Archives de catégorie : Tercets

Ce sont des vases peints, Étranger curieux, — 1914 (12)

Hérédia Les Trophées (ed.1914)

LE KRATÈR

Ce sont des vases peints, Étranger curieux,
Les uns hauts d’une palme et d’autres d’une orgye,
Qui sur leur galbe étroit ou leur panse élargie
Font tourner, rouge ou noir, tout l’Olympe à tes yeux.

Choisis : canthare, amphore ou rhyton?… Mais, j’ai mieux :
Le potier modelant la terre de Phrygie
Du sang viril d’Atys molle encore et rougie,
A formé ce Kratèr pour l’ivresse des Dieux.

Vois. Il est sans défaut du bord jusqu’à la base.
Certe, il sera payé par quelque Pharnabaze
Au prix d’un bassin d’or, d’électrum ou d’argent.

Euphronios a fait ce chef-d’oeuvre d’argile
Qu’il signa de sa pointe illustre, le jugeant
D’autant plus précieux qu’il le fit plus fragile.

Q15  T14 – banv

Au flanc du Cithéron, sous la ronce enfoui — 1914 (11)

Hérédia Les Trophées (ed.1914)

SPHINX

Au flanc du Cithéron, sous la ronce enfoui
Le roc s’ouvre, repaire où resplendit au centre
Par l’éclat des yeux d’or, de la gorge et du ventre,
La Vierge aux ailes d’aigle et dont nul n’a joui.

Et l’Homme s’arrêta sur le seuil, ébloui.
—  Quelle est l’ombre qui rend plus sombre encor mon antre?
— L’Amour. — Es-tu le Dieu? — Je suis le Héros. — Entre ;
Mais tu cherches la mort. L’oses-tu braver? — Oui.

Bellérophon dompta la Chimère farouche.
— N’approche pas. — Ma lèvre a fait frémir ta bouche.
— Viens donc! Entre mes bras tes os vont se briser;

Mes ongles dans ta chair… — Qu’importe le supplice,
Si j’ai conquis la gloire et ravi le baiser?
— Tu triomphes en vain, car tu meurs..— 0 délice!…

Q15  T14 – banv

Rais de soleil ou patte blanche? — 1914 (9)

André Breton in La Phalange
Rais de soleil ou patte blanche?
La main ne glane – on le saurait –
Dans sa chevelure à regret
L’or au gré soudain de la branche

Sans que fuse plus clair son rire
Pâle ou cendré comme l’or blond
Par le cher feuillage selon
L’accompagnement de ta lyre.

Et l’âme, au battement d’une aile
Captive – on croirait – d’un col fin,
Vers l’épaule, sous la tonnelle,

Si la caresse ondule à fin
De charme, ô pur Viélé-Griffin,
Pressent la Pigeon aigrefin!

Q63 – T22  octo

Sur un soir transparent comme une porcelaine — 1914 (5)

Vincent Muselli Les travaux et les jeux

Paysage

Sur un soir transparent comme une porcelaine
L’artiste a dessiné cigognes et pigeons;
Entre quatre arbres droits il a tendu la plaine,
Et dans l’émail des lacs incrusté l’or des joncs.

Des roseaux minces et frêles: un scarabée
Y grimpe; un bourdon ronge une feuille à l’avant,
Et, fier du fin contour qu’accuse encor le vent,
Persiste un oiseau bleu sur la tige courbé.

La nuit tombe: sa cendre a défait l’Orient;
Elle remplit l’eau claire et l’azur souriant,
Et les formes du jour succombent une à une.

Mais; blanche, illuminant l’espace essentiel,
Au-dessus des marais s’épanouit la lune
Comme un nénuphar peint sur l’écran noir du ciel.

Q60 – T14

Sanglé dans son dolman d’étain, — 1914 (4)

?Cristaux et colloïdes – Anthologie des pharmaciens poètes –

Le suppositoire

Sanglé dans son dolman d’étain,
Qui lui donne allure guerrière,
Le suppositoire, malin,
Attaque toujours par derrière.

Odorant comme un Muscadin,
On le croirait d’essence fière;
Mais, son idéal est mesquin,
Il ne prise que la matière!

Pourtant, sa fin lui fait honneur!
C’est lorsque, héroïque pointeur
Que n’émeut point la canonnade;

Pour donner son calmant effet,
Tête baissée, il disparaît,
Au fracas d’une pétarade!

Marcel Mavit

Q8 – T15 – octo

Le globe de grains verts, pur symbole à ton faîte, — 1914 (3)

Saint-Pol-RouxIdéoréalités

Tombeau de Stéphane Mallarmé

Le globe de grains verts, pur symbole à ton faîte,
On le vit, front de gloire, amerrir en soleil
Dont les épis sonnants allumèrent la fête
A l’instant où les dieux te mirent en sommeil.

Sage la mort éternisait notre prophète
Au Verbe obscur d’offrir un éclat non pareil,
Et le vainqueur jaillit d’une injuste défaite
Entre les plumes d’or du céleste appareil.

Maître, ta voix d’exil nous retourne première.
Or, neuve des valeurs que lègue le trépas,
La beauté se refond au moule de tes pas,

Tandis que nous pleurons la grappe de lumière,
Accessibles raisins de l’Azur inconnu
Que viola ce faune idéalement nu.

Q8 – T30

Si je contemple le plafond — 1914 (2)

Jean de La Ville de Mirmont – in Oeuvres complètes ed. 1992 –

Si je contemple le plafond
Avec tant de mélancolie,
Gentlemen, avouerai-je, au fond
Le motif de ma rêverie?

Lorsque j’ai bu trois carafons
De gin, de rhum et d’eau de vie,
Goddam! Tous ces alcools me font
Songer à la mère-patrie …

J’en partis à vingt ans à peine
Pour acheter du bois d’ébène
Sur la côte des Somalis.

Négrier plus qu’aux trois-quarts ivre
(En vérité je vous le dis),
J’ai gardé tout mon savoir-vivre.

Q8 – T14 – octo

Oh! combien que j’eusse aimé — 1914 (1)

Jean de La Ville de Mirmont – in Oeuvres complètes ed. 1992 –

Les frères aînés

Oh! combien que j’eusse aimé
Avec toute ma jeunesse
Combien de frères aînés
Sont morts avant que je naisse!

Encore tout affamés
D’une éternelle tendresse
Combien se sont résignés
A ce bonheur qu’on nous laisse.

De notre sort mécontents,
Nous sommes, de tous les temps,
Vague troupeau sans étable.

Mes frères insoucieux
Saurons-nous tourner les yeux
Vers le seul bien véritable?

Q8 – T15 – 7s

Comme un vaisseau plein d’or s’en revient lentement — 1913 (14)

Charles d’Olonne Nouvelles heures chantantes

L’alexandrin du sonnet

Comme un vaisseau plein d’or s’en revient lentement
Du Pérou, du Far-West ou du sud de l’Afrique,
Le lourd alexandrin, d’un rythme magnifique,
Apporte des lointains un royal chargement.

Ce trésor, ce n’est pas les six pieds seulement,
La césure correcte et la rime classique;
C’est que chaque syllabe ait un bruit de musique,
Le mot une couleur, la phrase un mouvement.

Quand la fin d’un sonnet régulier est bien faite,
L’alexandrin vibrant ralentit, puis s’arrête.
Ainsi suspend ses feux, pavoise et rentre au port

Le navire vainqueur, tandis que sur le bord
Du môle qui s’allonge en un grand promontaire
La foule acclame en lui la puissance et la gloire.

Q15 – T13 – s sur s