Archives de catégorie : carn

Q8 – T15

Dans des gouffres nimbés d’auréoles rosâtres, — 1894 (17)

Revue de l’Est

Deux maîtresses en une

Dans des gouffres nimbés d’auréoles rosâtres,
Où transparaît l’horreur d’un enténèbrement,
Je trace tes contours sur les célestes plâtres
Qui tapissent le bleu morne du firmament !

Sur la palette d’or des lunes idolâtres,
J’étale la couleur de ton rose piquant,
Et le halo des nuits vient ceindre tes albâtres
De ton flanc callipyge, où clame mon tourment !

Alors tu te fais chair, chair de jeune maitresse,
Des hurlantes amours recélant la caresse,
Dans l’ondulation d’un frêle corps d’enfant!

Tes reins ont des serpents les plis noueux et lisses,
Tes yeux ont les éclairs de leurs yeux, et tes cuisses
L’élastique rondeur des trompes d’éléphant !

(Louis Baboulet)

Q8  T15

Dieu mit sur votre front la fierté d’une reine ; — 1991 (33)

Louis Capillery in L’année des poètes

Sans cœur

Dieu mit sur votre front la fierté d’une reine ;
Puis, prenant deux saphirs sur son royal bandeau,
Lui-même, il cisela vos grands yeux de sirène,
Brillants, comme au soleil brillent deux gouttes d’eau.

Quand il vous eut donné cet air de souveraine,
Il mit dans votre voix un ramage d’oiseau,
Quelque chose de doux, de languissant, qui traîne
Comme le chant lointain que soupire un roseau.

Sur vos lèvres qu’entr’ouvre un sommeil, il fit naître
Ce sourire de sphinx, si profond que, peut-être,
Nul ne saura jamais s’il est triste ou moqueur.

Alors, vous contemplant, il vous trouva si belle
Que, n’osant plus toucher à son oeuvre nouvelle,
Sous votre sein d’ivoire il oublia le cœur.

Q8  T15

Vieil idéal manchot des mornes architectes — 1891 (23)

L’Ermitage

Georges Fourest

A la Vénus de Milo
‘Aux quinze-vingts le vieil Homère et toi cascade, Hortense, ma fille’ Jules Vallès

Vieil idéal manchot des mornes architectes
Sortis premiers de l’Ecole des Vilains-Arts;
Paros mal retrouvé par les benêts hasards,
Keulla-Reduction pour cracheurs de Pandectes

Plâtre durci sur la tronche pleine d’insectes
Des petits Italos, article de bazars,
Nulle en bizarre et bon nanan des vieux busards
Chez Balandard sur la pendule où tu t’objectes!

Paganisme des quincaillers! Bronze en toc! Zinc!
Sache que les adorateurs du marquis Tseng,
Ceux qu’un magot, poussah falot, séduit et botte,

O mijaurée, ont renversé ton piédestal
Et qu’ils ont mis dans un Panthéon de cristal
Ta Soeur négresse aux longs têtons: la Hottentote!

Q15 – T15

Un sonnet, dites-vous, savez-vous bien, madame, — 1891 (12)

Henri Meilhac Le concours de La Plume

Un sonnet, dites-vous, savez-vous bien, madame,
Qu’il me faudra trouver trois rimes à sonnet?
Madame, heureusement, rime avec âme et flamme
Et le premier quatrain me semble assez complet.

J’entame le second, le second je l’entame,
Et prends en l’entamant un air tout guilleret.
Car ne m’étant encor point servi du mot âme
Je compte m’en servir et m’en sers en effet.

Vous m’accorderez bien, maintenant, j’imagine,
Qu’un sonnet sans amour ferait fort triste mine,
Qu’il aurait l’air boiteux, contrefait, mal tourné.

Il nous faut de l’amour, il nous en faut quand même,
J’écris donc en tremblant: je vous aime, je t’aime,
Et voilà, pour le coup, mon sonnet terminé

Q8 – T15 – s sur s

O mon noble pays ! ils avaient cru naguère, — 1890 (27)

Alcide Chapeau in L’Aurore

Patrie
Gloire à la France au ciel joyeux,
Si douce au cœur, si belle aux yeux,
Sol béni de la Providence,
Gloire à la France
P.DEROULÈDE

O mon noble pays ! ils avaient cru naguère,
Ces bandits d’Outre-Rhin, t’asservir à jamais ;
Des désordres sanglants de leur brutale guerre
Te croyant impuissante à supporter le faix !

Se ruant sur ton sol, et traitant de chimère,
De tes fils opprimés la gloire et les hauts faix,
Dans leur coupable orgueil, ils avaient cru sur terre
Anéantir jusqu’au nom si beau de français !

Forte de ton mandat, ô ma France adorée,
Va, poursuis ici-bas ta mission sacrée :
Tu ne saurais périr, flambeau du genre humain !

Aussi, vers le progrès qui grandit et féconde,
C’est toi, longtemps encor, qui conduira le monde,
Quoique puisse tenter l’audacieux Germain.

Q8  T15  bi  poème couronné au premier concours de l’Aurore

O ravissant moulin, pittoresque séjour, — 1890 (21)

A.Ellivedpac (Capdeville) in L’Aurore

Le joli moulin

O ravissant moulin, pittoresque séjour,
Voici le gai tic-tac de la meule joyeuse,
Que l’écume des flots recouvre tour à tour
De dentelle d’argent et d’hermine soyeuse

Avec le deux Babot, compagne de l’Amour,
Arrive de la ville, et, là-bas, sous l’yeuse
Elle prépare alors le boudin, un du jour,
Bravo ! charmante épouse à l’humeur travailleuse.

Le mari beau gaillard apprête un gros baiser
A l’ombre du total, où viennent se poser
Les effrontés pierrots tout neigeux de poussière.

Oiseaux enfarinés j’aime votre doux chant,
Rivière de cristal, je t’adore et pourtant
Je préfère au moulin … la gentille meunière!

Q8  T15  Sonnet-charade . (Prime : 1 timbre en caoutchouc aux initiales du lauréat)

D’autres auront le bruit, la gloire, — 1890 (4)

Edouard GrenierPoèmes épars

Renoncement

D’autres auront le bruit, la gloire,
Et leur nom partout répété;
Le mien s’éteindra sans mémoire,
Comme s’il n’eut jamais été.

Mais qu’on marque ou non dans l’histoire,
Rien ne vaut d’être regretté.
La vie est un rêve illusoire,
Le songe d’une nuit d’été.

Obscur ou glorieux, qu’importe!
La mort d’un seul coup d’aile emporte
Tous nos vains désirs – et c’est bien!

La gloire est d’être aimé. S’il tombe
Une ou deux larmes sur ma tombe,
Il suffit: le reste n’est rien.

Q8 – T15 – octo

Je n’en ferai qu’un seul ! il sera pour ta fête ! 1889 (31)

Louis Franc L’herbier

Sonnet unique

Je n’en ferai qu’un seul ! il sera pour ta fête !
Que de fois tu m’as dit, quand ce jour revenait,
« Eh bien ! trouverez-vous encore une défaite ?
Mon nom réclame un chant : s’il vous en souvenait !

Vous amant ! dont la plume et dont l’âme est muette !
Offrez-moi donc alors des bonbons en cornet.
Eh quoi ! pour inspirer n’ai-rien ? Vous poète !
Ah ! sauvez votre honneur au moins par un sonnet ! »

Le pourrai-je ? un sonnet c’est un bouquet de rimes !
Mais comment voir ta bouche ainsi traiter de frimes
Mon art et mon amour ! Au contraire dis-toi :

Ce lui fut une tendre et bien douce corvée !
Puis il brisa le moule après l’oeuvre achevée,
Pour qu’elle fût unique et n’appartînt qu’à moi.

Q8  T15  s sur s

Le poupard était bon: le raille nous aggriffe, — 1889 (11)

Marcel Schwob Oeuvres de Jeunesse

L’emballage

Le poupard était bon: le raille nous aggriffe,
Marrons pour estourbir notre blot dans le sac.
Il fallait être mous tous deux comme une chiffe
Pour se laisser paumer sur un coup de fric-frac.

Nous sommes emballés sans gonzesse, sans riffe,
Où nous faisions chauffer notre dard et son crac
Chez le bistrot du coin, la sorgue, quand on briffe
En se palpant de près, la marmite et son mac.

Le mazarot est noir; pas de rouges bastringues,
Ni de perroquets noirs chez les vieils mannezingues;
Il faut être rupin, goupiner la mislocq.

Bouffer sans mettre ses abatis sur la table
Et ne pas jaspiner le jars devant un diable;
Nous en calancherons, de turbiner le chocq.

Q8 – T15  argot poupard : se dit d’un bébé grassouillet