Archives de catégorie : Tercets

On dit que sur le roc où le grand empereur, — 1831 (1)

J.J. Hosemann & P. BoucherPoésies évangéliques

Napoléon – Sonnet

L’Eternel a en abomination tout homme hautain de coeur – Prov. xvi,5

On dit que sur le roc où le grand empereur,
Jouet des trahisons, fut jeté à l’envie,
Regardant en arrière il pleura dans son coeur,
Aux amers souvenirs de sa géante vie.

Alors se présentant devant son créateur,
– Oh! que cela soit vrai! – d’une âme réfléchie,
Le pauvre prisonnier, plein d’une humble douleur,
Fit du héros tombé la morale autopsie.

L’homme comprit la loi que le roi méconnut;
Il sentit vaguement le besoin d’un salut:
Et ce volcan humain, qui remua la terre, –
Ce soldat sans égal, devant qui tout fléchit,
Son front pyramidal courbé dans la poussière,
Près la mort – qui dit vrai, – se reconnut petit!

Q8 – T14

Votre génie est grand, Ami; votre penser — 1830 (16)

Sainte-Beuve Consolations

A V.H.

Votre génie est grand, Ami; votre penser
Monte, comme Elisée, au char vivant d’Elie.
Nous sommes devant vous comme un roseau qui plie.
Votre souffle en passant pourrait nous renverser.

Mais vous prenez bien garde, Ami, de nous blesser;
Noble et tendre, jamais votre amitié n’oublie
Qu’un rien froisse souvent les coeurs et les délie.
Votre main sait chercher la nôtre et la presser.

Comme un guerrier de fer, un vaillant homme d’armes,
S’il rencontre, gisant, un nourrisson en larmes,
Il le met dans son casque et le porte en chemin;

Et de son gantelet  le touche avec caresses:
La nourrice serait moins habile aux tendresses;
La mère n’aurait pas une si douce main.

Q15 – T15

Pleurnichard hypocrite, et hypocrite flatteur, Sainte-Beuve finit de prendre date et de s’imposer à la postérité comme l’initiateur de la sonnet-manie qui, encore timidement, se prépare.

Les passions, la guerre ; une ame en frénésie, — 1830 (15)

Sainte-Beuve Consolations

Sonnet
imité de Wordsworth

Les passions, la guerre ; une ame en frénésie,
Qu’un éclatant forfait renverse du devoir ;
Du sang ; des rois bannis, misérables à voir ;
Ce n’est pas là-dedans qu’est toute poésie.

De soins plus doux la Muse est quelquefois saisie ;
Elle aime aussi la paix, les champs, l’air frais du soir,
Un penser calme et fort, mêlé de nonchaloir ;
Le lait pur des pasteurs lui devient ambroisie.

Assise au bord de l’eau qui réfléchit les cieux,
Elle aime la tristesse et ses élans pieux ;
Elle aime les parfums d’une ame qui s’exhale,

La marguerite éclose, et le sentier fuyant,
Et, quand Novembre étend sa brume matinale,
Une fumée au loin qui monte en tournoyant.

Q15  T14 – banv

En ces heures souvent que le plaisir abrège, — 1830 (14)

Sainte-Beuve Consolations

Sonnet

En ces heures souvent que le plaisir abrège,
Causant d’un livre à lire et des romans nouveaux,
Ou me parlant déjà de mes prochains travaux,
Suspendue à mon cou, tu me dis : Comprendrai-je ?

Et, ta main se jouant à mon front qu’elle allège,
Tu vantes longuement nos sublimes cerveaux,
Et tu feins d’ignorer … Sais-tu ce que tu vaux,
Belle Ignorante, au blonds cheveux, au cou de neige ?

Qu’est toute la science auprès d’un sein pâmé,
Et d’une bouche en proie au baiser enflammé,
Et d’une voix qui pleure et chante à l’agonie ?

Ton frais regard console en un jour nébuleux ;
On lit son avenir au fond de tes yeux bleus,
Et ton sourire en sait plus long que le génie.

Q15  T15

Chacun en sa beauté vante ce qui le touche ; — 1830 (13)

Sainte-Beuve Consolations

Sonnet

Chacun en sa beauté vante ce qui le touche ;
L’amant voit les attraits où n’en voit point l’époux ;
Mais que d’autres, narguant les sarcasmes jaloux,
Vantent un poil follet au-dessus d’une bouche ;

D’autres, sur des seins blancs un point comme une mouche ;
D’autres, des cils bien noirs à des yeux bleus bien doux,
Ou sur un cou de lait des cheveux d’un blond roux ;
Moi, j’aime en deux beaux yeux un sourire un peu louche :

C’est un rayon mouillé ; c’est un  soleil dans l’eau,
Qui nage au gré du vent dont frémit le bouleau ;
C’est un reflet de lune au rebord d’un nuage ;

C’est un pilote en mer, par un ciel obscuruci,
Qui s’égare, se trouble, et demande merci,
Et voudrait quelques Dieu, protecteur du voyage.

Q15  T15

Sur un front de quinze ans les cheveux blonds d’Aline, — 1830 (12)

Sainte-Beuve Consolations

Sonnet

Sur un front de quinze ans les cheveux blonds d’Aline,
Débordant le bandeau qui le voile à nos yeux,
Baignent des deux côtés des sourcils gracieux :
Tel un double ruisseau descend d’une colline.

Et sa main, soutenant ce beau front qui s’incline,
Aime à jouer autour, et dans les flots soyeux
A noyer un doigt blanc, et l’ongle curieux
Rase en glissant les bords où leur cour se dessine.

Mais, au sommet du front, où le flot séparé
Découle en deux ruisseaux et montre un lit nacré,
Là, je crois voir Amour voltiger sur la rive ;

Nager la Volupté sur deux vagues d’azur ;
Ou sur un vert gazon, sur un sable d’or pur,
La Rêverie assise, aux yeux bleus et pensive.

Q15  T15

Madame, il est donc vrai, vous n’avez pas voulu, — 1830 (11)

Sainte-Beuve Consolations

Madame, il est donc vrai, vous n’avez pas voulu,
Vous n’avez pas voulu comprendre mon doux rêve.
Votre voix m’a glacé d’une parole brève,
Et vos regards distraits dans mes yeux ont mal lu.

Madame, il m’est cruel de vous avoir déplu:
Tout mon espoir s’éteint et mon malheur s’achève;
Mais vous, qu’en votre coeur nul regret ne l’élève,
Ne dites pas:  » Peut-être aurait-il mieux valu … »

Croyez avoir bien fait; et, si pour quelque peine
Vous pleurez, que ce soit pour un peigne d’ébène,
Pour un bouquet perdu, pour un ruban gâté!

Ne connaissez jamais de peine plus amère;
Que votre enfant vermeil joue à votre côté,
Et pleure seulement de voir pleurer sa mère!

Q15 – T14 – banv

Adieu ! je pars, Madame, et pour toujours peut-être ! — 1830 (9)

Antoine Fontaney d’après René Jasinski : Une amitié amoureuse, Marie Nodier et Fontaney (1925)

A madame Marie Manessier

Adieu ! je pars, Madame, et pour toujours peut-être !
Il faut boire à longs traits dans le calice amer ;
Bien que le temps soit gros, il faut tenir la mer ;
L’oiseau doit s’exiler du ciel qui le vit naître.

Où sont les jours plus purs dont je me suis cru maître ?
Ces hautes amitiés dont mon cœur était fier ?
Les consolations dont je rêvais hier ?
Tout s’engloutit et meurt, et n’a fait qu’apparaître.

Insensé qui voulait enchaîner l’avenir !
Je livre à son courant ma vie aventureuse :
Vous aimez, on vous aime, et je vous laisse heureuse.

Ah ! gardez quelque temps un vague souvenir
De celui qui plongeant dans les flots de votre âme
Y vit tant de trésors. – Adieu, je pars, Madame.

Q15  T30

Fontaney n’a pas oublié son Misanthrope et en place un hémistiche au début et à la fin de son sonnet (procédé qu’il emploie dans les autres sonnets de lui ici choisis. Il ne me semble pas qu’il ait eu des imitateurs)

Ami, l’art nous échappe et pour bien des années, — 1830 (8)

Antoine Fontaney in Vincent Laisné, L’Arsenal romantique

A mon ami Charles Nodier

Ami, l’art nous échappe et pour bien des années,
Comme un timide enfant, aux bruits de liberté,
Au fracas du canon il fuit épouvanté,
Sur son aile emportant nos jeunes destinées.

Nos fleurs de poésie au matin sont fanées.
Nos fruits ne viendront pas à leur maturité,
Mais que t’importe, à toi, qui jouis de l’été ?
Tes couronnes, déjà, tu les as moissonnées.

Amarre donc ta nef. Le lac est traversé.
Ton génie a rendu sa muse familière ;
Près du fouer, lutine encor la batelière.

Avec ses blonds cheveux ton laurier est tressé ;
Car à toi la science et les grâces attiques,
A toi les frais parfums dans les vases antiques.

Q15  T30

C’était comme autrefois ; – ainsi qu’un souvenir — 1830 (7)

Antoine Fontaney d’après Vincent Laisné, L’Arsenal romantique (2002)

A Madame Marie Manessier

C’était comme autrefois ; – ainsi qu’un souvenir
Vous nous apparaissiez le soir, vous étiez belle,
Madame, et nous disions encor : mademoiselle,
Des mots, qu’en souriant vous nous laissiez finir.

Et bien qu’à votre époux seul puisse appartenir,
Votre âme dont le feu luit dans vos prunelles,
Bien que l’amour tous deux vous a pris sous son aile,
Ce passé vers son cœur doit aussi revenir.

Car vous aviez encor la simple robe blanche,
Le collier noir qu’au bal vous mettiez le dimanche ;
Le piano réveillé se plaignait à vos doigts.

Vous nous chantiez vos airs dont la vive cadence
Avait fait oublier souvent jusqu’à la danse,
Et nous étions ravis ; – c’était comme autrefois .

Q15  T15