Archives de catégorie : formules principales

O Sonnet, tes quatorze rimes, — 1929 (1)

Henri de RégnierVestigia Flammae

Frontispice

O Sonnet, tes quatorze rimes,
En leur ordre bien mesuré,
Ont je ne sais quoi de sacré
Pareil aux dépouilles opimes!

Pur joyau, honneur de nos rimes,
Ton or, avec art ajouté,
Enchâsse le reflet nacré
Des mots qu’avec soin nous polîmes.

Comme les conques de la mer
Que travaille le flot amer
Au gouffre bleu que nul ne sonde,

Tu conserves tous les échos,
O Sonnet à la vie profonde,
En tes méandres musicaux!

Q15 – T14 – banv – octo  – s sur s

Mieux que l’arc triomphal et l’image d’airain, — 1928 (9)

Henri de RégnierFlamma Tenax

Heredia
« Un vil lierre a suffi à disjoindre un trophée’

Mieux que l’arc triomphal et l’image d’airain,
Par quoi le conquérant survit à sa conquête,
Vaut, pour éterniser la gloire du poète,
Le livre humble à la vue et léger à la main;

Ouvre-le. Relié de cuir ou de vélin
Il t’offre sa beauté éloquente et secrète
Et sa mystérieuse voix est toujours prête
A te dire le vers mémorable et divin.

Heredia! Ton œuvre immortellement neuve,
Déjà d’un quart de siècle a surmonté l’épreuve;
Chaque jour le laurier croît sur elle plus beau;

Et, haussant son nœud vil vers ta gloire étouffée,
Je n’ai pas vu ramper à son socle trop haut
Ce lierre qui suffit à disjoindre un trophée.

Q15 – T14 banv

Plus que l’eau miroitante ou l’azur ingénu, — 1928 (8)

François-Paul Alibert in Chantiers

Inscription

Plus que l’eau miroitante ou l’azur ingénu,
Ou cette palme, objet de toute inquiétude,
Ne substitue encore une autre solitude
Au raisin fugitif dans ta soif contenu

Ensemble ou tour à tour toi-même devenu
Les monstres engendrés de ta sollicitude,
Soit l’austère devoir, soit l’amoureuse étude,
Sur le sable te laisse inextinguible et nu.

Mais de quelque douceur, pour combler son ouvrage,
Que le mortel espoir de ce dernier mirage
T’inspire en vain la source et de désir amer,

Du moins qu’à l’horizon scintille l’onde vierge
Où, des sombres troupeaux engloutis sous la mer,
Une seule sirène adolescente émerge.

Q15 – T14 – banv

Quatre heure du matin! l’aube rose et violâtre — 1928 (7)

Pierre AlbertyLe jardin d’Eros

Dollars

Quatre heure du matin! l’aube rose et violâtre
Filtre sournoisement par les vitraux du bar
Et, peu à peu, voici que paraît plus blafard
L’éclairage diffus des plafonniers d’albâtre.

Dans la moiteur de l’air flotte une odeur douceâtre:
Alcools, poudres de riz, oeillets fanés, pommard!
Effluve féminine et relents de homard;
Le jazz, pour terminer, joue un fox-trot folâtre.

Nue, à même la nappe et les serviettes sales,
Une fille est couchée au milieu de la salle, `
Tandis qu’au gloussement joyeux de ses compagnes

Un américain glabre aux lunettes d’écaille,
Flegmatique, introduit dans l’impudique faille
Des dollars ruisselants péchés dans du champagne!

Q15 – T15

Logos, éons et séfirots; — 1927 (4)

Charles-Adolphe Cantacuzène Identités versicolores

Sonnet
à J.B

Logos, éons et séfirots;
Alexandrins, Gnose et Cabale;
Triangles et pouvoirs des mots;
Souffle d’évocation pâle.

L’Ether d’éternité, les flots,
Le feu, la terre sidérale;
Et vous, reflets dans les cristaux,
Lumière, immortalité mâle.

Tout cela nous n’en parlions pas
Du temps que nous croisions nos pas,
Chez toi, cher, ou dans les ruelles.

Et cependant le Pimander,
La Baghavat-Gita, Dieu! Quelles
Perles sur le Boulevard Vert.

Q8 – T14 – octo

De sa gueule ébréchée éclaboussant la table, — 1927 (1)

J.P. Samson Emploi du temps

Bacchante
sonnet dans le goût de Laurent Tailhade

De sa gueule ébréchée éclaboussant la table,
Elle a, sous le chaud d’une plume à trois francs,
L’œil en éclipse et le sourire contestable
D’une qu’un trop long jeûne expose au mal d’enfants.

Plus votive que, peint sur quelque vieux rétable,
Un évêque, le jus du ciboire extirpant,
Elle sirote, aux frais de son mec lamentable,
Du cidre sans alcool le jus déconstipant.

Le restaurant végétarien résonne aux cris
De sa gorge que racle un ressaut de prurit
Guère orgiaque, hélas! … c’est la bombe pas chère;

Et lorsqu’on bouclera le sinistre local,
Ils éliront, debout aux échos d’un choral
Salutiste, pour ça, une porte cochère.

Q8 – T15

A la poste d’hier tu télégraphieras — 1926 (4)

Robert DesnosC’est les bottes de 7 lieues cette phrase ‘Je me vois’


Les gorges froides
A Simone

A la poste d’hier tu télégraphieras
que nous sommes bien morts avec les hirondelles
Facteur triste facteur un cercueil sous ton bras
va-t-en porter ma lettre aux fleurs à tire d’elle.

La boussole est en os mon cœur tu t’y fieras.
Quelque tibia marque le pôle et les marelles
pour amputés ont un sinistre aspect d’opéras.
Que pour mon épitaphe un dieu taille ses grêles!

C’est ce soir que je meurs, ma chère Tombe-Issoire,
ton regard le plus beau ne fut qu’un accessoire
de la machinerie étrange du bonjour.

Adieu! je vous aimai sans scrupule et sans ruse,
ma Folie-Méricourt, ma silencieuse intruse.
Boussole à flèche torse annonce le retour.

Q8 – T15

Hortense a soulevé sa jupe à crinoline — 1925 (1)

Alexandre de Virineau (= Fernand Fleuret)Douze sonnets lascifs … –

Léda incomprise

Hortense a soulevé sa jupe à crinoline
Et fait glisser en bas son pantalon léger,
Car elle voit au loin vers elle converger
Tous les grands cygnes blancs dont le bec dodeline.

Sur le bord du bassin, provocante et câline,
Elle s’offre au grand mâle, et pour l’encourager ,
Lui sourit, puis tressaille en voyant s’allonger
Le beau col souple et blanc, vivante javeline.

Sous l’étrange désir dont l’ardeur l’obséda,
Elle s’ouvre en pensée à l’amant de Léda
Et croit enfin sentir le dard dans sa nature;

Mais le grand cygne blanc lève un œil étonné
Vers la fente impubère à l’étroite ouverture
Et s’éloigne déjà sans avoir deviné.

Q15 – T14 – banv

Pélops, par l’épaule d’ivoire — 1924 (7)

Tristan Derème La verdure dorée

Pélops, par l’épaule d’ivoire
Qui tous les maux guérit,
M’arracheras-tu de l’esprit
La face de ta gloire?

Chaque aube annonce une victoire
Que l’autre aube flétrit.
Plus heureux celui qui n’écrit
Et ne pense qu’à boire.

Il est aux bois tièdes et verts
Des jeunes femmes, et tes vers
N’ont que toi pour les lire.

Et le vent dans un  peuplier
Quand il chante fait oublier
Les cordes de ta lyre.

Q15 – T15 – 2m : octo; 6s: v.2, v.4, v.6, v.8, v.11, v.14

Toi qui pâlis au nom de Vancouver, — 1924 (2)

Marcel Thiry Toi qui pâlis au nom de Vancouver

Toi qui pâlis au nom de Vancouver,
Tu n’as pourtant fait qu’un banal voyage;
Tu n’as pas vu les grands perroquets verts,
Les fleuves indigos ni les sauvages.

Tu t’embarquas à bord de maints steamers
Dont par malheur aucun ne fit naufrage
Sans grand éclat tu servis sous Stürmer,
Pour déserter tu fus toujours trop sage.

Mais il suffit à ton orgueil chagrin
D’avoir été ce soldat pérégrin
Sur le trottoir des villes inconnues,

Et juste, un soir, dans ce bar de Broadway,
D’avoir aimé les grâces Greenaway
D’une Allemande aux mains savamment nues.

Q8 – T14 – déca – Le vers 4 est césuré en position 6.