Archives de catégorie : formules principales

Que reste-t-il de la Suzette, — 1901 (6)

Charles-Adolphe Cantacuzène Sonnets en petit deuil

Suzette

Que reste-t-il de la Suzette,
Que reste-t-il de la Suzon?
Quand j’y pense, mon cher poète,
J’ai des frissons dans la raison!

Eteignons les flambeaux de fête,
Car douloureux est leur rayon
Depuis que la Suzon est cette
Noble poussière en du linon!

Mais moins m’affligerait la perte
De cette Suzannette, certe,
Si j’étais très sûr que là-bas

Où gît sa forme gracieuse,
Elle connaît, l’âme rieuse,
Le grand bonheur de n’être pas!

Q8 – T15 – octo

On la descend dans le grand trou, la chérie, — 1901 (2)

Charles-Adolphe Cantacuzène Sonnets en petit deuil

On la descend

On la descend dans le grand trou, la chérie,
La bonne fillette aux clairs yeux lilas!
Tranquille, elle vivait dans ses falbalas –
Petite fille sachant la pauvre vie!

La terre la reprend: terre, je t’envie!
Je perds une amoureuse aux bras délicats,
Une enfant qui toujours me serrait le bras, –
Tu gagnes une chair polie et fleurie!

Je ne la verrai donc plus les soirs de mai
Et d’octobre venir tout comme un bienfait
Surtout comme un sourire en marche vers l’âme.

Je te vois disparaître, ô toi qui fus toi! –
Toi qui fus toi, moi! – toi, mon unique foi! –
O sœur, ô mère, ô fille! ô toi seule femme!

Q15 – T15 – 11s

Sur le petit chemin latéral — 1901 (1)

Charles-Adolphe Cantacuzène Sonnets en petit deuil

Sur le petit chemin latéral

Sur le petit chemin latéral
Quelques violons avec folie
Font résonner le langoureux val
De leur musique lente et jolie.

C’est un tendre chant hyménéal
Où, doux, le cœur à l’âme s’oublie, –
Et mon vague amour se trouve mal
Par la fraîche nuit déjà pâlie.

La passion, l’orgueil et l’espoir
Me sont un vide affreusement noir
Qui se débat dans l’âme torride ….

Mais peut-être que les violons
Et ces amoureux aux rêves blonds
Sentent dans leur cœur le même vide.

Q8 – T15 – 9s

Je voudrais t’enguirlander de mille phrases enclose — 1900 (17)

Nathalie Clifford-BarneyQuelques portraits-sonnets de femmes

XIV

Je voudrais t’enguirlander de mille phrases enclose
En des rythmes gracieux aussi cambrés que tes pieds,
Talonner les mots de rouge afin que, si ça te plaît,
Tu puisses marcher dessus, haussant ta beauté mi-close.

Qui donc te réveillera, l’âme gaie où se repose
Tout un souriant jadis couronné de menuets,
Où se mêle au decorum plus d’un propos indiscret
Fait pour enrichir celui qui les joliment propose ?

Belle de cour, cheveux poudrés, audaces de clair minuit,
Que le madrigal polit l’avide regard qui luit
Sur les cous frêles et blancs de si mignonnes marquises !

« Oh ! les jeunes gens banals ! » et leurs brusques flirtations !
Qu’ils heurtent brutalement les demi-vierges exquises
D’un passé glorifié par ton imagination !

Q15  T14 – banv –   14s

Rien ne te peut toucher, rien ne t’émeut, — 1900 (16)

Nathalie Clifford-BarneyQuelques portraits-sonnets de femmes

XIII

Rien ne te peut toucher, rien ne t’émeut,
Ton cœur est éclos dans un grand bloc de glace
Tout se brise au mur de sa calme surface,
Ta chair semble de marbre et d’airain tes yeux.

Ta passivité brave même les dieux,
Et ta vierge beauté fait rêver l’audace
Qui s’éteint de trop voir ta froideur en face
Pétrifiant tout, l’amour comme les feux.

Tu sembles un gouffre où ton rire sans joie
Veut ce qui plane et l’appelle pour proie
Afin de combler ton goût pour le néant.

Tes seins sont deux fleurs grandes épanouies,
Berçant le poison de leur laiteuse envie
Comme des cygnes sur un étang stagnant.

Q15  T15  11s

Il n’est honte devant laquelle la luxure — 1900 (9)

Fernand Henry Sonnets de Shakespeare

sonnet 129

Il n’est honte devant laquelle la luxure
Recule pour pouvoir librement s’assouvir.
Cruelle jusqu’au sang, déloyale, parjure,
Sauvage, vile, infâme, elle est tout à plaisir.

Mais le mépris la suit avec sa flétrissure;
Comme il fut follement poursuivi, son désir,
Aussitôt satisfait, est maudit sans mesure,
Tel le poison qu’enferme un perfide élixir.

Et c’est toujours ce but, qui n’admet pas de halte,
Vers lequel néanmoins sa démence s’exalte,
Faible bonheur qu’attend un réveil trop amer,

Délice qui finit dans la poudre du rêve!
L’homme sait tout cela; pourtant il bat sans trêve
Le céleste chemin qui mène à cet enfer.

Q8 – T15 – tr

Je suis comme le riche assuré de pouvoir — 1900 (8)

Fernand Henry Sonnets de Shakespeare

sonnet 52

Je suis comme le riche assuré de pouvoir
Retrouver son trésor en ses coffres fidèles
Et qui n’émousse pas, par de continuelles
Visites, le plaisir qu’il goûte à l’aller voir.

C’est ainsi que l’on trouve, en les voyant échoir
Moins fréquentes dans l’an, les fêtes bien plus belles;
Les pierres d’un collier, lorsqu’il existe en elles
Plus d’espace, se font de même mieux valoir.

En vous gardant pour moi, le Temps est ma cassette,
L’armoire où j’ai fermé mon beau manteau de fête,
Et j’attends le moment de désemprisonner,

Pour l’étaler encor, votre magnificence.
Heureux êtes-vous donc, vous qui pouvez donner,
Présent, tant de bonheur; – absent, tant d’espérance!

Q15 – T14  – banv –  tr (sh52)

Si mes sonnets parfois marchent d’un pas pesant; — 1900 (4)

Arsène VermenouzeEn plein vent

Si mes sonnets parfois marchent d’un pas pesant;
S’ils ont l’accoutrement fruste du pauvre hère,
Qu’il couche, tout vêtu, dans la grange, sur l’aire,
C’est parce qu’ils sont fils d’un barde paysan,

D’un barde et d’un chasseur: je les fais en chassant.
Dans les brousses où le renard a son repaire,
Sur les hauts mamelons où le genêt prospère,
Je vais, baguenaudant, rêvant, rimant, musant.

Cependant mon sonnet prend forme, s’élabore:
Comme un sauvageon, qu’en plein champ on voit éclore.
Il naît, agreste, mais sentant bien le terroir,

Sentant bien l’herbe fraîche et la feuille des hêtres,
Et les fougères que j’emporte dans mes guêtres:
Il est encor tout chaud, quand je l’écris, le soir.

Q15 – T15 – s sur s

La chair tiède où le sang gonfle, anime et nourrit — 1900 (1)

Henri de Régnier Les médailles d’argile

Contraste

La chair tiède où le sang gonfle, anime et nourrit
Ta peau voluptueuse et souple qu’il colore
D’une rougeur de pêche et d’un reflet d’aurore
T’a faite, en ton corps, femme et femme par l’esprit.

Ton oreille est docile et ta bouche sourit
A toute la nature odorante et sonore,
Et ta jeune beauté semble toujours éclore,
Sensible à ce qui naît, chante, embaume et fleurit;

Mais Elle, taciturne à jamais, la Statue
Qui, immobile au bronze, attentive, s’est tue,
Semble écouter en elle et méditer tout bas,

Dans le métal durci qui moule sa stature
Et la dresse debout et se croisant les bras,
Le secret anxieux de la matière obscure.

Q15 – T14 – banv