Archives de catégorie : formules principales

Vous qui, dans votre Phare aux murs trapus et clos — 1908 (11)

Robert de Montesquiou Les paons

BELLE-ISLE-EN-ART

Vous qui, dans votre Phare aux murs trapus et clos
Que l’ouragan ébranle ainsi qu’une guérite,
Aimez parfois jouer un rôle d’Amphitrite
Drapé, par l’Océan, d’azur et de sanglots ;

Vous regardez, le soir, s’allumer les falots
Dont la barque, au lointain, contre la Mort s’abrite ;
Une réplique d’ombre, et par Dieu même écrite,
S’élève alors vers vous, de la plainte des flots.

Je devine, Sarah, votre amour pour la houle
Qui vous ramène, en eux, l’applaudissante foule,
Dont tant de fois votre art triomphant fut vainqueur.

Vous goûtez les rappels de la Mer qui s’effare,
Vous que le Monde voit briller dans votre Phare
Qu’illumine un génie où l’on sent battre un coeur!

Q15  T15 à Sarah Bernhardt

Tu montais radieux dans la grande lumière, — 1908 (10)

Albert Lozeau Ame solitaire

A Emile Nelligan

Tu montais radieux dans la grande lumière,
Enivré d’idéal, éperdu de beauté,
D’un merveilleux essor de force et de fierté,
Fuyant avec dédain la route coutumière.

Tu montais emporté par ton ardeur première,
Battant d’un vol géant la haute immensité,
Et là, tout près d’atteindre à ton éternité,
Tu planais, triste et beau, dans la clarté plénière.

Mesurant du regard le vaste espace bleu,
Tu sentis la fatigue envahir peu à peu
La précoce vigueur de tes ailes sublimes.

Alors, fermant ton vol largement déployé,
Ô destin ! tu tombas d’abîmes en abîmes,
Comme un aigle royal en plein ciel foudroyé !

Q15  T14 – banv

De la tour de Justice à la tour du Trésaut, — 1908 (9)

Pierre Fons La divinité quotidienne

Devant la Cité de Carcassonne

De la tour de Justice à la tour du Trésaut,
Le soir apaise enfin l’horizon solitaire ;
D’implacables destins ont désolé ces terres,
Mais leur sombre splendeur garde encor des vassaux.

Seul, le soleil tentant quelque suprême assaut
Ensanglante à présent la Lice & Saint Nazaire :
Où les cerviers du Nord tous en vain s’écrasèrent,
Les femmes lentement rêvent près des berceaux.

Fière monte une nuit, orientalement chaude ….
Montfort, ton oeuvre est morte et sa cendre est à l’Aude,
Les Midis à leur tour ont chassé les effrois ;

Et, la lune courbée en profil de tartane,
Tout le ciel étoilé tend un blason d’orfrois,
Qui figure l’orgueil de la terre occitane.

Q15  T14 -banv –

Sur un lit onduleux d’algues aux lents rameaux, — 1908 (7)

Paul Reboux & Charles Müller A la manière de

Le câble

Sur un lit onduleux d’algues aux lents rameaux,
Dans un vallon marin de la verte Atlantide,
Le câble monstrueux qu’éclaire un jour livide
Se déroule, tordant deux longs muscles jumeaux.

À son derme rugueux s’incrustent les émaux
Des conques où la mer dort d’un sommeil limpide;
Et dans ce fil de chanvre et de laiton, rapide,
Frissonne en sourds éclairs le passage des Mots !

Les grands requins béants et les horribles scombres
Des gouffres bleus d’en haut plongent aux gouffres sombres
En frôlant les fucus de leur ventre poli.

Et, parmi les coraux où s’enfouit le câble,
Ils s’étonnent, roulant leurs gros yeux pleins d’oubli,
De cet inerte et long serpent inexplicable !

(José-Maria de Heredia)

Q15 – T14 – banv

Dès longtemps, sur le luth, j’exerce — 1908 (6)

Emmanuel Signoret Poésies complètes


Invocation

Dès longtemps, sur le luth, j’exerce
Mes doigts, sur tous, les mieux instruits:
Qu’une nouvelle mer me berce
Sur des vaisseaux par moi construits.

Ma hache brillante renverse
Un pin couronné de ses fruits,
Qui coupe le ciel et qui verse
Des torrents d’ombres et de bruits.

Qu’en ses flancs je taille ma barque!
Après Ronsard, après Pétrarque,
Légers sonnets, emportez-moi!

Jusqu’à ce qu’en l’or des trompettes,
Faisant trembler les cieux d’effroi,
Ma bouche souffle des tempêtes!

Q8  T14  octo  s sur s

Sous le Notos hurleur et sous l’Euros paterne, — 1908 (5)

Robert de MontesquiouLe parcours du rêve au souvenir

Sous le Notos hurleur et sous l’Euros paterne,
Flots, berceaux des soleils, et vagues, leurs tombeaux:
O mer, versicolore azur, redite terne,
Ou luisante, des faits et gestes de Phoibos;

Peut-être, déplorant ton rôle subalterne,
Corail épanoui sous ses levers dispos,
Sanglant rubis, sous ses couchers, d’une citerne
Aux paisibles reflets, crois-tu les sorts plus beaux?

O tain inconscient, impersonnel mirage
Qui répètes la paix, qui rabâche la rage
Du ciel capricieux, du ciel supérieur;

Ton flux et ton reflux vocifèrent des lieues
De paradoxes forts, que le remous crieur
Construit de saphirs verts et d’émeraudes bleues.

Q8 – T14

Tous les matins j’allais la voir à sa chaumière — 1907 (6)

Charles Guérin Premiers et derniers vers

Annaik

Tous les matins j’allais la voir à sa chaumière
Et dans l’enivrement calme des prés fleuris,
Chauds de soleils, pleins de grillons jetant leurs cris,
Nous causions sur un banc de l’étreinte première.

Revenez, revenez, souriait la fermière;
Et je suis revenu souvent, le coeur épris,
Et dans la chambre basse, au crépuscule gris,
Devant l’âtre défait nous rêvions de lumière.

Or un soir qu’elle était assise à son rouet
Elle me dit: « je veux exhaucer ton souhait. »
Et ses yeux bruns ardents étincelaient dans l’ombre.

Après avoir jeté sa Croix – je me souviens –
Elle étendit la main vers l’énorme lit sombre
Et, brusque, m’entraînant par le bras: « Allons, viens! ».

Q15 – T14 – banv

« Ce n’est pas bien malin d’accoucher d’un sonnet » — 1907 (1)

Joseph CorrardCent sonnets

Au critique

« Ce n’est pas bien malin d’accoucher d’un sonnet »
Disait un freluquet; « quatorze lignes … qu’est-ce?
Tout poète en trouve un, le soir, sous son bonnet:
Pas besoin, pour ça, de battre la grosse caisse! »

– Ami, prends ton absinthe ou bien ton Dubonnet.
Lis les journaux du soir, les nouvelles, mais laisse,
Loin de ta tabagie, errer seul ce benêt,
Ce rimailleur, ce fou … qui tient la lune en laisse!

– C’est bien simple, disait un coq, de pondre un œuf;
J’en vois tous les jours pondre avec neuf poules …. neuf!
Au fond d’un poulailler, blottie et plume en boule,

On s’accoufle, on s’installe en le meilleur confort
Et l’on attend … Après un tout petit effort
L’œuf arrive – Oui, cria quelqu’un …., quand on est poule.

Q8 – T15 – s sur s