Archives de catégorie : Tercets

Le ‘dernier cri » lancé dans la haute élégance, — 1901 (7)

Eléonore de MérinvalHontes humaines – sonnets satiriques et réalistes –

Les Lions

Le ‘dernier cri » lancé dans la haute élégance,
Les Arts, les écrits neufs, la fourbe ‘manigance’
Que crée un ‘grand courant’ politique et mondain
Est l’œuvre des Lions au pointilleux dédain.

Ils se montrent grassets, superbes d’arrogance;
Portent de ‘l’inédit’ avec extravagance;
Vivent intransigeants sur le choix des parfums,
Des gants et des chapeaux, des souliers peu communs.

Les créateurs du goût, ‘faiseurs’ d’arrêts de mode,
De morale égoïste et critique du code
Retardent le progrès par leurs pensers trop vieux.

Il faut avoir pitié des lions ‘camaïeux’,
Légers, changeants, vantards, intolérants, sceptiques,
Aux accents composés, futiles, ‘drolatiques’.
envoi
« Ces gais coqs du bel air’, du bon ton, du grand ‘chic’,
Accueilleurs ‘du toc neuf’, du rare et vilain ‘tic’
Amincis, névrosés, et « phosphorescents », hâles, `
Cheminent incompris, méconnus pour beaux pâles.

Q1  T13+ ffgg – Tous les sonnets du livre sont, ainsi, suivis d’un ‘envoi’, quatrain à rimes plates.

Que reste-t-il de la Suzette, — 1901 (6)

Charles-Adolphe Cantacuzène Sonnets en petit deuil

Suzette

Que reste-t-il de la Suzette,
Que reste-t-il de la Suzon?
Quand j’y pense, mon cher poète,
J’ai des frissons dans la raison!

Eteignons les flambeaux de fête,
Car douloureux est leur rayon
Depuis que la Suzon est cette
Noble poussière en du linon!

Mais moins m’affligerait la perte
De cette Suzannette, certe,
Si j’étais très sûr que là-bas

Où gît sa forme gracieuse,
Elle connaît, l’âme rieuse,
Le grand bonheur de n’être pas!

Q8 – T15 – octo

Jolis cœurs, vous faites les bons apôtres, — 1901 (3)

Charles-Adolphe Cantacuzène Sonnets en petit deuil

Jolis cœurs

Jolis cœurs, vous faites les bons apôtres,
Et toi, chair, dans le stupre tu te vautres!
Et ceux qui disent tant de patenôtres
Ont tant de mauvais regards pour les autres!

On médite souvent un crime affreux
Tandis qu’on vous regarde, doucereux!
Et dans les moments des plus doux aveux
Le venin coule des yeux langoureux!

Tout meurt: la lèvre rose de Rosette
Comme la phrase exquise du poète!
Tout meurt dans le jour blanc et le noir soir!

Plutôt la Mort que cette hypocrisie!
Mais la Mort – (et mon âme aussi en est saisie!) –
Elle est fausse, elle aussi! … Mort donc l’Espoir!

aaaa bbbb – T15 – déca irr.

On la descend dans le grand trou, la chérie, — 1901 (2)

Charles-Adolphe Cantacuzène Sonnets en petit deuil

On la descend

On la descend dans le grand trou, la chérie,
La bonne fillette aux clairs yeux lilas!
Tranquille, elle vivait dans ses falbalas –
Petite fille sachant la pauvre vie!

La terre la reprend: terre, je t’envie!
Je perds une amoureuse aux bras délicats,
Une enfant qui toujours me serrait le bras, –
Tu gagnes une chair polie et fleurie!

Je ne la verrai donc plus les soirs de mai
Et d’octobre venir tout comme un bienfait
Surtout comme un sourire en marche vers l’âme.

Je te vois disparaître, ô toi qui fus toi! –
Toi qui fus toi, moi! – toi, mon unique foi! –
O sœur, ô mère, ô fille! ô toi seule femme!

Q15 – T15 – 11s

Sur le petit chemin latéral — 1901 (1)

Charles-Adolphe Cantacuzène Sonnets en petit deuil

Sur le petit chemin latéral

Sur le petit chemin latéral
Quelques violons avec folie
Font résonner le langoureux val
De leur musique lente et jolie.

C’est un tendre chant hyménéal
Où, doux, le cœur à l’âme s’oublie, –
Et mon vague amour se trouve mal
Par la fraîche nuit déjà pâlie.

La passion, l’orgueil et l’espoir
Me sont un vide affreusement noir
Qui se débat dans l’âme torride ….

Mais peut-être que les violons
Et ces amoureux aux rêves blonds
Sentent dans leur cœur le même vide.

Q8 – T15 – 9s

Je voudrais t’enguirlander de mille phrases enclose — 1900 (17)

Nathalie Clifford-BarneyQuelques portraits-sonnets de femmes

XIV

Je voudrais t’enguirlander de mille phrases enclose
En des rythmes gracieux aussi cambrés que tes pieds,
Talonner les mots de rouge afin que, si ça te plaît,
Tu puisses marcher dessus, haussant ta beauté mi-close.

Qui donc te réveillera, l’âme gaie où se repose
Tout un souriant jadis couronné de menuets,
Où se mêle au decorum plus d’un propos indiscret
Fait pour enrichir celui qui les joliment propose ?

Belle de cour, cheveux poudrés, audaces de clair minuit,
Que le madrigal polit l’avide regard qui luit
Sur les cous frêles et blancs de si mignonnes marquises !

« Oh ! les jeunes gens banals ! » et leurs brusques flirtations !
Qu’ils heurtent brutalement les demi-vierges exquises
D’un passé glorifié par ton imagination !

Q15  T14 – banv –   14s

Rien ne te peut toucher, rien ne t’émeut, — 1900 (16)

Nathalie Clifford-BarneyQuelques portraits-sonnets de femmes

XIII

Rien ne te peut toucher, rien ne t’émeut,
Ton cœur est éclos dans un grand bloc de glace
Tout se brise au mur de sa calme surface,
Ta chair semble de marbre et d’airain tes yeux.

Ta passivité brave même les dieux,
Et ta vierge beauté fait rêver l’audace
Qui s’éteint de trop voir ta froideur en face
Pétrifiant tout, l’amour comme les feux.

Tu sembles un gouffre où ton rire sans joie
Veut ce qui plane et l’appelle pour proie
Afin de combler ton goût pour le néant.

Tes seins sont deux fleurs grandes épanouies,
Berçant le poison de leur laiteuse envie
Comme des cygnes sur un étang stagnant.

Q15  T15  11s

Fleur douce et cotonneuse, aux modestes rayons, — 1900 (15)

A.L. Flammes et cendres

Edelweiss

Fleur douce et cotonneuse, aux modestes rayons,
Tu souris à celui qui t’arracha tremblante
Aux sommets escarpés des arides vallons ;
Rien ne croît près de toi sur la roche glissante.

Etoile des hauteurs ! l’insecte en ses grands bonds
A peine t’aperçoit ; c’est la vie expirante
En son dernier effort qui brode tes flocons
Et c’est l’épais duvet de ta tige insistante.

Celui qui te découvre en ton lit écarté
Devrait t’y respecter : car ta beauté fragile
A besoin de la nue et du sol infertile.

Il ne te connait pas qui n’a vu qu’à la ville
La fleur qui sous ton nom, hochet de vanité
S’étalait au chapeau d’un touriste imbécile.

Q8  T32