Archives de catégorie : T36 – cde cde

Le Ville de Strasbourg (commandant Lehalleur) — 1996 (5)

Henri Bellaunay Nouvelle anthologie imaginaire de la poésie française


Eastwards

Le Ville de Strasbourg (commandant Lehalleur)
A trente mille pieds s’approche de Java
Quelques moments encore et l’avion plongera
Dans l’épaisseur d’un air aux malsaines touffeurs.

Sans un regard pour le hublot, sombre, rêveur
Dans sa première classe il ne voit même pas
Le geste harmonieux et fugitif du bras
De l’hôtesse versant un dernier J.Walker …

Et cependant il fait une belle carrière.
Ce n’est pas si commun d’être, à moins de trente ans
Attaché militaire adjoint à Djakarta.

Mais sa vie est obscure et pleine de mystère …
Il pense, dans l’avion qui se présente au vent
A la pipe d’opium qu’il va trouver là-bas.
(H J-M Levet)

Q15 – T36

Les années se vident mais du côté de la pente — 1978 (4)

? Inimaginaire IV

Les années se vident mais du côté de la pente
revenir en regardant pas besoin que chaque
mocassin épuise l’empreinte dès que chaque
feuille se vide du côté de la pente

et des années sans matière à toute la pente
les escargots et les nourrices plus que chaque
vieillard n’en retourne sous la feuille si chaque
année se vide cesse quelque part la pente

où venir sans regarder? le bol? il s’y cache
ou verse fourmis sous la stère de ses portes
le soleil les années se vident il n’écoute

la chaleur pas plus que la pente ne la cache
ni l’eau revient en regardant sous les portes
les années qu’on se vide et chaque et l’écoute

Q15 – T36 – y=x :  c=a – toutes les rimes sont des mots-rimes répétés identiquement

Avec les sentiments de nos sens analogues, — 1970 (6)

Jean Queval En somme


Déclaration d’indépendance

Avec les sentiments de nos sens analogues,
L’intelligence existe, existant plus ou moins
La volonté voudrait casser les équivoques
Trois facteurs qu’on ordonne en des écrits témoins.

Il y a le langage où se fait notre langue
La sensibilité registre et notation
Soit les pouvoirs moraux dépouillés de leur gangue
Ce sont là matériaux, suit la cogitation :

Tu corrigeras donc en silence le trait
De ton discours patient impatient d’une rose
Tout le temps te tairas aux échos importuns :

Quand par démonstration le vrai sens est soustrait
Quand la pensée se pense et se complaît morose
Borgne et sourd nul poète en un morne écrivain.

Q59  T36

Vous qui surprenez dans mes vers le bruit — 1945 (1)

Aragon V sonnets de Pétrarque

1

Vous qui surprenez dans mes vers le bruit
De ces soupirs dont j’ai nourri mon cœur
Dans ma première et juvénile erreur
Quand j’étais homme autre que je ne suis

Aux tons divers dont je plains mes ennuis
Suivant l’espoir vain la vaine douleur
Si l’un comprend l’amour par son malheur
J’attends pitié non point pardon de lui.

Mais je vois bien comme je fus la fable
Du peuple entier longtemps et le tourment
Au fond de moi de la honte m’en ronge

Jours égarés j’en garde seuls durables
Ce repentir et clair entendement
Tout ce qui plaît au monde n’est qu’un songe

Q15 – T36 – déca – tr

Et puis en somme, et malgré tout, — 1900 (12)

Camille Mauclair Le sang parle


Epilogue,     III

Et puis en somme, et malgré tout,
Que j’aie été mauvais ou fou,
Voici des vers et des pensées
Qui vous seront fruits et rosées.

Voici bien des choses blanches,
Toute lueur qui fut en moi,
Toute la source qui s’épanche,
Et mon cœur aride en fait foi.

Franchissez-vous, goûtez l’arôme,
Que votre cœur vous soit très doux!
Entendez la source qui pleure …

J’étais le verre, et voici le baume,
Le flacon est brisé, parfumez-vous,
Mon glas ne sonne pas votre heure …

Oubliez-moi, mais aimez-vous.

Q56- T36 + d –   y=x (d=a) – 15v  octo

De la quête ingénue, aussi émouvante — 1894 (7)

Marie KryzinskaJoies errantes

à Luce Colas

De la quête ingénue, aussi émouvante
que la grâce des paysages normands,
où, parmi les doux feuillages bruissants
l’eau coquette miroite, court, enchante.

Le cher souci d’Art a mis dans ses yeux gris,
rieurs de malice, un rien de graves songers,
mais sa bouche demain le fruit frais des vergers
aimés de Watteau et tout parfumés d’esprit.

Le siècle des fossettes et des bergeries,
des amours, des rubans et des coeurs aux abois,
semble l’avoir ornée pour le plaisir des yeux;

et c’est aussi le charme exquis des causeries
tendres et raisonneuses des Dames d’autrefois
qui ressuscite en elle par le vouloir des Dieux.

Q63 – T36 – métrique irrégulière, plutôt 11s

Silencieusement, la Nuit qui s’épanchait — 1991 (29)

–       Emmanuel Signoret in Le Saint-Graal

La pente des heures

Silencieusement, la Nuit qui s’épanchait
Etreignait d’ombre molle et croissante les choses,
La Nuit tombait des cieux telle une pluie de roses :
Comme se fane un pré, pâlissaient les objets.

Et c’étaient des soupirs sous les gazons qu’immerge
L’ombre inondante ainsi qu’un fleuve débordé –
La robe de la Nuit effleurait les archets
Qui luisent, endormis parmi les fleurs des berges !

Nos croisées s’entr’ouvraient comme des yeux, riant
Au paysage blanc couché sous nos croisées
Mais soudain tout le ciel d’étoiles palpita.

L’Aube en des lys ardents couchée à l’Orient
Tressaillit allumant sur les fleurs, les rosées –
Jeanne, qui dans ses yeux porte l’Aube, chanta !

Q52  T36

Un soir, en visitant la vieille cathédrale — 1876 (3)

Catulle Mendès Les Poésies

Frédérique

Un soir, en visitant la vieille cathédrale
Gothique dont j’aimais les clochetons sans pairs,
Au bas de l’escalier qui se tord en spirale,
Je te vis, ô ma pâle allemande aux yeux pers!

Lasse, tu t’accoudais à la pierre murale,
Pauvre ange endolori tombé des cieux aperts!
Et ton regard tout plein de cendres aurorales
Eclaira doucement la nuit où je me perds.

Goutte de miel échue à mon âpre calice!
J’aspirai parmi l’air qu’embaume l’encensoir
Tes cheveux odorants comme un acacia.

Tu priais, à genoux, sur une pierre lisse,
Et près de toi, dans l’ombre, étant venu m’asseoir
Je te dis ‘Liebst du mich? » tu me répondis «  »Ia« !

Q8 – T36 – La disposition des rimes des tercets est celle qui est la plus fréquente chez Pétrarque: cde cde. Elle oblige à violer la règle d’alternance (encensoir/ acacia)  – Dernier vers sublime de sublimité franco-allemande.

Ni dans les cieux étoiles voyageuses, — 1847 (1)

Emma Méhul Cent cinquante sonnets … traduits… de Pétrarque

Ni dans les cieux étoiles voyageuses,
Ni dans les champs beaux et fiers étrangers,
Ni dans les bois faons joyeux et légers,
Ni sur les mers voiles blanches nombreuses;

Ni d’un bien cher des nouvelles heureuses,
Ni de l’amour les discours mensongers
Ni dans les près ou sous les orangers
Douces chansons de femmes vertueuses;

Ni rien jamais ne touchera mon coeur,
Tant a su bien sous sa pierre avec elle
L’ensevelir, ma clarté, mon miroir.

Pour moi la vie est un poids de douleur:
Je veux mourir afin de revoir celle
Qu’il eût valu beaucoup mieux ne pas voir.

Q15 – T36 – déca – rvf  Traduction du sonnet 312 ( ‘Né per sereno ciel ir vaghe stelle« ) de Pétrarque qui respecte (chose rarissime) la disposition des rimes de l’original (ce qui implique aux vers 11-12 une violation de la règle d’alternance)