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J’aime des doux sonnets subtils de Sainte-Beuve; — 1886 (3)

Jacques Villebrune Sonnets mystiques


Les rois du sonnet

J’aime les doux sonnets subtils de Sainte-Beuve;
Le rare Baudelaire en laissa de choisis
Et qui nous font rêver à leurs sens insaisis:
Plus que ce sphinx étrange il n’est rien qui m’émeuve.

D’autres en ce noble art ont aussi fait leur preuve;
Barbier enferme un monde en ce moule précis
Bien des cœurs en ce vers nous content leurs soucis.
Cladel et Richepin en font de façon neuve.

J’aime les fins sonnets que Gautier cisela,
J’aime ceux de Coppée et de Hérédia
Ceux de Sully-Prudhomme; et que ne puis-je lire

En leur texte étranger ceux qu’on nous vante aussi,
L’alambiqué sonnet que raffina Shakespeare,
Et l’amoureux Pétrarque en sa langue du si

Q15 – T14 – banv –  s sur s

Comme un enfant jaloux de sa maîtresse chère, — 1886 (2)

Jacques Villebrune Sonnets mystiques

L’amoureux de la mer

Comme un enfant jaloux de sa maîtresse chère,
J’accompagne la mer au caprice incertain:
J’aime à voir sa pâleur dans l’air frais du matin,
En de brumeux tissus de mousseline claire.

Et noyée à midi dans la vague chimère,
Sous l’azur qui lui fait le plus charmant destin,
Elle rêve assoupie en son lit de satin,
Regardant mollement l’horizon éphémère.

Je l’admire, aux clartés tombant du soir astral,
En danseuse fantasque inaugurant un bal,
Où bondissent en chœur ses phosphoriques ondes;

Et quand elle s’endort sous un pâle rayon,
J’aime écouter encor au sein des nuits profondes
Sa tranquille et superbe respiration.

Q15 – T14 – banv  -césure italienne au vers 14 – Villebrune, avec plus de 800 sonnets, semble être le recordman du 19ème siècle, dépassant Ronsard, sans toutefois égaler Jacques Poille (début du 17ème siècle) qui en fit plus de 900. (Les sonnetistes frnçais sont loin d’approcher les performances des Italiens, dont la production a plusieurs fois dépassé les millier (Le Tasse, par exemple).

Ô si chère de loin et proche et blanche, si — 1886 (1)

–  Mallarmé manuscrit

Sonnet
pour elle

Ô si chère de loin et proche et blanche, si
Délicieusement toi, Méry, que je songe
A quelque baume rare émané par mensonge
Sur aucun bouquetier de cristal obscurci

Le sais-tu, oui! pour moi voici des ans, voici
Toujours que ton sourire éblouissant prolonge
La même rose avec son bel été qui plonge
Sans autrefois et puis dans le futur aussi.

Mon cœur qui dans les nuits parfois cherche à s’entendre
Ou de quel dernier mot t’appeler le plus tendre
S’exalte en celui rien que chuchoté de Sœur –

N’était, très grand trésor et tête si petite
Que tu m’enseignes bien toute une autre douceur
Tout bas par le baiser seul dans tes cheveux dite.

Q15 – T14 – banv

Je n’ai rimé que peu de sonnets en ma vie ; — 1885 (18)

Ernest Chabroux Chansons et sonnets

A la chanson

Je n’ai rimé que peu de sonnets en ma vie ;
Ce poème à la fois maussade et langoureux,
Fut toujours, à mes yeux, fort peu digne d’envie ;
Pourtant c’est le langage aimé des amoureux.

Or, l’aimable beauté dont mon âme est ravie,
Aimant à sa jouer quelquefois de mes feux,
Pour chanter ses attraits aujourdhui me convie
A faire celui-ci, tiré par les cheveux.

Apprenez-donc, Messieurs, que cette enchanteresse
A pour elle, d’abord, force, grâce, jeunesse,
Esprit intarissable et gaîté de pinson,

Qu’on admire partout sa verve et son sans-gêne,
Et qu’ici, chaque mois, elle commande en reine ;
«  Mais son nom ? » direz-vous … « Parbleu, c’est la chanson ! »

Q8  T15  s sur s

Pour ce gentil Sonnet que j’aime à la folie, 1885 (17)

Emile Maze Fleurs de mai

Pour le Sonnet
à Léonce Mazuyer

Pour ce gentil Sonnet que j’aime à la folie,
Et qu’en vos vers railleurs vous malmenez si bien,
Laissez-moi vous prier. Il nous vient d’Italie,
Et les Maîtres, partout, ont cherché son soutien :

Shakespeare l’adopta pour sa forme accomplie :
Rêvant du Paradis, Milton le fit chrétien ;
Pétrarque a soupiré sur sa corde amollie ;
Le Dante Allighieri l’aimait …. N’est-ce donc rien ?

N’est-ce rien que d’avoir de tels noms pour sa gloire ?
D’avoir eu son passé ? D’avoir eu son histoire ?
D’être le rythme heureux sur lequel ont chanté

Le Tasse et Camoëns et, parmi nous, Desporte
Et Baïf, du Bellay, Magny, – vaillante escorte
Dont le chef est Ronsard, Ronsard toujours vanté ?

Q8  T15  s sur s

Je rêve d’un sonnet, taillé dans le carrare, — 1885 (16)

Emile Maze Fleurs de mai

Sonnet parnassien

Je rêve d’un sonnet, taillé dans le carrare,
Qui surpasse en beauté la Vénus de Milo,
Et dont les flancs polis sous un galbe très rare
Cachent la moisson d’or qu’enferme le silo.

Je le rêve plus doux qu’un accord de cithare ;
Vibrant comme l’archer de la Milanollo ;
Rythmé comme la mer qui dort aux pieds du phare
Et chant dans la nuit son éternel solo.

Je le voudrais parfum, rayon, grâce, harmonie ;
Tel que l’art le plus pur de la belle Ionie
Ne fit rien de si grand, même en ses meilleurs jours.

Mais le marbre est trop dur où je taille la rime.
Douceur, grâce et beauté, tout s’en va sous la lime,
Et le Sonnet rêvé …. je le rêve toujours.

Q8  T15  s sur s Milanollo : cf. 1851,7

« Tu parleras, mourant, quand mon soir nuptial — 1885 (14)

René Ghil in Revue Wagnérienne

Hymen – la musique

« Tu parleras, mourant, quand mon soir nuptial
T’étonneras de Toi, ne parle pas : mon geste
N’est pas d’amour et, vois, ô Drame ! que proteste
L’assentiment de mon vouloir impartial.

Mon Grand Rêve à mi-voix montait en l’air astral
Voilé par le midi de ma déserte sieste,
Quand il vint, ce Wagner ! qui ne veut pas que reste
Au vide isolement mon souhait théâtral.

Hélas ! et ma verdeur te doit rendre, ô vieux Drame !
Ta virilité sûre un soir d’épithalame :
Lui, c’est l’homme, sois tout le Combat ! et pourtant,

Souviens-Toi que mes seins sont de vierge égoïste,
O Sacre ! et qu’en les Yeux du Mage inquiétant
Je ne sais quel vœu vague et mortuaire existe – »

Q15  T14 – banv

Je ne vous cache pas que je suis amoureux — 1885 (11)

Victor HugoToute la LyreRoman en trois sonnets

II

Je ne vous cache pas que je suis amoureux.
Je ne vous cache pas que vous êtes charmante,
Soit; mais vous comprenez que ce qui me tourmente,
C’est, ayant le coeur plein, d’avoir le gousset creux.

On fuit le pauvre ainsi qu’on fuyait le lépreux;
Pour Tircis sans un sou Philis est peu clémente,
Et l’amant dédoré n’éblouit point l’amante;
Il sied d’être Rothschild avant d’être Saint-Preux.

N’importe, je m’obstine; et j’ai l’audace étrange
D’être pauvre et d’aimer, et je vous veux, bel ange;
Car l’ange n’est complet que lorsqu’il est déchu;

Et je vous offre, Eglé, giletière étonnée,
Tout ce qu’une âme, hélas, vers l’infini tournée,
Mêle de rêverie aux rondeurs d’un fichu.

Q15 – T15

En tout temps, comme en tout séjour, — 1885 (9)

Emile Blémont La belle aventure

Sonnet galant

En tout temps, comme en tout séjour,
Ils remporteront la victoire
Vos yeux pleins de lumière noire,
Vos yeux bruns imprégnés d’amour.

A quoi bon porter tour à tour
L’or, l’argent, le satin, la moire?
Dévoilez plutôt votre gloire,
Beauté plus belle que le jour!

Aimons-nous sans menteuses luttes!
Un baiser de quelques minutes
Vaut toute une heure à babiller.

Faire toilette vous amuse:
Parez-vous, ma petite muse,
Puis laissez-vous déshabiller.

Q15 – T15 – octo

Tes splendeurs seules, sont, Maîtresse, incomparables, — 1885 (8)

Rodolphe DarzensLa nuit

L’incomparable

Tes splendeurs seules, sont, Maîtresse, incomparables,
Et pour dire en mes vers dociles ta Beauté
J’ai vainement cherché des mots, de tout côté,
Qui pussent exprimer tes formes adorables.

Car  » le vermeil éclat de la fleur des érables »
N’est pas ta lèvre, où rit ta rouge cruauté;
Et,  » neige, marbre, lis  » candides, Royauté
Triple de la blancheur, paraissent misérables

Auprès du flamboiement mystique de tes seins!
Qu’est-ce ‘la nuit « , auprès de tes cheveux malsains
Où, dans les replis lourds, rôde un arôme louche?

Tes cheveux sont obscurs plus que le firmament:
Ta bouche est rouge comme est seulement ta bouche,
Et tes seins sont pareils à tes seins seulement.

Q15 – T14 – banv