Archives de catégorie : formules principales

Zeus, qui te façonna dans un roseau flexible, — 1884 (4)

– Le Docteur (Georges) CamusetLes Sonnets du Docteur

Maigreur
A Mlle S.B. de la Comédie Française.

Zeus, qui te façonna dans un roseau flexible,
Le cueillit sur les bords où disparut Syrinx;
Puis il s’arrêta court, ayant fait ton larynx,
Luth vivant, qu’il dota d’une gaîne impossible.

Il économisa la matière tangible,
Et les chastes panneaux signés Perugin pinx.
Et la scène où l’on voit agoniser le Sphinx
N’exhibèrent jamais corps plus irréductible.

Arrêtant la jumelle au cran qui fait voir gros,
Mon oeil inquisiteur évoque le mirage
D’un embonpoint fictif étranger à tes os,

Et cherche à pallier l’erreur de son ouvrage.
Mais que de charme encor dans cet étui tout sec!
Pourquoi n’avoir pas mis un peu de chair avec?

Q15 – T23

Près d’un « objet charmant » — 1884 (3)

– Le Docteur (Georges) CamusetLes Sonnets du Docteur

Préservatifs

Près d’un « objet charmant »
Lorsque l’amour m’appelle,
Avant de voir ma belle
Je passe chez Millant.

Là, du petit au grand,
Flotte une ribambelle
De rubans qu’avec zèle
Il gonfle en y soufflant.

Enfin! j’ai ma mesure!
Au sein de la luxure,
Vite, allons nous plonger.

Caché dans la baudruche,
Je veux comme l’autruche,
Ne plus croire au danger.

Q15 – T15 – 6s

Bien avant que Fourier rêvât le Phalanstère,— 1884 (2)

– Le Docteur (Georges) CamusetLes Sonnets du Docteur

Le ver solitaire

Bien avant que Fourier rêvât le Phalanstère,
Bien avant Saint-Simon et le Père Enfantin,
Dans les retraits ombreux du petit intestin
Le Scolium déjà pratiquait leur chimère.

Un cestoïde obscur, un simple entozoaire,
Avait constitué l’Etat républicain.
Martyr voué d’avance au remède africain,
Salut, fils du Scolex, pâle et doux Solitaire!

Tes anneaux, dont chacun forme un ménage uni,
Sur un boyau commun prospèrent à l’envi
L’un à l’autre attachés, pas plus sujets que maîtres.

Oui, c’est un beau spectacle, et l’on doit respecter
Le sentiment profond qui me pousse à chanter
En vers de douze pieds le ver de douze mètres.

Q15 – T15 – cestoïde (Héloise Neefs : Les disparus du Littré) terme didactique. Qui a la forme d’un ruban, d’une ceinture. // vers cestoïdes, ordre d’animaux de la classe des helminthes, caractérisés par un corps mou. Le taenia est un vers cestoïde – (TLF° scolex : Partie antérieure des vers cestoïdes ou tête de ténia, pourvue de ventouses et parfois de crochets

Trois fois chaste Ninon que j’aime – ma maîtresse, — 1883 (28)

? in Tintamarre (mars )

Sonnet circulaire

à la façon de Privé, mon ami – l’auteur a dédié, voilà quelque temps, à cette même place, des vers « à une catin ». Il dédie ceux-ci – à une femme

Trois fois chaste Ninon que j’aime – ma maîtresse,
Et ma mère, et ma sœur, – trois fois pure beauté
Sur laquelle je lève, aux heures de détresse,
Mes yeux où les orgueils de l’art ont éclaté ;

Ma muse – car vous seule êtes assez traîtresse
Pour m’inspirer encor, par votre honnêteté,
Les sublimes ardeurs d’une foi vengeresse
Sifflant ses rimes d’or au monde épouvanté !

Vous que, tout bas, je nomme et que nul ne devine,
Vous dont je sens pour moi l’influence divine
Soulever le rideau des horizons vermeils ;

Avez-vous lu ces vers « immoraux et stupides »
Qui, sous ma signature, en cadences limpides,
Ont secoué l’Ignoble en ses sales sommeils ?

Or donc, ils secouaient l’ignoble en ses sommeils.
Et, si tu les a lus, avec tes yeux limpides,
Tu les as dû trouver moraux – et non stupides.

La fange fait aimer les coeux clairs et vermeil !
N’est-ce pas dans les nuits intenses quon devine
Les douloureux besoins de lumière divine ?

Certes, plus d’un bourgeois en fut épouvanté,
De ces vers, où sifflait ma haine vengeresse,
Où riait aux éclats ma fauve honnêteté
Foulant sous ses pieds nus l’hétaïre traîtresse !

Et tant mieux ! – moi, je sais, lorsqu’ils ont éclaté,
Combien pénible était ma profonde détresse,
Et combien ils faisent ressortir ta beauté,
Et quel hommage ils sont pour vous – ô ma maîtresse !

Q8 – T15 – s+s.rev

Est-il donc vrai, Boileau, que ce petit poème, — 1883 (27)

E. Chalamel in le Feu Follet

Sonnet
contre le sonnet

Est-il donc vrai, Boileau, que ce petit poème,
Aux rimes se croisant dans ses quatorze vers,
Soit, lorsqu’il est parfait, de l’art la fin extrême ?
Un chef-d’oeuvre que doit admirer l’univers ? …

Cela doit l’être, car tu nous l’as dit toi-même,
D’ailleurs ceux que tu fis, n’ont jamais eu de pairs,
Comment pus-tu résoudre un semblable problème ? …
Moi j’y brûle mon sang, j’en blémis, je m’y perds ! …

Qu’il en est cependant qui de la renommée
Boivent le doux nectar, trônent dans l’empyrée,
Et, veux-tu des sonnets ? … En voilà des empans ! …

Cela sort de partout ; cela vole par troupes :
Ainsi les charlatans avalent des étoupes
Et jettent aux badauds des années de rubans.

Q8  T15  s sur s

Comme deux oiseaux nous nichons — 1883 (25)

Ernest d’Orlanges Poésies naturalistes

Hélène, IX

Comme deux oiseaux nous nichons
Dans un lit d’éclatante hermine
Et lorsque l’été se termine
A tous les yeux nous nous cachons.

Nous sommes les petits nichons,
Tant convoités de la gamine
Et que le garçon examine
Avec des regards folichons.

Lorsqu’avec notre tétin rose
Un homme, ivre de plaisir, cause
Nous nous cabrons comme un coursier,

Nous sommes plus blancs que l’ivoire,
Et presque aussi durs que l’acier
Voilà ce qui fait notre gloire.

Q15  T14 – banv – octo

Cette balle, comme elle est ronde — 1883 (24)

Ernest d’Orlanges Poésies naturalistes

Le poème d’un suicidé

Cette balle, comme elle est ronde
Comme elle entre bien dans le trou
De ce revolver … J’en suis fou !
J’ai pour elle une amour profonde.

Non jamais brune, jamais blonde
Avec leurs robes à froufrou
N’allumèrent pareil grisou
Dans ma cervelle vagabonde.

Quand elle entrera dans ma peau
Je tomberai comme un moineau
Me pâmant sous sa douce étreinte.

Chère balle, je t’aimerai
Lorsque ma vie étant éteinte
Je dormirai dans le tombeau.

Q15  T14  – banv – octo

Il siège au coin du feu, les paupières mi-closes, — 1883 (19)

Hippolyte Taine Douze sonnets sur les chats

A 3 chats, Puss, Ebène et Mitonne, … ces douze sonnets sont dédiés par leur ami, maître, et serviteur

IV
Les souvenirs

Il siège au coin du feu, les paupières mi-closes,
Aspirant la chaleur du brasier qui s’éteint;
La bouilloire bouillonne avec des bruits d’étain.
Le bois flambe, noircit, s’effile en charbons roses.

Le royal exilé prend de sublimes poses;
Il allonge son nez sur ses pieds de satin;—
Il s’endort, il échappe au stupide destin,
A l’irrémédiable écroulement des choses.

Les siècles en son coeur ont épaissi leur nuit,
Mais au fond de son coeur, inextinguible, luit
Comme un flambeau sacré, son rêve héréditaire:

Un soir d’or, le déclic empourpré du soleil,
Des fûts noirs de palmiers sur l’horizon vermeil,
Un grand fleuve qui roule entre deux murs de terre

Q15 – T15

Là-bas, dans la tiédeur et la lumière brune — 1883 (17)

Edmond Haraucourt La légende des sexes

L’homme d’Etat

Là-bas, dans la tiédeur et la lumière brune
De l’alcove où l’air âcre aigrit les odorats,
Un cul parlementaire enfle l’ampleur des draps,
Et large s’arrondit comme une pleine lune.

Dans les fesses qu’il fit, Rubens n’en fit aucune
De majesté plus noble et de contours plus gras;
Obéron ne saurait le tenir dans ses bras,
Et Vénus Callipyge en garderait rancune.

Si vertueux qu’on soit et malgré la pudeur,
Rien qu’à voir cette ferme et virile rondeur,
On sent lever en soi des désirs monastiques.

On contemple: on voudrait; et le rêve mutin
Flotte alentour, avec des langueurs extatiques;
Cependant que le cul chante un hymne au matin.

Q15 – T14 – banv

Madame, vous avez une tête de mort. — 1883 (16)

Edmond Haraucourt La légende des sexes

Madrigal
Sonnet.

Madame, vous avez une tête de mort.
Votre front vaste et jaune et votre face glabre
Vos pommettes que l’âge ossifie et délabre
Vont me hanter la nuit, comme hante un remords.

Quand votre bouche rit, soupire chante ou mord,
Le triangle effrayé de votre nez se cabre,
Et le reflet vitreux d’une danse macabre
Tremble en vos yeux falots où sommeille la Mort.

Sur un ventre fumeux que ravinent les rides,
Vos seins pendants et longs comme deux gourdes vides
Balottent flasquement au moindre de vos pas;

Et Satan aurait peur de s’écorcher la langue
Si Vénus lui prêtait, pour y planter son cas
Le sourire tanné de votre vulve exsangue.

Q15 – T14 – banv