Archives de catégorie : T14 – ccd ede

Carillonneur de la pensée, — 1874 (10)

Etrennes du Parnasse pour l’année 1874

Valéry Vernier

Le café

Carillonneur de la pensée,
Nègre aux yeux d’or, puissant, doux,
De ma cervelle embarrassée
Fais déloger tous les hiboux.

Chanterai-je ton odyssée?
Depuis longtemps les marabouts
Sous les palmiers et les bambous,
Aux Africains l’ont retracée.

Parlons plutôt de tes succès
Auprès des estomacs français.
Avec Racine, pêle-mêle,

Sévigné te mit dans un sac;
Mais Voltaire t’a vengé d’elle,
Et tu fus un dieu pour Balzac.

Q9 – T14 – octo

Ses yeux sont transparents comme l’eau du Jourdain. — 1874 (7)

Théodore de BanvilleLes Princesses

Hérodiade
Car elle était vraiment princesse: c’était la reine de Judée, la femme d’Hérode, celle qui a demandé la tête de Jean-Baptiste
Henri Heine, Atta Troll.

Ses yeux sont transparents comme l’eau du Jourdain.
Elle a de lourds colliers et des pendants d’oreilles;
Elle est plus douce à voir que le raisin des treilles,
Et la rose des bois a peur de son dédain.

Elle rit et folâtre avec un air badin,
Laissant de sa jeunesse éclater les merveilles.
Sa lèvre est écarlate, et ses dents sont pareilles
Pour la blancheur aux lys orgueilleux du jardin.

Voyez-la, voyez-la venir, la jeune reine!
Un petit page noir tient sa robe qui traîne
En flots voluptueux le long du corridor.

Sur ses doigts le rubis, le saphir, l’améthyste
Font resplendir leurs feux charmants: dans un plat d’or
Elle porte le chef sanglant de Jean-Baptiste.

Q15 – T14 – banv

Ce qui dégoûterait de se mettre en voyage, — 1874 (5)

A. de Gagnaud (ed.) – Almanach du sonnet pour 1874

En voyage

Ce qui dégoûterait de se mettre  en voyage,
D’offrir à ses amis l’étreinte des adieux,
Le sourire à la bouche et les larmes aux yeux;
Ce n’est pas le souci de traîner son bagage;

Ni l’épaisse vapeur s’allongeant en nuage,
Ni la noire fumée obscurcissant les cieux,
Ni d’un commis bavard, d’un marchand soucieux,
D’un poupon au maillot le triste voisinage;

Ni le malheur d’entendre et de voir les Anglais,
Ni les sombres tunnels, ni les stridents sifflets,
Ni les grains de charbon entrant sous la paupière;

Ni les rayons brûlants d’un soleil de juillet,
Ni les vents ou la pluie, ou les flots de poussière;
Ce qui dégoûterait, c’est le wagon complet.

A.Marc

Q15 – T14 – banv

Quoi! vous languissez à mourir! — 1874 (1)

Achille ServièresNouvelles givordines , sonnets –


Inutiles conseils. Double sonnet. A mes nouvelles givordines.

Quoi! vous languissez à mourir!
Il vous tarde donc, mes cadettes,
Loin de Givors d’aller courir?

Que je vous plains, Givordinettes!
Vous savez pourtant que vos soeurs
Sont sous le fouet de nos censeurs.

Penseriez-vous, petites folles,
Pouvoir, loin de mon cabinet,
Vous garantir du cabinet
Des Zoïles des deux écoles?

Seriez-vous plus belles, plus drôles,
Comme ma muse, en ce sonnet,
En l’air jetant votre bonnet,
Feriez-vous mille cabrioles;

Des envieux et des jaloux
Serpents, à l’harmonie affreuse,
Dont la morsure est venimeuse,
Vous n’éviterez pas les coups.

Vous pourrez bien trouver chez nous,
Au fond de ma vallée ombreuse,
Quelque âme bonne et généreuse
Qui vous rendra vos jours plus doux.

Mais, hélas!, qu’est-ce qu’un sourire,
Près du sarcasme qui déchire
Comme la ronce du chemin! ….

Et, trépignant d’impatience,
Vous venez me serrer la main …
Allez, enfants, et bonne chance.

s.rev: ede dcc baab baab + Q 15 – T14 –  banv – octo – Ce ‘double sonnet ‘ est fait de deux sonnets tête-bêche, commençant par le ‘sonnet renversé’

Bibelots d’emplois incertains, — 1873 (12)

Charles Cros–  Le coffret de santal

Préface

Bibelots d’emplois incertains,
Fleurs mortes aux seins des almées,
Cheveux, dons de vierges charmées,
Crêpons arrachés aux catins,

Tableaux sombres et bleus lointains,
Pastels effacés, durs camées,
Fioles encore parfumées,
Bijoux, chiffons, hochets, pantins,

Quel encombrement dans ce coffre!
Je vends tout. Accepte mon offre,
Lecteur. Peut-être quelque émoi,

Pleurs ou rire, à ces vieilles choses
Te prendra. Tu paieras, et moi
J’achèterai de fraîches roses.

Q15 – T14 – octo

Tout s’en va, mes amis: la foi, l’antique foi, — 1873 (6)

Joseph Autran Sonnets capricieux

La vieille orthographe

Tout s’en va, mes amis: la foi, l’antique foi,
L’honnêteté première et la vieille droiture,
L’amour et le respect que l’on vouait au roi,
Le menuet, la valse et même l’écriture.

L’orthographe, jadis, valait une peinture:
Représenter aux yeux, telle en était la Loi.
Une lettre peignant l’objet d’après nature,
L’objet, ami lecteur, se dressait devant toi.

L’y dans le mot lys en doublait le prestige;
C’est la fleur elle-même et le bout de sa tige.
L’h dans le mot thrône était un vrai fauteuil.

Depuis qu’on écrit lis la fleur semble fanée;
Et le trône vacant ne dit plus rien à l’oeil,
Depuis que l’h est condamnée!

Q11 – T14 – 2m (v.14: octo ) Joseph Autran contribue à la ‘querelle de l’orthographe’, qui ne date pas d’hier.

(a.ch) Le sonnet La Vieille Orthographe pour l’exemple du lis évoque le long poème du même titre, de Méry :
« …Tandis que d’une tige et d’une fleur formé,
Le lys était pour nous un y embaumé. »

(C’est un avatar du cratylisme.)

Que t’a fait le sonnet, réponds-moi, cher moqueur, — 1873 (5)

Joseph AutranSonnets capricieux

A un dédaigneux

Que t’a fait le sonnet, réponds-moi, cher moqueur,
Pour que ta plume ainsi l’agace et le lutine?
En vain je fais valoir sa forme florentine,
Je ne désarme pas pour si peu ta rigueur.

« Le sonnet ne vient pas d’une source latine,
C’est étroit pour l’esprit, c’est chétif pour le coeur.
Hugo n’en fit jamais, pas plus que Lamartine.
L’océan ne tient pas dans un verre à liqueur ».

Je l’avoue en effet, ces colosses de gloire
Vous donnent quelque fois toute la mer à boire.
La bois-tu jusqu’au fond, critique mon ami?

Je ne sais; mais pour moi, sans être trop sévère,
Quand le verre est si grand je n’y bois qu’à demi,
Et, quand il est petit, j’avale tout le verre.

Q17 – T14 – s sur s

Pauvre, obscur, dédaigné, traîner partout la vie, — 1873 (1)

Athanase Forest Sonnets, chansons, boutades

La Loterie sociale

Pauvre, obscur, dédaigné, traîner partout la vie,
Vrai carcan à son cou jour et nuit appendu;
Riche, illustre, être en butte aux crachats de l’envie,
Et parfois fusillé, brûlé vif, ou pendu;

Dès que l’on prétend mordre, être à l’instant mordu;
Avoir toujours un pied qui tôt ou tard dévie
Du chemin qu’à tenir le seigneur Dieu convie
(Vieille histoire ayant nom le Paradis perdu );

N’avoir jamais de faim pleinement assouvie,
Qu’il s’agisse d’un fruit permis ou défendu;
Se bâtir en Espagne, à … mettons …. Ségovie,
Un château, comme un nid d’aigle, au roc suspendu;

Se voir une espérance à chaque instant ravie.
De tel roi, de tel grand flagorneur assidu,
Recevoir, l’oeil humide et le jarret tendu,
Mainte promesse, hélas, d’effet jamais suivie;

En rêves hériter de table bien servie
Et de beaux vases d’or artistement fondu,
Bref, organiser tout pour le cas de survie,
Puis, …., être le premier, là, sous terre étendu;

Ici gain louche, ailleurs très-clair désavantage,
Tels sont les lots divers, échus au grand partage,
Entre les fils d’Adam fait de force ou de gré!

Néammoins, il en est que refuse tout homme,
Qui s’est dit qu’en dehors du divin , du sacré ,
Tout n’est qu’un sot gâchis de vanités, en somme!

abab baab abab abba abab – T14 – Sonnet, avec cinq quatrains, plutôt long!

Je connais, à la Croix du ciel, un humble abri. — 1872 (47)

Amiel Journal

Sonnet

Je connais, à la Croix du ciel, un humble abri.
Autour de lui, le mal rugit ou se lamente,
Mais du monde à ses pieds expire la tourmente
Et la maison de paix dans l’orage a souri.

Dans la maison de paix l’atmosphère est clémente,
L’âpre hiver s’y transforme en printemps attendri,
Qu’on y porte une peine on en revient guéri
Un rayon la protège et la maintient charmante.

Douce maison de paix, le talisman vainqueur
Qui te fait trompher de ce monde moqueur
Quel est-il ? la gaîté, le pardon, la tendresse ?

Le goût pur ? le devoir & sa noble rigueur ?
La foi qui sait prier ? la pitié qui s’empresse ?
C’est tout cela fondu dans un trèfle de cœur.

Q16  T14

Dans la fraîche vapeur qui bleuit la ramure — 1872 (37)

Cabaner

A la Dame des lys

Dans la fraîche vapeur qui bleuit la ramure
Des saules éloignés, quand se lève le jour,
Viens assainir ton corps chaud d’une nuit d’amour,
Et le purifier des feux de ma luxure.

Et pardonne, être pur, dont la fierté n’endure
Qu’à peine, par bonté, l’inévitable cour
De mille adorateurs, si sur le pur contour
De tes seins froids, ma lèvre a laissé sa souillure.

Ange que ma caresse aurait dû courroucer,
Je jure, en mon remords, de ne plus offenser
La neige de tes chairs que jalousent les cygnes.

Désormais, sans désirs, mes regards sauront voir
Leurs tons, éclatants comme un beau matin, leurs lignes,
Mélancoliquement calmes comme un beau soir.

Q15 – T23 – dédié à Théodore de Banville