Archives de catégorie : carn

Q8 – T15

Dans cette époque ardente où la vapeur est reine, — 1874 (2)

A. de Gagnaud (ed.) – Almanach du sonnet pour 1874. Sonnets inédits publiés avec le concours de 150 sonnettistes – Aix –

Dans cette époque ardente où la vapeur est reine,
Où les jours, plus pressés, pour tous semblent courir,
L’idéal, exilé de sa sphère sereine,
De rêves longs et doux ne peut plus se nourrir.

Le fait parle en despote, et sa voix souveraine
Nous dit: il faut marcher et ne plus discourir,
Car la vie, aujourd’hui, n’est qu’une grande arène,
Où l’on entre à son tour pour lutter et mourir.

Dans cette course folle, où s’agiter c’est vivre,
Eh, qui donc a le temps de composer un livre,
Comme pour le présent écrit pour l’avenir?

Le sonnet, par sa forme exacte et condensée,
Répond à notre hâte, en servant la pensée,
Et par un dernier trait l’impose au souvenir.

Auguste de Vaucelle

Q8 – T15 – s sur s

Mousse: il est donc marin, ton père? …— 1873 (30)

Tristan Corbière   Les Amours jaunes

Le mousse

Mousse: il est donc marin, ton père? …
– Pêcheur. Perdu depuis longtemps.
En découchant d’avec ma mère,
Il a couché dans les brisants …

Maman lui garde au cimetière
Une tombe – et rien dedans. –
C’est moi son mari sur la terre,
Pour gagner du pain aux enfants.

Deux petits. – Alors, sur la plage,
Rien n’est revenu du naufrage? …
– Son garde-pipe et son sabot …

La mère pleure, le dimanche,
Pour repos … Moi: j’ai ma revanche
Quand je serai grand – matelot! –

Baie des Trépassés.

Q8 – T15 – octo

Ô croisée ensommeillée, — 1873 (26)

Tristan Corbière   Les Amours jaunes

Sonnet de nuit

Ô croisée ensommeillée,
Dure à mes trente-six morts!
Vitre en diamant, éraillée
Par mes atroces accords!

Herse hérissant rouillée
Tes crocs où je pends et mords!
Oubliette verrouillée
Qui me renferme … dehors!

Pour Toi, Bourreau que j’encense,
L’amour n’est donc que vengeance? …
Ton balcon: gril à braiser? …

Ton col: collier de garotte? …
Eh bien! ouvre, Iscariote,
Ton judas pour un baiser!

Q8 – T15  7s

Beau chien, quand je te vois caresser ta maîtresse, — 1873 (21)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Sonnet à Sir Bob
chien de femme légère, braque anglais pur sang.

Beau chien, quand je te vois caresser ta maîtresse,
Je grogne malgré moi – pourquoi? – Tu n’en sais rien…
– Ah! c’est que moi – vois-tu – jamais je ne caresse,
Je n’ai pas de maîtresse, et … ne suis pas beau chien.

Bob! Bob! – Oh! le fier nom à hurler d’allégresse! …
Si je m’appelais Bob … Elle dit Bob si bien! …
Mais moi je ne suis pas pur sang. – Par maladresse,
On m’a fait braque aussi! … mâtiné de chrétien.

– Ô Bob! nous changerons, à la métempsycose:
Prends mon sonnet, moi ta sonnette à faveur rose;
Toi ma peau, moi ton poil! – avec puces ou non …

Et je serai sir Bob! – Son seul amour fidèle!
Je mordrai les roquets, elle me mordrait, Elle! …
Et j’aurais le collier portant Son petit nom.

British channel. 15 may.

Q8 – T15

Vers filés à la main et d’un pied uniforme, — 1873 (20)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

I
Sonnet

Avec la manière de s’en servir
Réglons notre papier et formons bien nos lettres

Vers filés à la main et d’un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton;
Qu’en marquant la césure, un des quatre s’endorme ….
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.

Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme;
Aux fils du télégraphe: – on en suit quatre, en long;
A chaque pieu, la rime – exemple: chloroforme.
– Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.

Télégramme sacré – 20 mots – Vite à mon aide…
(Sonnet – c’est un sonnet – ) ô Muse d’Archimède!
– La preuve d’un sonnet est par l’addition:

– Je pose 4 et 4=8! Alors je procède,
En posant 3 et 3! – Tenons Pégase raide:
« Ô lyre! Ô délire! Ô… » – Sonnet – Attention!

Pic de la Maladetta. – Août.

Q8 – T15 – s sur s – On comparera ce ‘sonnet sur le sonnet’ de Corbière aux autres exemples contenus dans ce choix.

(a.ch)  » Dans son sonnet sur le sonnet, Corbière, horribile auditu, a fait un vers faux :
Je pose 4 et 4=8! Alors je procède, Même si on ne dit pas « égal » :
Je pose quatre et quatre : huit Alors je procède = 13 syllabes car huit a un h aspiré. Le vers n’est correct qu’oralement »

Il est mort le poète aux rimes enflammées, — 1872 (46)

Alfred Gabrié in Dominique Fernandez : Ramon (2009)

Sonnet (poème manuscrit sur la mort de Théophile Gautier)

Il est mort le poète aux rimes enflammées,
Le chantre d’Albertus, ouvrier glorieux,
Qui de son style d’or cisela les Camées,
Et sur l’art pur posa son pied victorieux.

Amoureux de la forme, il chante les Almées,
Les rêves de la chair, doux et mystérieux ;
Les chauds enivrements, les passions calmées,
Et dans tout il posa son regard curieux.

Son vers, tout parfumé de parfum poétique,
Fait revivre en nos cœurs le culte de l’Antique,
Seul Dieu qu’il adorât plus que les chastes Soeurs ;

Mais hélas ! lui, poète ennemi du squelette,
Sous notre loi moderne a dû courber la tête,
Et livrer son cadavre aux sombres fossoyeurs!

Q8  T15

Sous sa peau jaune et sèche on voit saillir les os. — 1872 (44)

La ligue des poètes

La femme maigre

Sous sa peau jaune et sèche on voit saillir les os.
On compte sans effort les côtes, les vertèbres,
Qui dessinent en creux sa poitrine et son dos.
Pitoyables reliefs, revêtements funèbres !

Les bras sont des bâtons ; les jambes, des fuseaux.
Les appas, ignorés dans de justes ténèbres,
Plats, recroquevillés, adorent à huis clos,
Mais, hélas ! de trop loin, le feu, comme les Guèbres.

Bondissant au seul nom d’amour, de volupté,
Son cœur mendie en vain : nul n’a de charité
Pour ce vieil amadou qui quête une étincelle.

Enfin, dans la prière ardente et les romans,
Ayant trompé sa soif, aiguisé ses tourments,
Pauvre lampe sans huile, elle meurt demoiselle.

Hégésippe Cler

Q8  T15

Colosse féminin, citadelle charnue, — 1872 (43)

La ligue des poètes

La femme grasse

Colosse féminin, citadelle charnue,
Elle traîne en soufflant son corps pharamineux.
Rien qu’à lever un doigt, elle rougit et sue.
Oter, mettre ses bas, travail vertigineux !

Pour contenie sa taille, où la graisse remue,
Il n’est pas de lacets, de cordons ni de nœuds.
Spectacle plein d’horreur ! On voit, quand elle est nue,
Trembloter vaguement ses seins gélatineux.

Elle est femme, pourtant. Colombe poétique,
Il faut à ses baisers quelque jeune homme étique,
Depuis que son mari, vaillant jouteur, n’est plus.

Hélas ! un accident le ravit à sa flamme.
Sur sa couche, une nuit, rêvant, la pauvre dame
Se retourna si mal qu’elle s’assit dessus !

Hégésippe Cler

Q8  T15

Comme eux, faut-il entrer en lice — 1872 (41)

–                La Ligue des poètes

Comme eux, faut-il entrer en lice
Avec un sabre de carton ?
Pour moi ce serait un supplice,
Car j’ai de la barbe au menton.


Mais, s’il faut boire à ce calice,
Moi, vieux disciple de Caton,
Je veux, pour punir leur malice,
Armer mon bras d’un gros bâton.


Guerre aux ennemis de la LIGUE !
Sachons opposer une digue
Aux erreurs dont ils sont imbus,


Pour ne pas tomber dans leur trappe,
Amis, il est temps que l’on frappe
Sur l’ignorance et ses abus !

Le Vicomte C. de Roussillon

Q8  T15  bouts-rimés   octo

Allons, frères, debout ! prouvons par cette lice — 1872 (40)

–                La Ligue des poètes

Allons, frères, debout ! prouvons par cette lice
Que nous ne sommes pas des êtres de carton,
Qu’on peut, de mauvais vers, éviter le supplice
Au lecteur, sans avoir de la barbe au menton.


Pourtant, de la critique, acceptons le calice ;
Qu’elle atteigne chacun, Epicure ou Caton.
Qu’elle tienne surtout, mais sans fiel ni malice,
Tous les auteurs malsains courbés sous son bâton !


En avant ! levons-nous, fiers enfants de la LIGUE !
Par nos vers chaleureux, opposons une digue
Aux préjugés dont tant d’aveuglés sont imbus.


O préjugé ! caveau dont l’étouffante trappe,
En tombant sur l’esprit, d’impuissance le frappe !
De force et de sottise inconcevable abus !

Eugénie Marchant

Q8  T15  bout-rimés