Archives de catégorie : formules principales

Le vert colibri, le roi des collines, — 1862 (8)

Leconte de Lisle Poèmes barbares

Le colibri

Le vert colibri, le roi des collines,
Voyant la rosée et le soleil clair
Luire dans son nid tissé d’herbes fines,
Comme un frais rayon s’échappe dans l’air.

Il se hâte et vole aux sources voisines
Où les bambous font le bruit de la mer,
Où l’açoka rouge, aux odeurs divines,
S’ouvre et porte au coeur un humide éclair.

Vers la fleur dorée il descend, se pose,
Et boit tant d’amour dans la coupe rose,
Qu’il meurt, ne sachant s’il l’a pu tarir.

Sur ta lèvre pure, ô ma bien-aimée,
Telle aussi mon âme eût voulu mourir
Du premier baiser qui l’a parfumée!

Q8 – T14 – tara

Le sonnet, au contraire, est-il frais, gracieux — 1862 (6)

Charles Frétin Folles et sages


II

Le sonnet, au contraire, est-il frais, gracieux
C’est la jeune odalisque à l’ondoyante allure,
Qui s’avance en dansant, des fleurs à la ceinture,
Des diamants au front, des flammes dans les yeux.

Au milieu des parfums qui brûlent vaporeux,
Les rimes des quatrains lui battent la mesure,
Deux fois d’un pied léger la svelte créature
Brode le même pas sur les tapis soyeux.

Dès que vient des tercets la cadence plus vive,
Tout-à-coup s’animant, vous la voyez lascive
Soulever sa basquine avec un doux souris;

Puis, quand son sein bondit ainsi qu’une gazelle,
De son bouquet tombant cette soeur des houris
Vous jette pour adieu la rose la plus belle.

Q15 – T14 -banv –  s sur s

Quand le sonnet renferme une mâle pensée — 1862 (5)

Charles FretinFolles et sages

Le sonnet
I

Quand le sonnet renferme une mâle pensée
Eclatant à la fin par un sublime vers,
C’est la frégate armée, à l’horizon des mers
Se montrant tour à tour, sur la vague bercée;

Comme par un vent frais, elle approche poussée,
Harmonieux miroir, bientôt les flots amers
Reflètent ses grands mâts qui balancent les airs,
Son pavillon qui flotte et sa taille élancée.

Tandis que dans l’azur et du ciel et des eaux
Vous regardez tranquille onduler ses drapeaux,
Elle, dans les canons, presse et presse la poudre;

Puis, rapide, elle accourt, toutes voiles dehors,
Et, faisant feu soudain du port et des sabords,
Sur vous lance en passant les éclairs et la foudre.

Q15 – T15 – s sur s

Grondez sur ma tête, orchestres des airs; — 1861 (3)

Edmond ArnouldSonnets et poèmes

Grondez sur ma tête, orchestres des airs;
Faites frissonner rameaux et feuillages;
Tirez des accords profonds et sauvages
Des sombres sapins et des chênes verts;

Répétez pour moi, dans les bois déserts,
Ces rumeurs, ces cris, ces chants, ces langages,
Que vous murmuriez en ces premiers âges
Où vous parliez seuls au vieil univers;

Où l’on n’entendait passer dans les plaines
Ni l’accent plaintif des douleurs humaines,
Ni le cri joyeux des jeunes amours;

Où nul n’écoutait votre voix puissante,
Excepté celui dont la main savante
Travaillait dans l’ombre à l’oeuvre des jours!

Q15 – T15 – tara

M. SchuréEtude sur les sonnets d’Edmond Arnould – Le sonnet a été de tout temps le péché poétique des savants et des philosophes. Le vrai poète choisit d’instinct la forme qui répond le mieux à son sentiment et en marque pour ainsi dire la cadence. L’érudit, s’il essaie d’être poète, se plait à mouler sa pensée dans une forme arrêtée, à en ciseler les contours avec un soin jaloux. Le sonnet se prète merveilleusement à l’archaïsme, au trait d’esprit, à l’aphorisme philosophique. Peut-être faut-il regretter qu’Edmond Arnould ait confié ses sentiments les plus forts, ses pensées les plus riches à cette forme d’une élégance recherchée. Il eût été plus libre, plus naturel, plus inspiré, en un mot, en n’adoptant aucun cadre. Nous aurions, des luttes de sa vie intime, une plus frappante image, s’il avait rendu, par la variété des rythmes et des combinaisons prosodiques, le ton primitif de chacune de ses émotions. Mais si je ne me trompe, la forme du sonnet, qu’il semble avoir adoptée une fois pour toutes, tient à la nature particulière de sa pensée et de son activité poétique …. pour un tel poète, le sonnet était un cadre heureux. Car, dans sa forme étroite, dans son rythme contenu, dans son harmonie pleine, il sait exprimer énergiquement une pensée simple et forte. La lutte que dans ce travail le poète soutenait contre la forme, n’était au fond que la lutte de sa pensée avec elle-même. En l’exprimant brièvement et fortement, il en devenait maître et prenait acte de conviction.

Ami lecteur, qui viens d’entrer dans la boutique — 1861 (2)

Henri Murger Les nuits d’hiver

Sonnet
Au lecteur

Ami lecteur, qui viens d’entrer dans la boutique
Où l’on vend ce volume, et qui l’as acheté
Sans marchander d’un sou, malgré son prix modique,
Sois béni, bon lecteur, dans ta postérité!

Que ton épouse reste économe et pudique;
Que le fruit de son sein soit ton portrait flatté
Sans retouche; – et, pareille à la matrone antique,
Qu’elle marque son linge et fasse bien le thé!

Que ton cellier soit plein du vin de la comète!
Qu’on ne t’emprunte pas d’argent, – et qu’on t’en prête!
Que le brelan te suive autour des tapis verts;

Et qu’un jour sur ta tombe, en marbre de Carrare,
Un burin d’or inscrive – hic jacet – l’homme rare
Qui payait d’un écu trois cents pages de vers!

Q8 – T15

Sous le rideau de pourpre et son reflet vermeil, — 1860 (1)

Amédée Pommier Sonnets sur le salon de 1850

Le lever Eugène Delacroix

Sous le rideau de pourpre et son reflet vermeil,
Du lit encourtiné tu délaisses la plume,
Car il est déjà tard et ta vitre s’allume
Aux rayons scintillants que darde le soleil.

Eh quoi! tu n’es pas même en ce simple appareil
Dont parle Jean Racine! Est-ce donc la coutume
Qu’on fasse sa toilette en si léger costume
Et qu’on se mire nue au moment du réveil?

Il est bizarre, au moins, conviens-en, jeune fille,
D’être sans voile ainsi jusques à la cheville
C’est un habillement un peu … décolleté.

Pour toi, tu vas peignant ta blonde chevelure,
Et c’est là ton souci! Que faut-il en conclure?
Qu’apparemment on est au plus fort de l’été.

Q15 – T15

Il est des jours où la muse rebelle, — 1858 (5)

Auguste Lestourgie Près du clocher

A Chéri Vergne

Il est des jours où la muse rebelle,
Comme un oiseau las de fendre les airs,
N’a plus d’amour pour les tendres concerts,
Se tait, se pose, et n’ouvre plus son aile !

Il est des jours où la flamme immortelle
Paraît éteinte ; où, semblable aux déserts,
Le cœur n’est plus qu’un stérile univers,
Sans fleur, sans vie, où nul feu n’étincelle !

Mais quand on jette à ce cœur désolé
Un nom, un seul – soudain s’est envolé
L’oiseau chanteur qui sommeillait dans l’âme !

La flamme vive a paru – tout fleuri,
Vivant, peuplé, le désert a souri! –
Ce nom puissant c’est un doux nom de femme !

Q15  T15  déca

Je te donne ces vers afin que si mon nom — 1857 (19)

Baudelaire Les fleurs du mal

Je te donne ces vers afin que si mon nom
Aborde heureusement aux époques lointaines,
Et fait rêver le soir les cervelles humaines,
Vaisseau favorisé par un grand aquilon,

Ta mémoire, pareille aux fables incertaines,
Fatigue le lecteur ainsi qu’un tympanon,
Et par un fraternel et mystique chaînon
Reste comme pendue à mes rimes hautaines;

Etre maudit à qui, de l’abîme profond
Jusqu’au plus haut du ciel, rien, hors moi, ne répond!
– O toi qui, comme une ombre à la trace éphémère,

Foules d’un pied léger et d’un regard serein
Les stupides mortels qui t’ont jugée amère,
Statue aux yeux de jais, grand ange au front d’airain!

Q15 – T14

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d’automne, — 1857 (14)

Baudelaire Les fleurs du mal

Parfum exotique

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d’automne,
Je respire l’odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu’éblouissent les feux d’un soleil monotone;

Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l’oeil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts,
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l’air et m’enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

Q15 – T14

La tribu prophétique aux prunelles ardentes — 1857 (10)

Baudelaire Les fleurs du mal

Bohémiens en voyage

La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s’est mis en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.

Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Fait couler de rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L’empire familier des ténèbres futures.

Q15 – T15