Archives de catégorie : T14 – ccd ede

L’amour sur le chemin dansait avec la peur — 1931 (7)

André Breton in Oeuvres (ed. pleiade, II)

L’amour sur le chemin dansait avec la peur
Car je portais le feu des étoiles aux vignes.
Il m’a fallu plus tard interpréter les signes
Des grands puits de pétrole et du désir trompeur.

Le jour se balançait, tendre comme un vapeur
Par-delà les talus couverts de fleurs malignes,
Les femmes qu’entrainait la lumière étaient dignes
De me guider brillant chèvrefeuille grimpeur.

Une aune de ruban merveilleux s’envolait
De chaque épave, un ciel fait de bouquets de lait
Aux apparitions donnait libre carrière.

Mon cheval approchait au galop de minuit
De ce poste le plus éloigné de la terre
Où depuis je suis mort et où mon âme luit

Q15  T14 – banv

Jusqu’au jour où la mort me touchera le front — 1931 (6)

Gérard d’Houville Les poésies

Les amis

Jusqu’au jour où la mort me touchera le front
Je veux aimer les habitants du noir rivage
Ceux qui, trop tôt pareils aux fantômes sans âge,
D’un rêve inassouvi peuplent le Styx profond.

Oui. Je le sais. Plus tard, au jour ils rentreront
Continuant le livre ou finissant la page,
Jeunes gens, jeune femme, et ce même visage
Interrogeant l’amour qui jamais ne répond…

Mais, avant de renaître en ces forces futures,
Encore, attendez-moi sur les rives obscures.
Bientôt j’arriverai. Car je veux vous revoir

Amis de ma jeunesse! Et vous dire, ombre d’ombre,
Tout ce que, lorsqu’on vit, on n’a pas le pouvoir
D’exprimer, que l’on tait, et qui, dans l’âme, sombre …

Q15- T14 – banv

Toi qui fends d’une habile rame — 1930 (2)

Vincent MuselliLes sonnets à Philis

L’épigramme

Toi qui fends d’une habile rame
Des flots de miel et de venin ,
Es-tu virile ou féminin,
Charmante ou charmant Epigramme?

De l’orgueil la plus forte trame,
Tu déchires d’un ongle nain,
Et tiens dans un rire bénin
Tous les poignards du mélodrame.

Tout est chez toi doute et conflit:
Si parfois ton ardeur faiblit,
C’est ta chute qui te relève:

L’on voit dans ton étroit discours
Le maître enseigné par l’élève,
La trahison portant secours.

Q15 – T14 – banv –  octo

Ce siècle est sans foi et je ne crois guère — 1930 (1)

Léon VeraneLe livre des passe-temps

Aveu

Ce siècle est sans foi et je ne crois guère
Au banquet promis prendre un jour ma part
Levant, à la fois, la lyre et le verre,
Parmi les élus auprès de Ronsard.

Errant de demain comme de naguère,
C’est assez, pour moi que le boulevard
Mène entre les haies de ses réverbères
Vers un tabouret au comptoir d’un bar.

Je n’appelle pas le Règne et le Trône,
Et tout couvre-chef m’est une couronne,
Satisfait d’avoir au fil des mes jours,

Bu d’un même cœur le vin et l’absinthe,
Et d’avoir conçu d’obscures amours,
Au long des trottoirs pour des filles peintes.

Q8 – T14 – tara

Si le parfait apprêt où mouvoir notre amour — 1929 (4)

Pierre FrayssinetPoésies (ed. 1931)

Si le parfait apprêt où mouvoir notre amour
N’est plus que le réel où s’est mué l’ombrage
Pour rire je bâtis aventureuse cage
L’ordinaire connu que précise le jour.

La ligne qui s’essaie à tenir le contour
De toute chose vue qui fait mon entourage
Exagère parmi l’intérieur paysage
Une chaise posée sur un espace court.

Si je m’y tiens voilà que le silence lie
Tout rêvé mouvement de mon corps qui s’oublie
A ne paraître rien dans le vide alentour

Et telle alors sera qu’une ivresse donnée
Dans l’engourdissement de ce prestige court
Le nu de ta langueur créole imaginée !

Q15  T14 – banv – y=x :d=a

Si le souci d’aimer me poise — 1929 (3)

Roger AllardPoésies légères

Coquelicot

Si le souci d’aimer me poise
Aux orges du prochain été
J’irai vers les bosquets hantés
Du lieu-dit « Au Goujon de l’Oise ».

L’Île de France aux yeux d’ardoise
En souriant voudra tenter
De ravir à vos cruautés
Le cœur à qui vous cherchez noise.

Mais en vain parmi les crins blonds
De cette reine des moissons
Rougira le pavot sauvage,

Pourrai-je désormais le voir
Refleurir à son avantage
Ailleurs que dans vos cheveux noirs?

Q15 – T14 – banv –  octo

Le soir violet s’est déployé sur ma fenêtre, — 1929 (2)

Louis ChadourneAccords

Le soir violet

Le soir violet s’est déployé sur ma fenêtre,
Il s’est levé de très loin, – par delà les mers,
Avec toute une finalité de non-être,
Comme un drapeau vineux sur les horizons clairs.

Viens, lève-toi, c’est l’heure. Ô ma vieille torture
Et toi, crève, œil sanguinolent de désespoir.
Mais vous dormez. Je sais, bien au-delà des soirs
Une Île où des parfums se traînent, chevelure! ….

Rêves pour notre Amour l’éternelle Jeunesse,
Ou tout au moins une éternité de promesse!
Apaisement, fleurs ou étoiles en veilleuses:

Sans plus jamais, jamais, les écroulements brusques
D’ombre, les fins des réveils de nuits très amoureuses,
Où la Mort fait couler ses doigts bleus sur nos nuques.

1913

Q60 – T14

O Sonnet, tes quatorze rimes, — 1929 (1)

Henri de RégnierVestigia Flammae

Frontispice

O Sonnet, tes quatorze rimes,
En leur ordre bien mesuré,
Ont je ne sais quoi de sacré
Pareil aux dépouilles opimes!

Pur joyau, honneur de nos rimes,
Ton or, avec art ajouté,
Enchâsse le reflet nacré
Des mots qu’avec soin nous polîmes.

Comme les conques de la mer
Que travaille le flot amer
Au gouffre bleu que nul ne sonde,

Tu conserves tous les échos,
O Sonnet à la vie profonde,
En tes méandres musicaux!

Q15 – T14 – banv – octo  – s sur s

Comme un beau vase il doit être parfait ou plein. — 1928 (10)

Mathilde Delaporte Sonnets

Le sonnet

Comme un beau vase il doit être parfait ou plein.
Lorsqu’il est vide il faut, sans tache et sans jaspure,
Que les vers, épousant l’harmonieuse épure,
Soient d’un corps précieux, opaque ou cristallin.

Qu’on tremble d’y toucher, si l’on n’est pas enclin
A chercher au travers des mots la forme pure !
Pour oser modeler la parfaite courbure,
Il faut être un Seigneur de l’art, par un Vilain.

Cependant j’ai tenté la tâche difficile,
Et les flancs imparfaits de mon vase d’argile,
S’emplissent lentement d’une rare liqueur,

Ayant pour concentrer l’atome qu’il réclame,
Pressé de mes deux mains ma pensée et mon cœur
J’ai pu dans le Sonnet mettre des gouttes d’âme.

Q15  T14  s sur s