Archives de catégorie : formules principales

De l’oubli magique venue, — 1869 (1)

Stéphane Mallarmé deuxième version manuscrite du sonnet  ‘De l’orient passé des Temps

Alternative

De l’oubli magique venue,
Nulle étoffe, musique et temps,
Ne vaut la chevelure nue
Que, loin des bijoux, tu détends.

En mon rêve, antique avenue
De tentures, seul, si j’entends
Le Néant, cette chère nue
Enfouira mes yeux contents!

Non. Comme par les rideaux vagues
Se heurtent du vide les vagues,
Pour un fantôme les cheveux

Font luxueusement renaître
La lueur parjure de l’Etre,
– Son horreur et ses désaveux.

Q8 – T15  octo

O sole ! poisson merveilleux ! — 1868 (27)

Eugène Vermeersch Sonnets gastronomiques

La sole

O sole ! poisson merveilleux !
Il faudrait au moins dix chapitres
Pour énumérer tous tes titres
A ce sonnet respectueux.

Les Vatel te comprennant, eux,
T’entourent du velours des huîtres,
Des truffes, des moules bêlitres,
Et des champignons savoureux.

La Nature s’est surpassée
Quand elle ourdit ta chair, tissée
De filets tenus, égrillards

Et qui mieux qu’un savant breuvage
Révèlent au penchant de l’âge
L’Amour dans le sang des vieillards.

Q15  T15  octo

Lorsque montent des bois les brouillards de rosé, — 1868 (26)

Eugène Vermeersch Sonnets gastronomiques

La perdrix

Lorsque montent des bois les brouillards de rosé,
Marchant à petits pas dans les chants endormis,
La perdrix, se drapant dans la soie ardoisée
De sa robe, poursuit les vers et les fourmis.

Plongeant au loin ses yeux ronds et clairs, la rusée
Fait le plus doux espoir des succulents salmis,
Si quelqu’un vous parlait – langue malavisées ! –
De choux, oh ! qu’il ne soit jamais de vos amis !

C’est un sot ! … Fuyez la mode périgourdine
Que la truffe y soit rare et discrère – en sourdine !
Elle doit être là comme un simple éperon.

Gourmets ! servez sa chair aux pieds roses, rôtie,
Une bande de lard voilant sa modestie,
L’estomac arrosé des larmes du citron.

Q8  T15

O truffes ! diamants d’ébène, sœurs et mères — 1868 (25)

Eugène Vermersch Sonnets culinaires

Les truffes

O truffes ! diamants d’ébène, sœurs et mères
De la subtile joie et du savant baiser !
Sans lesquelles il n’est point permis de priser
La table épiscopale & les royales chères !

Quand la pourpre du vin saigne en nos coupes claires,
Et que la lèvre en fleur commence à se griser,
Dans l’argent mat où vous aimez à reposer,
Vous brillez sur la nappe aux lueurs des torchères.

Truffes, salut ! … si dans les tubercules bruns
L’aï mousseux a fait pénétrer ses ivresses,
Un soufle plus chaud tremble aux bouches des maîtresses,

Et pour toi délaissant leurs blancs nids de caresses,
Dans les boudoirs secrets, loin des yeux importuns,
Les amoureux désirs nagent dans tes parfums.

Q15  T30

Des convives repus la fatigue s’empare … — 1868 (24)

Eugène Vermersch Sonnets culinaires in  L’Eclipse

Le macaroni

Des convives repus la fatigue s’empare …
Servez alors ce plat riche et mélodieux
Qui nous vient d’Italie et qui lui vint des dieux
De la divinité c’est le don le plus rare.

De graisse de chapon ne soyez point avare
Prodiguez les rognons de coq, les savoureux
Champignons et la truffe aux pouvoirs amoureux,
Demandez à Bontoux comment ils se préparent.

Que des lèvres d’argent de la cuiller qui sort
Brusquement du ragoût, des stalactites d’or
Tombent ; vous connaitrez à quel point sont futiles

Les splendides objets de notre vanité,
Que notre estomac seul veut être respecté
Et que les paradis sont choses inutiles.

Q15  T15

Le siècle est aux chevaux – on est d’humeur morose, — 1868 (23)

Delphis  de la Cour Poésies et sonnets couronnés en 1867

Le siècle est aux chevaux – on est d’humeur morose,
On pense que l’esprit est d’un mince rapport,
On ne parle jamais que de turf et de sport ;
On aime mieux sentir le cheval que la rose.

Le siècle est à l’argent, le siècle est à la prose,
La Bourse est un écueil que l’on prend pour un port,
L’amour se traite en prime et l’honneur en report ;
Le bruit de l’or, hélas ! fait taire toute chose.

Le poète n’est rien, c’est un type effacé.
La prose rit bien haut du style cadencé ;
Le chant du rossignol est sifflé par les merles.

Le poète n’est rien, dis-tu, siècle insensé !
Par lui le diamant est dans l’or enchassé,
Il enfile les mots, mais ces mots sont des perles !

Q15 – T15

Le tréteau qu’un orchestre emphatique secoue — 1868 (19)

Coll.sonnets et eaux fortes

Verlaine

Le pitre

Le tréteau qu’un orchestre emphatique secoue
Grince sous les grands pieds du maigre baladin
Qui parade – non sans un visible dédain
Des badauds s’enrhumant devant lui dans la boue.

La courbe de ses reins et le fard de sa joue
Excellent. Il pérore et se tait tout soudain,
Reçoit des coups de pied au derrière, badin
Baise au cou sa commère énorme et fait la roue.

Il accueille à merveille et rend bien les soufflets;
Son court pourpoint de toile à fleurs et ses mollets
Tournant jusqu’à l’abus valent que l’on s’arrête.

Mais ce qu’il sied vraiment d’exalter, c’est surtout
Cette perruque d’où se dresse, sur sa tête ,
Preste, une queue avec un papillon au bout.

Q15 – T14- banv – 

Par un ciel étoilé sur ce beau pont des Arts, — 1868 (17)

Coll.sonnets et eaux fortes

Sainte-Beuve

Le pont des Arts

Par un ciel étoilé sur ce beau pont des Arts,
Revenant tard et seul de la cité qui gronde,
J’ai mille fois rêvé que l’Eden en ce monde
Serait de mener là mon ange aux doux regards;

De fuir boue et passants, les cris, le vice épars,
De lui montrer le ciel, la lune éclairant l’onde,
Les constellations dans leur courbe profonde
Planant sur ce vain bruit des hommes et des chars.

J’ai rêvé lui donner un bouquet au passage;
A la rampe accoudé ne voir que son visage,
Ou l’asseoir sur ces bancs d’un mol éclat blanchis;

Et quand son âme est pleine et sa voix oppressée,
L’entendre désirer de gagner le logis,
Suspendant à mon bras sa marche un peu lassée.

Q15 – T14 – banv

Voyez, sous une nuit triste, qui fond en eau, — 1868 (16)

Coll. Sonnets et Eaux-Fortes

Louis-Xavier de Ricard

Théroigne de Méricourt

Voyez, sous une nuit triste, qui fond en eau,
L’assaut tumultueux des femmes en guenilles,
Sombre, hurlant des cris de faim, s’entasse aux grilles.
Tranquille, au loin, le parc est noir comme un  tombeau.

Etonnés de ce peuple, autrefois vil troupeau,
Et que les lourds canons aient quitté les bastilles,
Pour obéir aux mains qui tenaient les aiguilles,
Les gardes sont rangés devant le vieux château.

Et voici que, pareille à l’étoile sanglante
Que les flots de la mer sinistre et violente
Font jaillir dans le ciel orageux de la nuit,

Sur un cheval cabré, parmi la foule, éclate
Farouche, et brandissant un sabre nu, qui luit,
La belle Liégeoise, amazone écarlate!

Q15 – T14 – banv

De même qu’au soleil l’horrible essaim des mouches — 1868 (15)

coll. sonnets et eaux-fortes

Leconte de Lisle

Le combat homérique

De même qu’au soleil l’horrible essaim des mouches
Des taureaux égorgés couvre les cuirs velus,
Un tourbillon guerrier de peuples chevelus
Hors des nefs s’épaissit, plein de clameurs farouches.

Tout roule et se confond, souffle rauque des bouches,
Bruit des coups, les vivants et ceux qui ne sont plus,
Chars vides, étalons cabrés, flux et reflux
Des boucliers d’airain hérissés d’éclairs louches.

Les reptiles tordus au front, les yeux ardents,
L’aboyeuse Gorgô vole et grince des dents
Par la plaine où le sang exhale ses buées.

Zeus, sur le pavé d’or, se lève, furieux,
Et voici que la troupe héroïque des dieux
Bondit dans le combat, du faîte des nuées.

Q15 – T15