Archives de catégorie : formules principales

Danseurs exaspérés des mornes menuets, — 1896 (8)

Henry Jean-Marie Levet (Le courrier français 1895-6)

Parades
A Mademoiselle Fanny Zaëssinger

Danseurs exaspérés des mornes menuets,
Sur les tréteaux menteurs et fragiles que foulent
Des marquis épaissis et des marquises goules,
Peuple épris de parade, exaucent tes souhaits.

Leurs jeux ont pollué la prairie aux bluets,
Les cuivres écrasés les flûtes qui roucoulent;
Des lampîons fumeux les soulignent aux foules,
La lune se taisant aux violons muets.

Ne sachant pas, aussi, ces gens, d’affèterie
Canailles encrassés, et de grâces flétries,
Réclament à nouveau le baisemain fripé;

Les trompettes sacrant d’éclats leur dernier leurre,
L’amant masqué de la beauté morte qu’on pleure
Se drapait des plis noirs de son manteau coupé.

Q15 – T15

Dame sans trop d’ardeur à la fois enflammant — 1896 (1)

Mallarmé in Le Figaro, lundi 10 février

A la fin de son article sur l’élection de Mallarmé comme Prince des Poètes, André Maurel écrit: « Le grand public connaît peu M. Mallarmé. Afin de donner aux lecteurs du Figaro une conception assez nette du choix des jeunes poètes, j’ai demandé au nouveau Prince de vouloir bien m’envoyer quelques vers inédits que je pourrais publier ici.
Très gracieusement, M. Mallarmé a répondu à ma demande, en y joignant cette réserve:
 » sur votre demande gracieuse de tout à l’heure, voici un rien, sonnet « causé », qui ne peut, je crois détonner, malgré que, selon moi, les vers et le journal se font tort réciproquement »


Dame
sans trop d’ardeur à la fois enflammant
La rose qui cruelle ou déchirée, et lasse
Même du blanc habit de pourpre, le délace
Pour ouïr dans sa chair pleurer le diamant

Oui, sans ces crises de rosée et gentiment
Ni brise quoique, avec, le ciel orageux passe
Jalouse d’apporter je ne sais quel espace
Au simple jour le jour très vrai du sentiment

Ne te semble-t-il pas, disons, que chaque année
Dont sur ton front renaît la grâce spontanée
Suffise selon quelque apparence et pour moi

Comme un éventail frais dans la chambre s’étonne
A raviver du peu qu’il faut ici d’émoi
Toute notre native amitié monotone.

Q15 – T14 – banv

Emmi l’esseulement des joncs et des roseaux, — 1895 (14)

Alban Roubaud Pour l’idole

L’étang

Emmi l’esseulement des joncs et des roseaux,
L’étang vient d’endormir les frissons de sa moire
Où flottaient mes désirs, voguant vers la nuit noire,
Et le lune surgit et se mire en les eaux.

Bonheurs enfuis, frêles oiseaux,
Volez du fond de ma mémoire,
Le nuit où mes espoirs vont boire
Est  là qui vos tend ses réseaux …

Alors dans mon âme damnée,
C’est comme une tourbe effrénée
De regrets, de remords anciens …

Et dans le paysage triste,
Où j’erre seul, où rien n’existe,
Je me souviens, je me souviens ! …

Q15  T15  2m (octo : Q2 T1 T2)

La laide et maigre Guimard, prêtresse de Terpsichore, — 1895 (5)

Tony d’UrbinoSonnets fantaisistes

La Guimard

La laide et maigre Guimard, prêtresse de Terpsichore,
A des adorateurs que séduisit ses mollets,
Ses mollets faits au tour, virant dans les ballets,
Avec un art savant qu’on admire encore.

Elle s’enrichit, mais n’est point pécore,
Bien que ses protecteurs, ses valets
Lui fassent cadeau d’un palais
Qu’un peintre épatant décore.

Pour elle écrit Collé
Qu’elle a racolé
Pour son théâtre.

L’Opéra
Paîra
L’âtre.

Q 15 – T15 – bdn – Boule de neige métrique fondante stricte

La vie, en ces jours, a moins de saveur. — 1895 (4)

F.H. BaudryPauca Meis – sonnets –

Pensées d’automne

La vie, en ces jours, a moins de saveur.
La fleur nous délaisse, après l’hirondelle,
Le soleil aux yeux semble être infidèle:
On devient rêveur.

Au ciel les chrétiens cherchent leur Sauveur;
Leur âme, à sa vue, ouvre mieux son aile,,
Le monde et ses deuils font grandir en elle,
Espoir et ferveur.

Le coeur plus sevré d’humaines délices,
Plus ardent, aspire aux divins calices
De félicité.

Tout passe ici-bas: fleur, joie, et nous même;
Là-Haut tout demeure – et Là-haut tout aime
Pour l’éternité.

Q15 – T15 –  2m : tara ( v.4, v.8, v.11, v.14: 5s)

Les yeux obscurs sur le sépulcre de granit, — 1894 (18)

Revue de l’Est

L’éternel passant

Les yeux obscurs sur le sépulcre de granit,
Je criai : trouve-tu le repos dans ta couche,
Toi qui tentas d’une âpre et lamentable course
Etreindre l’Idéal par delà les zéniths ?

Toi que hante le noir secret des aconits,
Toi qui, raillé par le Temps chauve au sceptre courbe,
Au lit de Procuste trouvas l’heure trop courte,
Réponds, as-tu trouvé la Fin où tout finit ?

Dors-tu, toi l’Eternel Passant, écrasé d’ivres
Calvaires fous à travers les cités, maudites
Par les désespoirs las qu’ont saigné tes orteils ? –

Or du Sépulcre sourd sourdit une voix morne :
Mais, ô Songeur, comment voudrais-tu que je dorme
Avec ces vers rongeurs au cœur de mon sommeil ?

(Charles Guérin)

Q15  T15  rimes b et c : assonances

Dans des gouffres nimbés d’auréoles rosâtres, — 1894 (17)

Revue de l’Est

Deux maîtresses en une

Dans des gouffres nimbés d’auréoles rosâtres,
Où transparaît l’horreur d’un enténèbrement,
Je trace tes contours sur les célestes plâtres
Qui tapissent le bleu morne du firmament !

Sur la palette d’or des lunes idolâtres,
J’étale la couleur de ton rose piquant,
Et le halo des nuits vient ceindre tes albâtres
De ton flanc callipyge, où clame mon tourment !

Alors tu te fais chair, chair de jeune maitresse,
Des hurlantes amours recélant la caresse,
Dans l’ondulation d’un frêle corps d’enfant!

Tes reins ont des serpents les plis noueux et lisses,
Tes yeux ont les éclairs de leurs yeux, et tes cuisses
L’élastique rondeur des trompes d’éléphant !

(Louis Baboulet)

Q8  T15

Comme un troupeau docile au Maître Capital, — 1894 (11)

Tristan Bernard Vous m’en direz tant!

Comme un troupeau docile
Comme un vol de gerfauts…

Comme un troupeau docile au Maître Capital,
Du palais de Bourbon, proche la Madeleine,
Ceusses de la Montagne et ceusses de la Plaine
S’en venaient, attirés, vers le guichet fatal.

Ils venaient pour palper l’avantageux métal
Accru depuis longtemps au fond des bas de laine.
Puis leur rut obstiné vidait leur poche pleine
Aux nids luxurieux du monde horizontal.

Le vin, qui ruisselait des mains des courtisanes
Leur faisait entrevoir les deux mers océanes
Heurtant à des flots d’or les flots céruléens.

Mais voici qu’inclément l’Avenir se révèle;
Et bientôt, transportés aux frais des citoyens,
Ils verront resplendir tes étoiles, Nouvelle!

Q15 – T14 – banv – parodie

Le vélin crie et rit et grimace, livide. — 1894 (10)

Alfred JarryMinutes de sable mémorial
Les trois meubles du mage surannés

II
Végétal

Le vélin crie et rit et grimace, livide.
Les signes sont dansants et fous. Les uns, flambeaux,
Pétillent radieux dans une page vide.
D’autres en rangs pressés, acrobates corbeaux,

Dans la neige épandue ouvrent leur bec avide.
Le livre est un grand arbre émergeant des tombeaux.
Et ses feuilles, ainsi que d’un sac qui se vide,
Volent au vent vorace et partent en lambeaux.

Et son tronc est humain comme la mandragore;
Ses fruits vivants sont des fèves de Pythagore;
Ses feuillets verdoyants lui poussent en avant.

Et les prédictions d’or qu’il emmagazine,
Seul peut les lire sans péril le nécromant,
La nuit, à la lueur des torches de résine.

Q8 – T14