Archives de catégorie : Tercets

Mes bouquins refermés sur le nom de Paphos — 1899 (46)

Mallarmé Poésies

Mes bouquins refermés sur le nom de Paphos
Il m’amuse d’élire avec le seul génie
Une ruine, par mille écumes bénie
Sous l’hyacinthe, au loin, de ses jours triomphaux.

Contre le froid avec ses silences de faulx,
Je n’y hululerai pas de vide nénie
Si ce très blanc ébat au ras du sol dénie
A tout site l’honneur du paysage faux.

Ma faim qui d’aucuns fruits ici ne se régale
Trouve en leur docte manque une saveur égale:
Qu’un éclate de chair humain et parfumant!

Le pied sur quelque guivre où notre amour tisonne,
Je pense plus longtemps peut-être éperdûment
A l’autre, au sein brûlé d’une antique amazone.

Q15 – T14 – banv

A la nue accablante tu — 1899 (45)

Mallarmé Poésies

A la nue accablante tu
Basse de basalte et de laves
A même les échos esclaves
Par une trompe sans vertu

Quel sépulcral naufrage (tu
Le sais, écume, mais y baves)
Suprême une entre les épaves
Abolit le mat dévêtu

Ou cela que furibond faute
De quelque perdition haute
Tout l’abîme vain éployé

Dans le si blanc cheveu qui traîne
Avarement aura noyé
Le flanc enfant d’une sirène

Q15 – T14 – banv – octo

M’introduire dans ton histoire — 1899 (44)

Mallarmé Poésies

M’introduire dans ton histoire
C’est en héros effarouché
S’il a du talon nu touché
Quelque gazon de territoire

A des glaciers attentatoire
Je ne sais le naïf péché
Que tu n’auras pas empêché
De rire très haut sa victoire

Dis si je ne suis pas joyeux
Tonnerre et rubis aux moyeux
De voir en l’air que ce feu troue

Avec des royaumes épars
Comme mourir pourpre la roue
Du seul vespéral de mes chars

Q15 – T14 – banv – octo

Quelle soie aux baumes de temps — 1899 (43)

Mallarmé Poésies

Quelle soie aux baumes de temps
Où la Chimère s’exténue
Vaut la torse et native nue
Que hors de ton miroir, tu tends!

Les trous de drapeaux méditants
S’exaltent dans notre avenue:
Moi, j’ai ta chevelure nue
Pour enfouir mes yeux contents.

Non! La bouche ne sera sûre
De rien goûter à sa morsure,
S’il ne fait, ton princier amant,

Dans la considérable touffe
Expirer, comme un diamant,
Le cri des Gloires qu’il étouffe.

Q15 – T14 – banv – octo

Une dentelle s’abolit — 1899 (42)

Mallarmé Poésies

III

Une dentelle s’abolit
Dans le doute du jeu suprême
A n’entr’ouvrir comme un blasphème
Qu’absence éternelle de lit.

Cet unanime et blanc conflit
D’un dentelle avec la même
Enfui contre la vitre blême
Flotte plus qu’il n’ensevelit.

Mais cher qui du rêve se dore
Tristement dort une mandore
Au creux néant musicien

Telle que vers quelque fenêtre
Selon nul ventre que le sien,
Filial on aurait pu naître.

Q15 – T14 – banv – octo

Surgi de la croupe et du bond — 1899 (41)

Mallarmé Poésies

II

Surgi de la croupe et du bond
D’une verrerie éphémère
Sans fleurir la veillée amère
Le col ignoré s’interrompt.

Je crois bien que deux bouches n’ont
Bu, ni son amant ni ma mère,
Jamais à la même Chimère,
Moi, sylphe de ce froid plafond!

Le pur vase d’aucun breuvage
Que l’inexhaustible veuvage
Agonise mais ne consent,

Naïf baiser des plus funèbres!
A rien n’expirer annonçant
Une rose dans les ténèbres.

Q15 – T14 – banv – octo

Tout orgueil fume-t-il du soir — 1899 (40)

Mallarmé Poésies

I

Tout orgueil fume-t-il du soir
Torche dans un branle étouffée
Sans que l’immortelle bouffée
Ne puisse à l’abandon surseoir!

La chambre ancienne de l’hoir
De maint riche mais chu trophée
Ne serait pas même chauffée
S’il survenait par le couloir.

Affres du passé nécessaires
Agrippant comme avec des serres
Le sépulcre du désaveu,

Sous un marbre lourd qu’elle isole
Ne s’allume pas d’autre feu
Que la fulgurante console.

Q15 – T14 – banv – octo

Le silence déjà funèbre d’une moire — 1899 (39)

Mallarmé Poésies

PLUSIEURS SONNETS

Hommage

Le silence déjà funèbre d’une moire
Dispose plus qu’un pli seul sur le mobilier
Que doit un tassement du principal pilier
Précipiter avec le manque de mémoire.

Notre si vieil ébat triomphal du grimoire,
Hiéroglyphes dont s’exalte le millier
A propager de l’aile un frisson familier!
Enfouissez-le moi plutôt dans une armoire.

Du souriant fracas originel haï
Entre elles de clartés maîtresses a jailli
Jusque vers un parvis né pour leur simulacre,

Trompettes tout haut d’or pâmé sur les vélins,
Le dieu Richard Wagner irradiant un sacre
Mal tu par l’encre même en sanglots sibyllins.

Q15 – T14 – banv

Le noir roc courroucé que la bise le roule — 1899 (38)

Mallarmé Poésies

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Tombeau
Anniversaire – Janvier 1897

Le noir roc courroucé que la bise le roule
Ne s’arrêtera ni sous de pieuses mains
Tâtant sa ressemblance avec les maux humains
Comme pour en bénir quelque funeste moule.

Ici presque toujours si le ramier roucoule
Cet immatériel deuil opprime de maints
Nubiles plis l’astre mûri des lendemains
Dont un scintillement argentera la foule.

Qui cherche, parcourant le solitaire bond
Tantôt extérieur de notre vagabond –
Verlaine? Il est caché parmi l’herbe, Verlaine

A ne surprendre que naïvement d’accord
La lèvre sans y boire ou tarir son haleine
Un peu profond ruisseau calomnié la mort.

Q15 – T14 – banv

Le temple enseveli divulgue par la bouche — 1899 (37)

Mallarmé Poésies

PLUSIEURS SONNETS

Le tombeau de Charles Baudelaire

Le temple enseveli divulgue par la bouche
Sépulcrale d’égout bavant boue et rubis
Abominablement quelque idole Anubis
Tout le museau flambé comme un aboi farouche

Ou que le gaz récent torde la mèche louche
Essuyeuse on le sait des opprobres subis
Il allume hagard un immortel pubis
Dont le vol selon le réverbère découche

Quel feuillage séché dans les cités sans soir
Votif pourra bénir comme elle se rasseoir
Contre le marbre vainement de Baudelaire

Au marbre qui la ceint absente avec frissons
Celle son Ombre même un poison tutélaire
Toujours à respirer si nous en périssons.

Q15 – T14 – banv