Archives de catégorie : formules principales

Vous qui logez à quelques pas — 1918 (2)

Paul Valéry Lettre à André Gide

 » … quant à la Voisine, je lui ai envoyé ce sonnet au lieu de fleurs ou chocolat. Je crois qu’il était ainsi  »

Sonnet à madame Lucien Muhlfeld

Vous qui logez à quelques pas
De ma littéraire cuisine,
Noble dame, bonne voisine,
Voici mes fruits qui ne sont pas

Dans la laque ni le lampas,
Ni de Boissier fruits de l’usine,
Mais ce sont fruits de Mnémosyne
Qui sait confire ses appas.

Croquez, mordez les rimes qu’offre
Le sonnet au bizarre coffre,
Non ouvré par les fils du ciel;

Et choisissez dans une gangue
De mots collés selon leur miel
La noix fondante sur la langue!

« Je t’assure qu’il n’est pas si mauvais que ça. Il faut que la fin fasse mal aux dents. Avec un peu de travail on y serait arrivé. »

Q15 – T14 – banv –  octo

La guerre a fait le plus grand tort — 1915 (12)

Henri Béraud Glabres


VIII  Le pessimiste

La guerre a fait le plus grand tort
Au commerce du parapluie,
La clientèle s’est enfuie,
Comme hirondelle au vent de mort.

Monsieur Bibelot se plaint fort,
Etant de cette confrérie
Chez qui l’amour de la Patrie
S’aune aux fentes du coffre-fort.

Il aspire à la paix. N’importe
Quelle paix ! Le morne cloporte
Soudain se mue en Ezéchiel,

Et dresse, au seuil de sa boutique,
L’ombre aboyeuse vers le ciel
D’une frousse apocalyptique.

Q15  T14  – banv – octo

Bien loin, lecteur, de ces bucoliques barbus — 1915 (10)

Henri Béraud Glabres

Dédicace

Bien loin, lecteur, de ces bucoliques barbus
Qui paissent leur bercail aux champs de Montparnasse,
Loin de ces brasseries, emmi les bons poilus,
Les anciens et les bleus (tous d’ailleurs de la classe))

La guerre donna l’être à ces vers ingénus,
Jusqu’aux lieux du carnage Apollon se prélasse.
L’Hélicon se transporte à Mesnil-les Hurlus,
Un boyau mène Eros aux crêtes du Parnasse.

Que ce luth de bivouac par ses accents rassure
Le cœur de l’apeuré Thersite. Et toi, Censeur,
Muse du caviar, tu chercheras en vain,

Dans ce recueil : rébus, parabole ou satire*.
Ce n’est que badinage, et pour montrer enfin
Aux ciblots épatés qu’on garde le sourire.

* Hélas ! la censure a cherché, et ce ne fut pas en vain. Voir page 17.

Q8  T14

‘ciblot’ est absent du TLF ; sans doute= civil.

Belladones et Cimarose — 1915 (9)

Paul Dermée in Sic

Jeu

Belladones et Cimarose
Miroirs lumineux des Songhas
Ma seule amie au cœur de rose
Touffes d’ivresse ô Seringa.

Cinnamones et primerose
Subtil horizon des lampas
La chair que ma tendresse arrose
Semble un lotus clos sous mes pas.

Cétoine à l’eau vive d’aurore
L’azur est là que le ciel dore
La cinéraire est mis au bois.

Vois la surprise aux yeux qu’on aime
Les soudains appels d’un hautbois
Soupirs ailés du dieu suprême.

Q8  T14  octo

France, France, la douce, entre les héroïnes — 1915 (8)

D’Annuzio in Guy Tosi : La vie et le rôle de D’Annunzio en France au début de la Grande Guerre (1961)

France, France, la douce, entre les héroïnes
Bénies, amour du monde, ardente dans la croix,
Comme aux murs d’Antioche, alors que Godefroi
Sentait sous son camail la couronne d’épines,

Debout avec ton Dieu comme au pont de Bouvines,
Dans ta gloire à genoux comme au champ de Rocroi,
Neuve immortellement comme l’herbe qui croît
Au bord de tes tombeaux, au creux de tes ruines,

Fraîche comme le jet de ton blanc peuplier,
Que demain tu sauras en guirlandes plier
Pour les chants non chantés de ta jeune pléiade,

Ressuscité en Christ, qui fais de ton linceul
Gonfanon de lumière et cotte de croisade,
« France, France, sans toi le monde serait seul »*

* Hugo – La légende des Siècles – les fléaux

Q15  T14 – banv –

Ce sont des vases peints, Étranger curieux, — 1914 (12)

Hérédia Les Trophées (ed.1914)

LE KRATÈR

Ce sont des vases peints, Étranger curieux,
Les uns hauts d’une palme et d’autres d’une orgye,
Qui sur leur galbe étroit ou leur panse élargie
Font tourner, rouge ou noir, tout l’Olympe à tes yeux.

Choisis : canthare, amphore ou rhyton?… Mais, j’ai mieux :
Le potier modelant la terre de Phrygie
Du sang viril d’Atys molle encore et rougie,
A formé ce Kratèr pour l’ivresse des Dieux.

Vois. Il est sans défaut du bord jusqu’à la base.
Certe, il sera payé par quelque Pharnabaze
Au prix d’un bassin d’or, d’électrum ou d’argent.

Euphronios a fait ce chef-d’oeuvre d’argile
Qu’il signa de sa pointe illustre, le jugeant
D’autant plus précieux qu’il le fit plus fragile.

Q15  T14 – banv

Au flanc du Cithéron, sous la ronce enfoui — 1914 (11)

Hérédia Les Trophées (ed.1914)

SPHINX

Au flanc du Cithéron, sous la ronce enfoui
Le roc s’ouvre, repaire où resplendit au centre
Par l’éclat des yeux d’or, de la gorge et du ventre,
La Vierge aux ailes d’aigle et dont nul n’a joui.

Et l’Homme s’arrêta sur le seuil, ébloui.
—  Quelle est l’ombre qui rend plus sombre encor mon antre?
— L’Amour. — Es-tu le Dieu? — Je suis le Héros. — Entre ;
Mais tu cherches la mort. L’oses-tu braver? — Oui.

Bellérophon dompta la Chimère farouche.
— N’approche pas. — Ma lèvre a fait frémir ta bouche.
— Viens donc! Entre mes bras tes os vont se briser;

Mes ongles dans ta chair… — Qu’importe le supplice,
Si j’ai conquis la gloire et ravi le baiser?
— Tu triomphes en vain, car tu meurs..— 0 délice!…

Q15  T14 – banv