Archives de catégorie : formules principales

Tu viens au labyrinthe où les ombres s’égarent — 1944 (14)

Robert DesnosCalixto

Tu viens au labyrinthe où les ombres s’égarent
Graver sur les parois la frise d’un passé
Où la vie et le rêve et l’oubli, espacé
Par les nuits, revivront en symboles bizarres.

Je viens au labyrinthe où, plus gros qu’une amarre,
Se noua le vieux fil avant de se casser.
Ses deux bouts sur le sol roulent sans se lasser
Tout se taît, mais je sens naître au loin la fanfare.

Tu viens au labyrinthe et, d’un pas sans défaut,
Du seuil au seuil tu vas, tu passes sans assaut,
Ton être se dissout dans sa propre légende.

Je viens au labyrinthe oublier mes cinq sens.
J’ai choisi le courant sans en choisir le sens.
La fanfare s’éteint avant que je l’entende.

Q15 – T15

J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour — 1944 (11)

Robert Desnos Contrée

Le paysage

J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour
Ce n’est plus ce bouquet de lilas et de roses
Chargeant de leurs parfums la forêt où repose
Une flamme à l’issue de sentiers sans détours.

J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour
Ce n’est plus cet orage où l’éclair superpose
Ses bûchers aux châteaux, déroute, décompose,
Illumine en fuyant l’adieu du carrefour.

C’est le silex en feu sous mon pas dans la nuit,
Le mot qu’aucun lexique au monde n’a traduit
L’écume dans la mer, dans le ciel ce nuage.

A vieillir tout revient rigide et lumineux,
Des boulevards sans nom et des cordes sans nœuds.
Je me sens me roidir avec le paysage.

Q15 – T15

A quoi, mon cher amour, servirait l’exercice, — 1944 (10)

Robert Mélot du Dy Rimes des rhétoriqueurs

Chaîne d’amour

A quoi, mon cher amour, servirait l’exercice,
Si ce n’est à former de beaux corps amoureux?
Regarde ces danseurs, ivres de leurs délices:
Lis ce sonnet dansant que j’invente pour eux.

Heureux, l’amant bien fait, qu’en secret il jouisse
Ou hisse l’étendard de son cœur valeureux;
Heureux que la beauté deux fois les éblouisse,
Oui! ces corps deux fois beaux sont doublement heureux.

Regarde encor: voici qu’on accouple avec rimes,
Crimes délicieux du langage, les mots,
Modulant la musique amoureuse des mimes:

Imminent, le baiser sur les lèvres éclos
(L’eau m’en vient à la bouche) unira leurs tendresses …
Dresse-toi, mon sonnet, libre de maladresses!

Q8 – T23   s sur s

Exercice de ‘rime annexée’ (ACh): la fin de vers est reprise au début du vers suivant: exercice / Si cepour eux / heureux

Je vis chaste dans le bosquet de mon roman, — 1944 (8)

Henri Thomas Signe de vie

La vie ensemble

Je vis chaste dans le bosquet de mon roman,
la plus grande aventure est de ne pas bouger,
l’hostie de glace sur la langue qui ne ment
fond, vivante fraîcheur, ruisseau de mots légers.

User les jours … mais le massif est transparent!
l’œil immobile voit le domaine étranger,
les gisements d’horreur, le plaisir fulgurant,
les êtres endormis dans l’immense rocher

qui pèse et cependant vole comme un nuage,
muet, mais rayonnant des éclairs du langage,
insensible, et docile aux raisons de la terre,

il tombe feuille morte et renaît feuille verte,
on le blesse, mais c’est le jour qui nous éclaire,
on le tue, et sa joie nous est toujours offerte.

Q8 – T14

Le chat lutte avec une abeille — 1944 (7)

Henri Thomas Signe de vie

Sonnet du chat

Le chat lutte avec une abeille
autour de sa fourrure,
je vois l’azur et ses merveilles,
un arbre, une mâture,

la mer apporte à mon oreille
le bruit des aventures
que nous vivrons si tu t’éveilles,
témérité future.

Je me consacre aux vertes îles,
favorables au sage
qui sait trouver un dieu tranquille

entre palme et rivage.
Le chat s’en va, brillant et beau,
pour guetter les oiseaux.

Q8 – T23 -2m : octo; 6s: v.2, v.4, v.6, v.8, v10, v.12, v.14

Si tu veux, ouvrons la porte — 1943 (5)

Vincent Muselli Plusieurs sonnets

Si tu veux

Si tu veux, ouvrons la porte
Qui mène au jardin secret:
Laisse-toi prendre à ce ret,
O Toi, si frêle et si forte!

Amie, et faisons de sorte,
Par un amoureux apprêt,
Que je tienne, indiscret,
En cet émoi d’être morte

Elyséen, mais si bref!
Ah, n’en demeure grief
En ta chair jeune et fleurie,

Mais qu’un désir ingénu,
Charmante, y persiste et rie
A tel beau dieu reconnu!

Q15  –  T14 – 7s

Je suis comme le riche, à qui sa clef suffit — 1943 (3)

Fernand Baldensperger, trad. Les sonnets de Shakespeare, traduits en vers français ..

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Je suis comme le riche, à qui sa clef suffit
Pour jouir des trésors d’un cher coffre d’avare:
Il ne veut pas les voir à tout coup, jour et nuit,
De peur que ne s’émousse une volupté rare.

Les fêtes sont aussi des raretés qu’on mit
De place en place dans un Almanach bizarre
Comme pierres de choix en montures de prix,
Ou joyaux isolés dont un collier se pare.

Le Temps est le coffret qui vous tient enfermé,
L’armoire où sagement se peut céler la robe,
Pour qu’au moment voulu l’éclat qui se dérobe
Puisse avoir l’imprévu de l’inaccoutumé.

Béni soyez, Valeur qui m’offrez double chance,
Etre vôtre – un triomphe; attendre – l’espérance!

Q8 – T30 – disp: 4+4+4+2 -tr

Blum avait soutenu les rouges de l’Espagne, — 1941 (1)

Emile Bussière A la gloire du Maréchal : les grands noms de l’épopée française. Sonnets sur Roland, Jeanne d’Arc, Napoléon, Pétain

Le maréchal Pétain
L’ambassadeur

Blum avait soutenu les rouges de l’Espagne,
Et livré, conscient d’un criminel effort,
Nos armes, nos canons, pour les œuvres de mort,
D’effroyables bandits relâchés par le bagne.

Dans une foudroyante et savante campagne,
Le général Franco s’affirmant le plus fort,
Réduisit, sans pitié pour leur malheureux sort,
Les assassins traqués jusque dans leurs montagnes.

Depuis, le Maréchal dût, comme ambassadeur,
Pour réparer nos torts, plaider avec ardeur,
D’Irun à Malaga, de l’Ebre jusqu’au Tage

Partout on lui tendit une loyale main,
Mais il ne devait pas achever son voyage,
Car Dieu l’avait marqué pour un plus haut destin.

Q15  T14 – banv

On ne peut plus douter de mon cœur, capitaine — 1940 (2)

Olivier LarrondeL’ivraie en ordre (ed. 2002)


Juvenilia

On ne peut plus douter de mon cœur, capitaine
J’ai des mains plein ma poche et je les distribue.
Ta mèche de fer m’égratigne, j’aurais peine
A rhabiller de soie la mamelle où j’ai bu.

Il faudrait tout vous dire, oublier qui vous mène
Et si des mains coupées vous ont les bras tenus.
Un pirate déguise une peau de panthère
Ce pelage d’infante un autre dissimule.

Tes pieds gelés déforment  mon image, bouge,
Enlève ton sourire: il me coupe la bouche.
La bouteille vidée tend sa lèvre à la mer.

Une étoile vous brûle et vous perdez la tête
L’étoile qui vous brûle est une cigarette
(Vous devez regarder mon sonnet de travers).

Q8 – T15 – disp: 8+3+3