Archives de catégorie : T14 – ccd ede

Humaniste, gourmet, déiste et régicide, — 1910 (1)

Emile BergeratBallades et sonnets

La guillotine de poche . 1792.

Humaniste, gourmet, déiste et régicide,
Le sans-culottiseur de l’Isère et du Doubs
Porte dans un étui dont le cuir est très doux
Une guillotinette en verre translucide.

Quand la petite hache amusante s’oxyde
De rouille ci-devante, il la passe au saindoux
D’un pot enjolivé de rubans dits: padous
Qu’ornent des vers latins à la masse d’Alcide.

Elle lui sert à maints usages, notamment
A trancher sur le plat d’un Nouveau testament
Les têtes des canards, des lapins & des oies;

Car il n’aime que ceux dont il fut le Samson
Lui-même, et telles sont les innocentes joies
Du proconsul François Lejeune à Besançon.

Q15 – T14 – banv –   padou (TLF) Ruban moitié fil, moitié soie

C’est un garçon très doux, très chaste et très discret. — 1909 (7)

Georges-Hector Mai in Les poètes sociaux

L’ouvrier-aux-livres
(Vitrail)

C’est un garçon très doux, très chaste et très discret.
Des livres ont toujours bossué sa vareuse ;
Et, sous un front griffé de rides fiévreuses,
Il a des yeux d’enfant, bleus, au reflet doré.

C’est un bon ouvrier, sobre, actif, toujours prêt.
Mais il semble haïr l’usine monstrueuse …
Et son âme cachée est sans doute amoureuse
D’un rêve merveilleux qu’il caresse en secret.

Il lit … Et quand le soir azure sa mansarde,
Seul, sans femme, sans rien que son rêve, il hasarde
Avec simplicité des essais effrayants ;

Et, dans son grand amour pour la douleur du monde,
Parfois, avec des doigts méticuleux et lents,
Sans haine et sans remords, il fabrique des bombes.

Q15  T14 – banv

Nul bruit, nul cri, nul choc dans les grands prés de soie — 1909 (6)

Jules de Marthold in  (Bertrand Millanvoye) Anthologie des poètes de Montmartre

Nuit d’or

Nul bruit, nul cri, nul choc dans les grands prés de soie
Où tout rit et sent bon sous le ciel bleu du soir,
Où, sauf le ver qui luit, on ne peut plus rien voir,
Où le chat-linx des bois va, court et suit sa proie;

La voix des nids en chœur dit son pur chant de joie;
Un cerf boit à sa soif, au guet, l’eau du lac noir,
Au pan creux d’un vieux mur dort en paix un vieux loir,
Et sous les feux de juin tout vit, tout croît, tout ploie,

Un vent chaud des blés mûrs fait un flot de la mer
Et sur les monts des pins ont cent longs bras de fer,
Sur un roc nu la tour plus que le roc est nue.

Doux et fort, œil mi-clos, roi du sol, un bœuf paît.
Il pleut sans fin, croit-on, des clous d’or en la nue.
Le temps court, le temps fuit, la nuit meurt, le jour naît.

Q15 – T14 – banv – sonnet de monosyllabes

Musique aux lèvres de l’épouse: — 1909 (4)

Léon Deubel L’arbre et la rose

Eté

Musique aux lèvres de l’épouse:
Les mots tremblent de volupté.
Fin de Juillet! la nymphe Eté
Râle d’amour sur les pelouses.

Oh! dans mes mains, mes mains jalouses,
Mes doigts par ses doigts invités,
Sentir avec suavité
Ses seins ériger leurs arbouses.

Sentir nos chairs évanouies,
Jointes, parmi les inouïes
Clameurs d’un enfer épié,

S’abîmer, quand le ciel dispose
– Coussin frangé d’or à nos pieds –
Un soir enluminé de roses.

Q15 – T14 – octo

Tu montais radieux dans la grande lumière, — 1908 (10)

Albert Lozeau Ame solitaire

A Emile Nelligan

Tu montais radieux dans la grande lumière,
Enivré d’idéal, éperdu de beauté,
D’un merveilleux essor de force et de fierté,
Fuyant avec dédain la route coutumière.

Tu montais emporté par ton ardeur première,
Battant d’un vol géant la haute immensité,
Et là, tout près d’atteindre à ton éternité,
Tu planais, triste et beau, dans la clarté plénière.

Mesurant du regard le vaste espace bleu,
Tu sentis la fatigue envahir peu à peu
La précoce vigueur de tes ailes sublimes.

Alors, fermant ton vol largement déployé,
Ô destin ! tu tombas d’abîmes en abîmes,
Comme un aigle royal en plein ciel foudroyé !

Q15  T14 – banv

De la tour de Justice à la tour du Trésaut, — 1908 (9)

Pierre Fons La divinité quotidienne

Devant la Cité de Carcassonne

De la tour de Justice à la tour du Trésaut,
Le soir apaise enfin l’horizon solitaire ;
D’implacables destins ont désolé ces terres,
Mais leur sombre splendeur garde encor des vassaux.

Seul, le soleil tentant quelque suprême assaut
Ensanglante à présent la Lice & Saint Nazaire :
Où les cerviers du Nord tous en vain s’écrasèrent,
Les femmes lentement rêvent près des berceaux.

Fière monte une nuit, orientalement chaude ….
Montfort, ton oeuvre est morte et sa cendre est à l’Aude,
Les Midis à leur tour ont chassé les effrois ;

Et, la lune courbée en profil de tartane,
Tout le ciel étoilé tend un blason d’orfrois,
Qui figure l’orgueil de la terre occitane.

Q15  T14 -banv –

Sur un lit onduleux d’algues aux lents rameaux, — 1908 (7)

Paul Reboux & Charles Müller A la manière de

Le câble

Sur un lit onduleux d’algues aux lents rameaux,
Dans un vallon marin de la verte Atlantide,
Le câble monstrueux qu’éclaire un jour livide
Se déroule, tordant deux longs muscles jumeaux.

À son derme rugueux s’incrustent les émaux
Des conques où la mer dort d’un sommeil limpide;
Et dans ce fil de chanvre et de laiton, rapide,
Frissonne en sourds éclairs le passage des Mots !

Les grands requins béants et les horribles scombres
Des gouffres bleus d’en haut plongent aux gouffres sombres
En frôlant les fucus de leur ventre poli.

Et, parmi les coraux où s’enfouit le câble,
Ils s’étonnent, roulant leurs gros yeux pleins d’oubli,
De cet inerte et long serpent inexplicable !

(José-Maria de Heredia)

Q15 – T14 – banv

Dès longtemps, sur le luth, j’exerce — 1908 (6)

Emmanuel Signoret Poésies complètes


Invocation

Dès longtemps, sur le luth, j’exerce
Mes doigts, sur tous, les mieux instruits:
Qu’une nouvelle mer me berce
Sur des vaisseaux par moi construits.

Ma hache brillante renverse
Un pin couronné de ses fruits,
Qui coupe le ciel et qui verse
Des torrents d’ombres et de bruits.

Qu’en ses flancs je taille ma barque!
Après Ronsard, après Pétrarque,
Légers sonnets, emportez-moi!

Jusqu’à ce qu’en l’or des trompettes,
Faisant trembler les cieux d’effroi,
Ma bouche souffle des tempêtes!

Q8  T14  octo  s sur s

Sous le Notos hurleur et sous l’Euros paterne, — 1908 (5)

Robert de MontesquiouLe parcours du rêve au souvenir

Sous le Notos hurleur et sous l’Euros paterne,
Flots, berceaux des soleils, et vagues, leurs tombeaux:
O mer, versicolore azur, redite terne,
Ou luisante, des faits et gestes de Phoibos;

Peut-être, déplorant ton rôle subalterne,
Corail épanoui sous ses levers dispos,
Sanglant rubis, sous ses couchers, d’une citerne
Aux paisibles reflets, crois-tu les sorts plus beaux?

O tain inconscient, impersonnel mirage
Qui répètes la paix, qui rabâche la rage
Du ciel capricieux, du ciel supérieur;

Ton flux et ton reflux vocifèrent des lieues
De paradoxes forts, que le remous crieur
Construit de saphirs verts et d’émeraudes bleues.

Q8 – T14

Tous les matins j’allais la voir à sa chaumière — 1907 (6)

Charles Guérin Premiers et derniers vers

Annaik

Tous les matins j’allais la voir à sa chaumière
Et dans l’enivrement calme des prés fleuris,
Chauds de soleils, pleins de grillons jetant leurs cris,
Nous causions sur un banc de l’étreinte première.

Revenez, revenez, souriait la fermière;
Et je suis revenu souvent, le coeur épris,
Et dans la chambre basse, au crépuscule gris,
Devant l’âtre défait nous rêvions de lumière.

Or un soir qu’elle était assise à son rouet
Elle me dit: « je veux exhaucer ton souhait. »
Et ses yeux bruns ardents étincelaient dans l’ombre.

Après avoir jeté sa Croix – je me souviens –
Elle étendit la main vers l’énorme lit sombre
Et, brusque, m’entraînant par le bras: « Allons, viens! ».

Q15 – T14 – banv