Archives de catégorie : formules principales

Maint passé par tant de couloirs — 1959 (5)

Olivier LarrondeRien voilà l’ordre

Cheminée

Maint passé par tant de couloirs
Riches d’affres en lourds trophées
Part fumant à chaque bouffée
Dont s’allume un l’autre nos soirs.

Feu, des orgueils chambre! où surseoir
– Chambre un rien l’isole étouffée –
Aux serres jusqu’au bout chauffées
Du rien cher qui console un loir.

Torche ô fulgurant nécessaire…
Moi le tien en branle. Abandon:
Il a chu le sépulcre dort,
Nos nuits blanches nous agrippèrent.

Chambre où fumée en désaveu
De nos feux en immortel vœu.

Q15 – T30 – octo – disp: 4+4+4+2

J’ai pour toi sur ma table un objet rond et lourd, — 1958 (19)

Guillevic sonnets : ed.1999

pour Jean TARDIEU

J’ai pour toi sur ma table un objet rond et lourd,
Un assez gros caillou pour qu’on le nomme pierre,
Ramassé l’an dernier près d’une sablière,
Couleur de longue pluie ainsi qu’était ce jour.

Je veux savoir de lui si je suis son recours,
Mais il répond toujours de façon outrancière,
Comme s’il refusait le temps et la lumière,
Comme un qui voit le centre et boude l’alentour,

Qui n’aurait pas besoin de se trouver soi-même
Et de chercher plus loin qu’on l’accepte ou qu’on l’aime,
Qui n’aurait le besoin, plutôt, de rien chercher.

Nous toujours à l’affût, toujours sur le qui-vive,
Nous qui rêvons de vivre une heure de rocher,
Cherchons dans le caillou la paix des perspectives.

Q15 – T14 – banv

Nous avons en commun de la terre et du temps, — 1958 (18)

Guillevic sonnets : ed.1999

pour Jean FOLLAIN

Nous avons en commun de la terre et du temps,
Des sentiers et des prés debout près des villages,
Des caves, des greniers creusés dans d’autres âges,
Des insectes rêvant l’attaque en attendant.

Nous avons en commun la teneur du dedans
Des chambres, des coins d’ombre et des objets d’usage,
Une espèce de puits où sont les paysages
Et le besoin de retenir tous les partants.

Presqu’un même soleil, pas la même lumière,
Je te vois là, pleurant sur la mort coutumière,
Plus d’étrange dans ton pays que dans le mien.

Follain, mon vieil ami, même un peu mon complice,
En ce jour accompli, je te donne mon bien,
Le vol d’une alouette et son chant de délices.

Q15 – T14 – banv

Si j’osais je dirais ce que je n’ose dire — 1958 (6)

Raymond Queneau Sonnets

Qui cause? qui dose? qui ose?

Si j’osais je dirais ce que je n’ose dire
Mais non je n’ose pas je ne suis pas osé
Dire n’est pas mon fort et fors que de le dire
Je cacherai toujours ce que je n’oserai

Oser ce n’est pas rien ce n’est pas peu de dire
Mais rien ce n’est pas peu et peu se réduirait
A ce rien si osé que je n’ose produire
Et que ne cacherait un qui le produirait

Mais ce n’est pas tout ça Au boulot si je l’ose
Mais comment oserai-je une si courte pause
Séparant le tercet d’avecque le quatrain

D’ailleurs je dois l’avouer je ne sais pas qui cause
Je ne sais pas qui parle et je ne sais qui ose
A l’infini poème apporter une fin

Q8 – T15

Est-il vrai qu’en ces lieux l’enchanteur ait passé, — 1957 (6)

Léon Lafoscade & Louis-Ferdinand Flutre Fantaisie brugeoise

Le lac d’amour

Est-il vrai qu’en ces lieux l’enchanteur ait passé,
Que le roseau des bords dissimule une ondine
Capable de verser à celui qui chemine
Un charme sous lequel il demeure insensé ?

Quel couple cependant resterait enlacé
Quand le prestigieux mirage le fascine ?
La plus prompte à céder se fait soudain béguine
Le plus entreprenant s’arrête ambarrassé.

Car Sainte Elizabeth prend en sa sauvegarde
Quiconque sur la berge à ses pieds se hasarde.
Dans les reflets du ciel où tremble un long clocher,

Le cygne se balance en rythme liturgique ;
Vigne et saule pleureur s’affligent du péché,
Et tout amour devient communion mystique

Q15  T14 – banv

L’espace, il va plus loin. Tu sais que l’horizon — 1955 (1)

Guillevic – textes écartés des Sonnets de 1954

L’espace, il va plus loin. Tu sais que l’horizon
Ne limite que toi, que c’est beaucoup plus ample;
Que ce que tu vois là n’est qu’un petit exemple
Où n’est pas limité l’empire de raison.

L’espace devant toi n’est pas une prison
Et même il te suffit de ce que tu contemples.
Tu ne veux pas pourtant qu’il te soit comme un temple
Où viendraient se montrer les couleurs des saisons.

Tu sais que tu ne peux embrasser davantage,
Mais tu sais que le monde est un autre arpentage,
Et que l’on plonge dans l’immense après ces près,

Que l’immense est lui-même un point parmi l’immense
Immensément plus grand et pas administré,
Et qu’espace n’est pas colère ni démence.

Q15 – T14 – banv

Passant, celui qui gît sous ce marbre romain — 1954 (9)

« Un escholier de Louvain » Sardines à l’instar, pastiches littéraires

Epigramme funéraire

Passant, celui qui gît sous ce marbre romain
Parmi les noirs cyprès, et les pins d’Italie,
Etait un fin gourmet et la gastronomie
Fut sa plus grande joie en ce monde incertain .

Il connut La Reynière et Brillat-Savarin
Et sut accomoder selon sa fantaisie
La piperade où l’ail à la sauge s’allie
Et doser le laurier, le gingembre, le thym.

S’il vidait volontiers sa coupe de champagne
La modération fut toujours sa compagne
Et quand il fut venu dans un âge avancé

Il sut se résigner à tremper ses tartines
Et dîner quelquefois,  en songeant au passé
D’un quart d’eau minérale et de quelques sardines.

(Henri de Régnier)

Q15 – T14 – banv

Notre chemin passe par les traverses — 1954 (8)

Jean Sénac Les leçons d’Edgard in Oeuvres poétiques (1999)

1

Notre chemin passe par les traverses
Il est large et précis comme un cou de taureau,
Il craint le cœur dans les heures adverses
Dans le plaisir il craint les mots.

Notre chemin quand tombent les averses
Sent la luzerne et l’églantine à crocs,
Et si l’ornière au feu central nous verse,
Notre pied garde assez de flot.

Notre chemin procède par énigmes,
Quoique très clair ton sourire conduit,
Ton corps charrie les pigments et les rythmes.

Ta voix consent aux laves de la nuit.
Mais l’or au front, il trace, solitaire,
Notre chemin de paix dans les plis de la terre.

Q8 – T23 – 2m : déca;  octo: v.4, v.8; alexandrin: v.14

Donc je me suis permis de ces facilités! — 1954 (6)

Guillevic 31 sonnets – préface d’Aragon –

Du sonnet
II

Donc je me suis permis de ces facilités!
Ce n’est pas du sonnet, cette lourde farine,
Il y a hiatus, ma césure est caprine
Et mes rimes, voyons, manquent de pailleté.

Je ne conteste pas que vous pouvez citer
Bien des sonnets parés pour un bal de tsarine
Ou que l’on reconnaît au son de la clarine,
Mais d’autres avant eux avaient droit de cité.

Car il faut qu’un sonnet fasse un peu la coquette,
Qu’il soit boîte à musique et même qu’il cliquète
Quand sa valeur se borne à de tels agréments,

N’érigez pas en loi ce qui est maladie.
Quand un sonnet dit vrai, quand il vaut un serment,
Tout autre est son allure, autre sa mélodie.

Q15 – T14 -banv –  s sur s

Le sonnet, me dit-il, c’est de l’orfèvrerie, — 1954 (5)

Guillevic 31 sonnets – préface d’Aragon –

Du sonnet
I

Le sonnet, me dit-il, c’est de l’orfèvrerie,
Du bijou de vitrine et du bien ciselé.
Il dit que j’ai forfait, que la honte je l’ai
D’avoir trahi la langue et la règle et l’hoirie.

Monsieur le professeur, permettez que l’on rie.
Vos pareils sur l’idée ont tort de modeler
Leur visage et leur hargne et de s’écarteler
Entre le bien commun et leur longue furie.

Je ne suis pas orfèvre et n’en fais pas métier
Et je ne savais pas que vous-même l’étiez,
Car il n’y paraît pas à découvrir vos rimes.

Et puis je sais trop bien ce qui fuit vos compas:
Dans mes sonnets parfois un peu d’humour s’exprime
Et fait orfèvrerie où vous ne cherchez pas.

Q15 – T14 – banv – s sur s