Archives de catégorie : formules principales

Suivi des souvenirs de ma normande plage, — 1857 (1)

Alexandre Cosnard in La Muse des familles

Fleurs hâtives

Suivi des souvenirs de ma normande plage,
Parfois, portant mes pas et ma tristesse ailleurs,
Je rencontre un pommier tout jeune et tout en fleurs,
Quoique de bois chétif et presque sans feuillage:

Je rencontre un enfant, parmi ceux du village,
Qui semble, à son maintien, n’être pas un des leurs …
Pauvre ange aux grands yeux bleus, aux fiévreuses couleurs,
Grave et pensant raison si longtemps avant l’âge!

Les gens de ce pays sont pleins d’espoir alors:
L’enfant et le jeune arbre aux précoces trésors,
On les fête à l’envi, mais moi, mon coeur se serre;

Car, pour l’arbre et l’enfant, ma mère avait chez nous
Un triste adage appris par moi sur ses genoux,
C’est: « Croître de souffrance et fleurir de misère! »

Q15 – T15 -bi

Petit sonnet, comment mettrai-je en toi — 1856 (2)

Louis Griveau Encore des rimes

Petit sonnet

Petit sonnet, comment mettrai-je en toi
Toute mon âme et toute ma pensée?
A tes versets, pour un pareil emploi,
Ma muse est-elle assez bien exercée?

Ah, je le sens, trop sévère est ta loi;
Etroitement  la chaîne en est tissée.
Il te faudrait plus habile que moi,
Pour, à toi seul, valoir une Odyssée.

Pour t’illustrer, tu n’as plus qu’un sizain.
Qu’un autre ici prenne ta gloire en main.
Ta part, pour moi, me semble être assez belle,

Si, sans aller au bout de l’univers,
Ton humble page obtient un regard d’elle,
Si d’un sourire elle honore tes vers.

Q8 – T14 – déca – s sur s

Parmi des flots d’azur, dimanche, un soleil d’or — 1856 (1)

Brocard de Meuvy fils Coupe d’amour

Le sommeil interrompu

Parmi des flots d’azur, dimanche, un soleil d’or
Rayonnait à midi; la maison fut déserte!
J’aime assez peu sortir quand tout le monde sort;
Je restai dans ma chambre et ne fit pas grand’perte,

Comme vous le verrez, si me lisez encor:
Mon store était baissé, ma croisée entr’ouverte,
L’air doux; je m’endormis, et mon plus cher trésor
Ma belle en robe bleue, au petit pas alerte,

Sur la pointe du pied, alors, entra chez moi;
Et soudain les baisers de ma brune enflammée
Eveillèrent nombreux ma paupière fermée.

Quel céleste réveil! Quel amoureux émoi!
Ma lèvre en feu s’unit à sa bouche vermeille,
Bianca fut une ruche, et je fus son abeille!

Q8 – T30

Connais-tu le pays où fleurit l’oranger? — 1855 (12)

Alfred BusquetLe poème des heures

(Septième heure)

Connais-tu le pays où fleurit l’oranger?
Où, parmi les fruits d’or, à l’abri de sa feuille,
Le bouton embaumé naît, grandit et s’effeuille,
Emplissant de parfums le retrait bocager.

Oh, c’est là qu’il est doux de vivre et de songer,
Que nos jours, comme un fruit ruminant que l’on cueille,
Comme un flôt murmurant que l’océan recueille,
Couleront vers la tombe avec un pied léger.

Cependant que la nuit blonde et tout éveillée
Luise: le rossignol chante dans la feuillée,
Le ver, dans le gazon, allume son fanal.

Soudain le ciel plissé, paupière qui frissonne
Au bord de l’horizon d’un éclat sidéral,
Rougit; il fait plus chaud – le vent se lève … il tonne.

Q15 – T14 banv

Pétrarque, au doux sonnet je fus longtemps rebelle; — 1855 (10)

Auguste Brizeux Histoire in oeuvres vol II 1884 –


Formes et pensées, II

Pétrarque, au doux sonnet je fus longtemps rebelle;
Mais toi, divin Toscan, chaste et voluptueux,
Tu choisis, évitant tout rythme impétueux,
Pour ta belle pensée une forme humble et belle.

Ton poème aujourd’hui par des charmes m’appelle:
Vase étroit mais bien clos, coffret, plaisir des yeux,
D’où s’exhale un parfum subtil, mystérieux,
Que Laure respirait, le soir, dans la chapelle.

Aux souplesses de l’art la grâce se plaisait,
Maître, tu souriras si ma muse rurale
Et libre a fait ployer la forme magistrale;

Puis, sur le tour léger de l’Etrusque, naissait,
Docile à varier la forme antique et sainte,
L’urne pour les parfums, ou le miel, ou l’absinthe.

Q15 – T30 – s sur s

La mode est au sonnet; et ce n’est pas dommage; — 1855 (9)

Emile Grimaud Fleurs de Vendée

Le Sonnet

La mode est au sonnet; et ce n’est pas dommage;
Moi, je m’en réjouis et je dis hautement
Que le sonnet mérite en tout point notre hommage,
Que Despréaux eut tort d’en faire un vrai tourment.

Un sonnet! C’est léger comme un léger ramage;
C’est une étoile d’or qui passe au firmament;
C’est un cristal limpide où se peint une image,
Pétrarque l’adopta, je l’aime infiniment.

Tandis qu’avec les fleurs il se joue et lutine,
C’est un beau papillon qu’une main enfantine
Ose à peine toucher, tremblant de le ternir;

Enfin, c’est un anneau, religieux emblême,
Que le Poête met aux doigts de ceux qu’il aime,
Pour que de lui toujours ils gardent souvenir.

Q8 – T15 – s sur s

Puisque, troublant toujours nos pieuses études, — 1854 (12)

Ferdinand de Gramont Chants du passé

CLVI

Puisque, troublant toujours nos pieuses études,
Le monde à nos regards fait trembler le grand X,
Et dans les cieux voilés revoler Béatrix
Cherchons plus loin encor d’austères solitudes.

Écartons nous surtout des viles habitudes,
Aux Syrtes de Lybie, aux cavernes d’Éryx
Des dipsades, des dards, des sépés, des natrix,
Moins hideux sont les coups et les poisons moins rudes.

Quand chacun se tient ferme et combat à son rang,
Malgré les vents de flamme et les torrents de sang
On doit suivre sa route et mourir en silence,

Mais quand tout se débande, et que la foule émeut
L’air de ses cris peureux, alors, laissant sa lance,
L’intrépide guerrier se fait jour comme il peut.

Q15 – T14  – banv – On a voulu y voir un précurseur du ‘sonnet en x’ de Mallarmé. – (H.N.) dipsade : serpent dont la piqûre produit une chaleur et une soif excessives – sépé : morceau de fer qui sert à assujettir le canon du fusil dans la coulisse – natrix : nomm de la couleuvre à collier

Cléante qui n’avait au monde que ses os — 1854 (11)

Ferdinand de Gramont Chants du passé

LXXXIII

Cléante qui n’avait au monde que ses os
Se fait riche à présent, et son ventre prospère
Mais quoi, cet homme heureux s’est-il vu naître un père?
Recueille-t-il le fruit de ses propres travaux?

Est-ce quelque inventeur de procédés nouveaux?
Nullement. Il a pris la recette vulgaire,
Et d’un coffre sans fond étayant sa misère,
Laisse venir à soi la fortune des sots.

Mais ses succès encor ne sont que des vétilles;
Il sera l’héritier de soixante familles.
Et s’ouvrent devant lui, salons et dignités.

Il peut choisir sa femme et choisir le collège
Qui l’enverra trôner au rang des députés.
D’être offert en exemple il a le privilège.

Heureux de s’unir au cortège,

Déjà même le chef d’une illustre maison
Sur ce bourbier d’écus veut plaquer son blason.

Comme il le juge en sa raison,
Un hymen si brillant vaut bien un peu d’intrigue.
La fille le respire, et la mère le brigue.

Pour y parvenir on se ligue
Et je ne réponds pas qu’avant quinze ou vingt ans,
Un vieux nom qu’ont porté tant de fiers combattants

Sonore et grandi si longtemps,
Grâce à cette union ne tombe en apanage
Aux enfants du héros d’escompte et de courtage.

Q15 – T14 + eff fgg ghh hii – octo: v.15, v.18, v.21, v.24 mr de Gramont imite le canzoniere de Pétrarque, insère dans son livre des sonnets en italien, mélange rondeaux et sextines (qu’il retrouve après Vasquin Phillieul et Pontus de Tyard ; tout en commettant, comme Pontus, l’erreur formelle de faire se rimer les mots-clefs, ce qui dénature le sens de la forme). Il emprunte ici à la tradition italienne le ‘sonetto caudato’: après les quatorze vers s’ajoutent des strophes de trois vers, composées d’un vers court (ici un octosyllabe) de deux longs (ici des alexandrins). Le premier vers de la strophe ajoutée rime avec le dernier vers du corps du sonnet, les deux suivants riment entre eux et introduisent une rime nouvelle. On peut enchaîner ainsi plusieurs strophes additionnelles (on obtient des sonnets qui peuvent avoir jusqu’à une centaine de vers (ainsi Marino au dix-septième siècle et le milanais Carlo Porta, au dix-neuvième). La pièce LXXXIX de son livre est aussi un sonnet caudato (avec une seule strophe ajoutée).

Napoléon mourant vit une Tête armée … — 1854 (10)

Gérard de Nerval Les Chimères

La tête armée

Napoléon mourant vit une Tête armée …
Il pensait à son fils déjà faible et souffrant:
La Tête, c’était donc sa France bien-aimée,
Décapitée aux pieds du César expirant.

Dieu, qui jugeait cet homme et cette renommée,
Appela Jésus-Christ; mais l’abyme, s’ouvrant,
Ne rendit qu’un vain souffle, un spectre de fumée:
Le Demi-Dieu vaincu se releva plus grand.

Alors on vit sortir du fond du purgatoire
Un jeune homme inondé des pleurs de la Victoire,
Qui tendit sa main pure au monarque des cieux;

Frappés au flanc tous deux par un double mystère,
L’un répandait son sang pour féconder la Terre,
L’autre versait au Ciel la semence des Dieux!

Q8 – T15

Tu demandes pourquoi j’ai tant de rage au coeur — 1854 (8)

Gérard de Nerval Les Chimères

Antéros

Tu demandes pourquoi j’ai tant de rage au coeur
Et sur un col flexible une tête indomptée;
C’est que je suis issu de la race d’Antée,
Je retourne les dards contre le dieu vainqueur.

Oui, je suis de ceux-là qu’inspire le Vengeur,
Il m’a marqué le front de sa lèvre irritée,
Sous la pâleur d’Abel, hélas! ensanglantée,
J’ai parfois de Caïn l’implacable rougeur!

Jéhovah! le dernier, vaincu par ton génie,
Qui, du fond des enfers, criait: « O tyrannie! »
C’est mon aïeul Bélus ou mon père Dagon …

Ils m’ont plongé trois fois dans les eaux du Cocyte,
Et, protégeant tout seul ma mère Amalécyte,
Je ressème à ses pieds les dents du vieux dragon.

Q15 – T15