Archives de catégorie : formules secondes

formules dérivées des formules principales par renversement des tercets

Le temple est en ruine au haut du promontoire. — 1893 (10)

José Maria de HerediaLes Trophées

L’oubli

Le temple est en ruine au haut du promontoire.
Et la mort a mêlé, dans ce fauve terrain,
Les Déesses de marbre et les héros d’airain
Dont l’herbe solitaire ensevelit la gloire.

Seul, parfois, un bouvier menant ses buffles boire,
De sa conque où soupire un antique refrain
Emplissant le ciel calme et l’horizon marin,
Sur l’azur infini dresse sa forme noire.

La Terre maternelle et douce aux anciens Dieux
Fait à chaque printemps, vainement éloquente,
Au chapiteau brisé verdir une autre acanthe;

Mais l’Homme indifférent au rêve des aïeux
Ecoute sans frémir, du fond des nuits sereines,
La Mer qui se lamente en pleurant les Sirènes.

Q15 – T30

Du ciel brumeux le soleil blanc semble descendre — 1892 (12)

– ? in  L’année des poètes

Roses de Nice
sonnet bicésuré

Du ciel brumeux le soleil blanc semble descendre
Pour s’abîmer à tout jamais sur l’horizon ;
On l’entrevoit dans le brouillard, comme un tison
Près de s’éteindre et se voilant d’un peu de cendre.

Le rude hiver a, ces jours-ci, fini d’épandre
Les feuilles d’or sur les trottoirs et les gazons ;
Les fleurs de glace ont remplacé les floraisons
Qu’aux vers rameaux, jusqu’en automne, on voyait pendre.

– Mais, dans la rue, où quelque vieux vend des bouquets,
Une drôlesse au rire obscène, aux lourdes hanches,
Se fait payer par un voyou des roses blanches.

– Boutons frileux qu’à son corsage elle a piqués,
Fleurs qui, pour elle, agonisez sous les rafales,
Que je vous plains de mourir là, fleurs virginales !

Q15  T30  alexandrins en 3 segments : 4+4+4

Vaine aurore! Si des larmes voilent un rire, — 1892 (3)

André FontainasLes vergers illusoires

Vaine aurore! Si des larmes voilent un rire,
Sont-elles en présage à nos fuites de joies
Qu’auraient les yeux d’une autre à suivre un jeu de soies
En frissons brefs au long des parois de porphyre?

Mais nul geste que l’aube encore ne s’y mire
Au fantastique épars de ce que tu déploies,
Ou, verbe, ne s’y grave en hymnes, jeunes proies
A promulguer: rien n’est qui soit, sinon écrire.

Une brume vieillie agonise au pilier,
Et s’y meurtrit la voix d’angoisse rauque étreinte
Pour s’y sentir naissante aux outrages plier.

Aux havres d’or naguère où s’incurvait Corinthe
Nul éphèbe ne vogue en voeux d’âme nouvelle
Vers les fauves toisons que l’aurore y révèle.

Q15 – T23

Les genêts luisent dans la lande désolée; — 1891 (21)

Francis Jammes Six sonnets

I
La fièvre

Les genêts luisent dans la lande désolée;
Sur l’ocre des côteaux la bruyère est de sang:
Mais tu ne peux guérir mon coeur triste où descend
Le souvenir de ma pauvre enfance en allée.

Viens: elle est d’émeraude et d’argent la vallée:
Douce comme ta voix, l’eau chuchote en passant,
Et clair comme ton rire est l’angélus croissant:
Fraîche comme ta bouche est la mousse mouillée.

J’ai la fièvre: Viens là, près de ces romarins,
Près de ce puits glacé que ronge l’herbe fraîche;
Viens, pleurons et mourons, fillette aux yeux sereins;

Nous sommes las: moi, las de sentir une brêche
En mon coeur mort d’amour lors de son mois de mai.
Toi, lasse en ton printemps de n’avoir pas aimé.

Q15 – T23

D’un concours de Sonnets — 1891 (17)

Le concours de La Plume

Au Concours

D’un concours de Sonnets
L’idée est excellente
Et je t’en complimente;
Car ne sachant jamais

Où prendre mes sujets
Tolère que je chante,
Au lieu de mon amante,
Le concours de Sonnets.

Oui, je te glorifie
O concours, stimulant
L’art de la Poésie!

Par contre, maintenant,
Comme à Vénus la pomme,
Donne-moi le diplôme!

Q15 – T23 – 6s

Un jour au cabaret, dans un moment d’ivresse, — 1890 (26)

G. de Viney in L’Aurore

Mots carrés syllabiques

Un jour au cabaret, dans un moment d’ivresse,
L’ivrogne Mathurin en se disputant fort,
A son ami Denis cherchait dernier sans cesse
Armé de son couteau pour lui donner la mort.

Il fond sur lui soudain et fortement le blesse ;
Arrêté sur le champ en prison il s’endort.
Ensuite condamné, pour la Nouvelle, en laisse,
On le conduit ; mais lui mécontent de son sort,

S’évade dans le bois et rencontre un deuxième
Que l’on nomme premier. de cet homme méchant
Il craint la dent cruelle, et veut, en se cachant

Echapper à la mort et se sauver quand même …
Plus loin un caïman, au milieu des roseaux,
Le happant en passant, l’entraîne au fond des eaux.

Q8  T30

Les passages Choiseul aux odeurs de jadis, — 1889 (22)

Verlaine Dédicaces

A François Coppée

Les passages Choiseul aux odeurs de jadis,
Oranges, parchemins rares, – et les gantières ! –
Et nos « débuts », et nos verves primesautières,
De ce Soixante-sept à ce Soixante-dix,

Où sont-ils ? Mais où sont aussi les tout petits
Evénements et les catastrophes altières,
Et le temps où Sarcey signait S. de Suttières,
N’étant encore pas mort de la mort d’Athys ?

Or vous, mon cher Coppée, au sein du bon Lemerre
Comme au sein d’Abraham les justes d’autrefois,
Vous goûtez l’immortalité sur des pavois,

Moi, ma gloire n’est qu’une humble absinthe éphémère
Prise en catimini, crainte des trahisons,
Et si je n’en bois pas plus c’est pour des raisons.

Q15  T30

TOUTE verte, ployant ses ailes transparentes, — 1889 (16)

Louis Marsolleau in  Le Parnasse Breton contemporain

Sonnet en vert

TOUTE verte, ployant ses ailes transparentes,
Ëmeraude , la fée au sourire pervers
Est debout, près de la source verte aux flots pers ,
Dans la forêt de jaspe aux fraîcheurs murmurantes.

Et sur le gazon vert que parfument les menthes ,
Le soleil , avec des rayonnements d’ors verts ,
Découpe sa dentelle adorable à travers
L’élan capricieux des feuilles frissonnantes.

Et toute la forêt éblouissante étreint ,
De l’intense reflet de sa verdeur divine ,
La verte fée aux yeux pâles d’algue marine.

Mais elle alors, ainsi qu’un rêve qui s’éteint.
S’évapore; et l’on voit, sous la charmille ouverte,
Flotter une nuée indescriptible et verte !

Q15  T30

L’océan d’argent couvre tout — 1888 (12)

Charles CrosLe Collier de griffes

Banalité

L’océan d’argent couvre tout
Avec sa marée incrustante.
Nous aurons rêvé jusqu’au bout
Le legs d’un oncle ou d’une tante.

Rien ne vient. Notre cerveau bout
Dans l’Idéal, feu qui nous tente,
Et nous mourons. Restent debout
Ceux qui font le cours de la rente.

Etouffé sous les lourds métaux
Qui brûlèrent toute espérance,
Mon coeur fait un bruit de marteaux.

L’or, l’argent, rois d’indifférence
Fondus, puis froids, ont recouvert
Les muguets et le gazon vert.

Q8 – T23 – octo

Tout ce que vous voudrez pour vous donner la preuve — 1887 (13)

Pétrus Borel in Revue de Paris et de Saint-Petersbourg

Tout ce que vous voudrez pour vous donner la preuve
De l’amour fort et fier que je vous dois vouer ;
Pas de noviciat, pas d’âpre et dure épreuve
Que mon cœur valeureux puisse désavouer.

Oui, je veux accomplir une œuvre grande et neuve !
Oui, pour vous mériter je m’en vais dénouer
Dans mon âme tragique et que le fiel abreuve
Quelque admirable drame où vous voudrez jouer.

Shakspeare applaudira ; mon bon maître Corneille
Me sourira au fond de son sacré tombeau !
Mais quand l’humble ouvrier aura fini sa veille,

Eteint sa forge en feu, quitté son escabeau,
Croisant ses bras lassés, de son œuvre exemplaire,
Implacable, il viendra réclamer le salaire !

Q8  T23  sonnet de 1842