Archives de catégorie : banv

Quatorze pieds! Pourquoi mes vers ont-ils quatorze pieds? — 1919 (7)

Henry Céard Sonnets de guerre

Explication

Quatorze pieds! Pourquoi mes vers ont-ils quatorze pieds?
C’est que lassé, depuis longtemps, par l’antique hexamètre
Ankylosé, fourbu, boiteux, j’ai prétendu lui mettre
Deux béquilles, deux pieds de plus, comme aux estropiés.

Hardiment, j’ai rayé l’alexandrin de mes papiers!
Et l’avenir, hors du néant, me tirera peut-être
Pour d’inusités vers, ouvrés sans modèle, sans maître
Et sur aucun patron connu, coupés ou copiés.

Suivant l’accent, je place et déplace la césure.
J’en mets une, deux trois, quatre, et le sens et la mesure
Au lieu de se trouver gênés demeurent agrandis.

La règle peut changer: tout change. Alors risquons l’épreuve
De transformer des procédés trop pratiqués jadis.
– Si l’essai n’est pas bon du moins la tentative est neuve.

Q15 – T14 – banv – 14s – Illusion: il y a déjà eu des sonnets en vers de quatorze syllabes!

Il était, au delà des jeunes frénésies, — 1919 (1)

Francis JammesLa vierge et les sonnets

I

Il était, au delà des jeunes frénésies,
Un coin inaccessible & noir dans la forêt.
Cette forêt était mon cœur, ce coin secret,
La source où s’en venaient boire mes poésies.

Que si je t’ai jamais aimée, enfant choisie,
Si mon rythme a jamais gémi sur tes bras frais,
Je te cachai cette heure où je me retirais
Pour écouter le flot où nageait l’harmonie.

Je t’adresse aujourd’hui cette confession:
Laissant l’échelle d’or et ses illusions,
Quand s’effeuillait dans l’agrandissement des choses,

A travers le pertuis des dômes de ces bois,
Sur l’eau pure, un couchant fait de bouquets de roses,
C’est Dieu que j’appelais, je m’éloignais de toi.

Q15 – T14 – banv

Vous qui logez à quelques pas — 1918 (2)

Paul Valéry Lettre à André Gide

 » … quant à la Voisine, je lui ai envoyé ce sonnet au lieu de fleurs ou chocolat. Je crois qu’il était ainsi  »

Sonnet à madame Lucien Muhlfeld

Vous qui logez à quelques pas
De ma littéraire cuisine,
Noble dame, bonne voisine,
Voici mes fruits qui ne sont pas

Dans la laque ni le lampas,
Ni de Boissier fruits de l’usine,
Mais ce sont fruits de Mnémosyne
Qui sait confire ses appas.

Croquez, mordez les rimes qu’offre
Le sonnet au bizarre coffre,
Non ouvré par les fils du ciel;

Et choisissez dans une gangue
De mots collés selon leur miel
La noix fondante sur la langue!

« Je t’assure qu’il n’est pas si mauvais que ça. Il faut que la fin fasse mal aux dents. Avec un peu de travail on y serait arrivé. »

Q15 – T14 – banv –  octo

La guerre a fait le plus grand tort — 1915 (12)

Henri Béraud Glabres


VIII  Le pessimiste

La guerre a fait le plus grand tort
Au commerce du parapluie,
La clientèle s’est enfuie,
Comme hirondelle au vent de mort.

Monsieur Bibelot se plaint fort,
Etant de cette confrérie
Chez qui l’amour de la Patrie
S’aune aux fentes du coffre-fort.

Il aspire à la paix. N’importe
Quelle paix ! Le morne cloporte
Soudain se mue en Ezéchiel,

Et dresse, au seuil de sa boutique,
L’ombre aboyeuse vers le ciel
D’une frousse apocalyptique.

Q15  T14  – banv – octo

France, France, la douce, entre les héroïnes — 1915 (8)

D’Annuzio in Guy Tosi : La vie et le rôle de D’Annunzio en France au début de la Grande Guerre (1961)

France, France, la douce, entre les héroïnes
Bénies, amour du monde, ardente dans la croix,
Comme aux murs d’Antioche, alors que Godefroi
Sentait sous son camail la couronne d’épines,

Debout avec ton Dieu comme au pont de Bouvines,
Dans ta gloire à genoux comme au champ de Rocroi,
Neuve immortellement comme l’herbe qui croît
Au bord de tes tombeaux, au creux de tes ruines,

Fraîche comme le jet de ton blanc peuplier,
Que demain tu sauras en guirlandes plier
Pour les chants non chantés de ta jeune pléiade,

Ressuscité en Christ, qui fais de ton linceul
Gonfanon de lumière et cotte de croisade,
« France, France, sans toi le monde serait seul »*

* Hugo – La légende des Siècles – les fléaux

Q15  T14 – banv –

Ce sont des vases peints, Étranger curieux, — 1914 (12)

Hérédia Les Trophées (ed.1914)

LE KRATÈR

Ce sont des vases peints, Étranger curieux,
Les uns hauts d’une palme et d’autres d’une orgye,
Qui sur leur galbe étroit ou leur panse élargie
Font tourner, rouge ou noir, tout l’Olympe à tes yeux.

Choisis : canthare, amphore ou rhyton?… Mais, j’ai mieux :
Le potier modelant la terre de Phrygie
Du sang viril d’Atys molle encore et rougie,
A formé ce Kratèr pour l’ivresse des Dieux.

Vois. Il est sans défaut du bord jusqu’à la base.
Certe, il sera payé par quelque Pharnabaze
Au prix d’un bassin d’or, d’électrum ou d’argent.

Euphronios a fait ce chef-d’oeuvre d’argile
Qu’il signa de sa pointe illustre, le jugeant
D’autant plus précieux qu’il le fit plus fragile.

Q15  T14 – banv

Au flanc du Cithéron, sous la ronce enfoui — 1914 (11)

Hérédia Les Trophées (ed.1914)

SPHINX

Au flanc du Cithéron, sous la ronce enfoui
Le roc s’ouvre, repaire où resplendit au centre
Par l’éclat des yeux d’or, de la gorge et du ventre,
La Vierge aux ailes d’aigle et dont nul n’a joui.

Et l’Homme s’arrêta sur le seuil, ébloui.
—  Quelle est l’ombre qui rend plus sombre encor mon antre?
— L’Amour. — Es-tu le Dieu? — Je suis le Héros. — Entre ;
Mais tu cherches la mort. L’oses-tu braver? — Oui.

Bellérophon dompta la Chimère farouche.
— N’approche pas. — Ma lèvre a fait frémir ta bouche.
— Viens donc! Entre mes bras tes os vont se briser;

Mes ongles dans ta chair… — Qu’importe le supplice,
Si j’ai conquis la gloire et ravi le baiser?
— Tu triomphes en vain, car tu meurs..— 0 délice!…

Q15  T14 – banv

Il se sera perdu le navire archaïque — 1913 (11)

Antonin Artaud in Oeuvres complètes, I

Le navire mystique

Il se sera perdu le navire archaïque
Aux mers où baigneront mes rêves éperdus;
Et ses immenses mats se seront confondus
Dans les brouillards d’un ciel de bible et de cantique.

Un air jouera, mais non d’antique bucolique,
Mystérieusement parmi les arbres nus;
Et le navire saint n’aura jamais vendu
La très rare denrée aux pays exotiques.

Il ne sait pas les feux des heures de la terre.
Il ne connaît que Dieu et sans fin solitaire
Il sépare les flots glorieux de l’infini.

Le bout de son beaupré plonge dans le mystère.
Aux points de ses mâts tremble toutes les nuits
L’argent mystique et pur de l’étoile polaire.

Q15 – T14 – banv –  paru dans La criée n°15, 1922 – transcrit de mémoire en 1944