissant d’un seul bond les antres effrayés,
Vous frappez du sabot, dans les bois non frayés,
Les pâtres chevelus et les troupeaux qui bêlent.

Toi, Nymphe, sans tunique, et ton cheval sans mors,
Vos flancs restent collés et vos croupes se mêlent,
Solide centauresse, amazone aux reins forts!

Q15 – T14 – banv

Ni dans les cieux étoiles voyageuses, — 1847 (1)

Emma Méhul Cent cinquante sonnets … traduits… de Pétrarque

Ni dans les cieux étoiles voyageuses,
Ni dans les champs beaux et fiers étrangers,
Ni dans les bois faons joyeux et légers,
Ni sur les mers voiles blanches nombreuses;

Ni d’un bien cher des nouvelles heureuses,
Ni de l’amour les discours mensongers
Ni dans les près ou sous les orangers
Douces chansons de femmes vertueuses;

Ni rien jamais ne touchera mon coeur,
Tant a su bien sous sa pierre avec elle
L’ensevelir, ma clarté, mon miroir.

Pour moi la vie est un poids de douleur:
Je veux mourir afin de revoir celle
Qu’il eût valu beaucoup mieux ne pas voir.

Q15 – T36 – déca – rvf  Traduction du sonnet 312 ( ‘Né per sereno ciel ir vaghe stelle« ) de Pétrarque qui respecte (chose rarissime) la disposition des rimes de l’original (ce qui implique aux vers 11-12 une violation de la règle d’alternance)