Archives de catégorie : formules principales

Madame, il est donc vrai, vous n’avez pas voulu, — 1830 (11)

Sainte-Beuve Consolations

Madame, il est donc vrai, vous n’avez pas voulu,
Vous n’avez pas voulu comprendre mon doux rêve.
Votre voix m’a glacé d’une parole brève,
Et vos regards distraits dans mes yeux ont mal lu.

Madame, il m’est cruel de vous avoir déplu:
Tout mon espoir s’éteint et mon malheur s’achève;
Mais vous, qu’en votre coeur nul regret ne l’élève,
Ne dites pas:  » Peut-être aurait-il mieux valu … »

Croyez avoir bien fait; et, si pour quelque peine
Vous pleurez, que ce soit pour un peigne d’ébène,
Pour un bouquet perdu, pour un ruban gâté!

Ne connaissez jamais de peine plus amère;
Que votre enfant vermeil joue à votre côté,
Et pleure seulement de voir pleurer sa mère!

Q15 – T14 – banv

Adieu ! je pars, Madame, et pour toujours peut-être ! — 1830 (9)

Antoine Fontaney d’après René Jasinski : Une amitié amoureuse, Marie Nodier et Fontaney (1925)

A madame Marie Manessier

Adieu ! je pars, Madame, et pour toujours peut-être !
Il faut boire à longs traits dans le calice amer ;
Bien que le temps soit gros, il faut tenir la mer ;
L’oiseau doit s’exiler du ciel qui le vit naître.

Où sont les jours plus purs dont je me suis cru maître ?
Ces hautes amitiés dont mon cœur était fier ?
Les consolations dont je rêvais hier ?
Tout s’engloutit et meurt, et n’a fait qu’apparaître.

Insensé qui voulait enchaîner l’avenir !
Je livre à son courant ma vie aventureuse :
Vous aimez, on vous aime, et je vous laisse heureuse.

Ah ! gardez quelque temps un vague souvenir
De celui qui plongeant dans les flots de votre âme
Y vit tant de trésors. – Adieu, je pars, Madame.

Q15  T30

Fontaney n’a pas oublié son Misanthrope et en place un hémistiche au début et à la fin de son sonnet (procédé qu’il emploie dans les autres sonnets de lui ici choisis. Il ne me semble pas qu’il ait eu des imitateurs)

Ami, l’art nous échappe et pour bien des années, — 1830 (8)

Antoine Fontaney in Vincent Laisné, L’Arsenal romantique

A mon ami Charles Nodier

Ami, l’art nous échappe et pour bien des années,
Comme un timide enfant, aux bruits de liberté,
Au fracas du canon il fuit épouvanté,
Sur son aile emportant nos jeunes destinées.

Nos fleurs de poésie au matin sont fanées.
Nos fruits ne viendront pas à leur maturité,
Mais que t’importe, à toi, qui jouis de l’été ?
Tes couronnes, déjà, tu les as moissonnées.

Amarre donc ta nef. Le lac est traversé.
Ton génie a rendu sa muse familière ;
Près du fouer, lutine encor la batelière.

Avec ses blonds cheveux ton laurier est tressé ;
Car à toi la science et les grâces attiques,
A toi les frais parfums dans les vases antiques.

Q15  T30

C’était comme autrefois ; – ainsi qu’un souvenir — 1830 (7)

Antoine Fontaney d’après Vincent Laisné, L’Arsenal romantique (2002)

A Madame Marie Manessier

C’était comme autrefois ; – ainsi qu’un souvenir
Vous nous apparaissiez le soir, vous étiez belle,
Madame, et nous disions encor : mademoiselle,
Des mots, qu’en souriant vous nous laissiez finir.

Et bien qu’à votre époux seul puisse appartenir,
Votre âme dont le feu luit dans vos prunelles,
Bien que l’amour tous deux vous a pris sous son aile,
Ce passé vers son cœur doit aussi revenir.

Car vous aviez encor la simple robe blanche,
Le collier noir qu’au bal vous mettiez le dimanche ;
Le piano réveillé se plaignait à vos doigts.

Vous nous chantiez vos airs dont la vive cadence
Avait fait oublier souvent jusqu’à la danse,
Et nous étions ravis ; – c’était comme autrefois .

Q15  T15

Aux flots de l’océan je viens de me livrer, — 1830 (6)

Auguste Demesney Les solitudes

Sonnet

à M. Charles Nodier

Aux flots de l’océan je viens de me livrer,
Tout craintif à l’aspect des écueils qu’il présente.
Vieux marin, je t’appelle. Ah! que ta main puissante
M’empêche, encore au port, déjà de chavirer.

Par l’appât de la gloire on se laisse égarer ;
Le ciel nous paraît pur et l’onde caressante :
On part … Hélas! Bientôt une voix menaçante
Annonce la tempête … et l’on voudrait rentrer.

Il est trop tard. Sur nous s’en vient fondre l’orage ;
La rame nous échappe, et le cœur sans courage
Prévoit déjà l’abîme où l’on va s’engloutir.

Nodier, toi qui toujours eus pour ta blanche voile,
Dans les jours de bourrasque, au ciel même une étoile,
Sans me tendre la main me verras-tu périr ? …

Q15 – T15

Où vous prosternez-vous, grandeurs qui nous trompiez? — 1830 (5)

A. Fontaney – in Keepsake français

La princesse et les pèlerins

Où vous prosternez-vous, grandeurs qui nous trompiez?
Mettions-nous un faux poids dans la balance humaine?
Le cilice a paru sous la pourpre romaine,
Et le pauvre à son tour monte sur les trépieds.

Que d’orgueils en un jour pour le monde expiés!
Voici le saint jeudi de la sainte semaine,
Pélerins fatigués, venez, qu’on vous amène,
C’est une Doria qui veut laver vos pieds.

Répandant à la fois des parfums et des larmes,
Sous leur double nuage elle voile ses charmes,
Et courbe à vos genoux son front avec ferveur.

Que son humilité cependant en soit fière;
Elle a couvert ses doigts de la même poussière
Que daigna de ses mains essuyer le Sauveur.

Q15 – T15

Keepsake « recueilli par M. J-B-A Soulié, conservateur à la bibliothèque de l’Arsenal « 

Autrefois j’admirais, dans mes veilles, le Dante, — 1830 (4)

André Van Hasselt in Almanach des Muses

Amour & Poésie – sonnet

Autrefois j’admirais, dans mes veilles, le Dante,
Comme Orphée à son luth, enchaînant les enfers.
Shakespeare agrandissant la scène indépendante,
Et Tasse l’immortel qui languit dans les fers.

Schiller que dévora son âme trop ardente,
Homère avec sa tête où se meut l’univers;
Byron livrant sa nef à la vague grondante,
Et Virgile versant l’ambroisie en ses vers.

Et j’appelle aujourd’hui, pour faire mes délices,
Deux grands yeux, fleurs d’azur, qui penchent leurs calices
D’où tombe la rosée en gouttes le matin;

Un sein blanc qui palpite, une bouche mourante
Qui, coupant de baisers quelque phrase expirante,
Brûle mon âme avec ses lèvres de satin.

Q8 – T15

Avec ce siècle infâme il est temps que l’on rompe; — 1830 (3)

Théophile GautierPoésies

Sonnet VII

Avec ce siècle infâme il est temps que l’on rompe;
Car à son front damné le doigt fatal a mis
Comme aux portes d’enfer: Plus d’espérance!  – Amis,
Ennemis, peuples, rois, tout nous joue et nous trompe.

Un budget éléphant boit notre or par sa trompe;
Dans leurs trônes d’hier encor mal affermis,
De leurs aînés déchus ils gardent tout, hormis
La main prompte à s’ouvrir et la royale pompe.

Cependant en juillet, sous le ciel indigo,
Sur les pavés mouvants, ils ont fait des promesses
Autant que Charles X avait ouï de messes!

Seule la poésie incarnée en Hugo
Ne nous a pas déçus, et de palmes divines,
Vers l’avenir tournée, ombrage nos ruines.

Q15 – T30

Théophile Gautier vient aussi au sonnet très tôt, mais après Musset, et se singularise par de la rime: – ompe, qui introduit chez lui le thème de l’éléphant qui se voit aussi, beaucoup plus loin, dans un registre coquin (  ); et – go, ‘indigo’ introduisant Hugo. Il affectionne par la suite les sonnets à couplet final, comme ici.

S’il est pour un cœur d’homme un battement sublime, — 1829 (9)

Etienne Cordellier-Delanoue in La Psychè

Sonnet
A V.H.

S’il est pour un cœur d’homme un battement sublime,
C’est celui que réveille en mon sein frémissant
Du grand poète ému le redoutable accent : –
Il a des yeux ardens dont la flamme m’anime !

Au Sacrificateur je livre sa victime,
Heureux de palpiter sous son genou puissant !
Un feu plus généreux fait bouillonner mon sang ;
Et ma tête, plus vaste, en ses rêves s’abîme.

Car l’Homme de génie a le front large et beau !
Et, magiques reflets d’un céleste flambeau,
Des éclairs caressans passent sur son visage ;

C’est ainsi que ce soir tout mon être a frémi …
Et je me sens bien fier d’avoir, à ton passage,
Ce soir, dans mes deux mains serré ta main d’ami.

Q15  T14 – banv

Quand l’avenir pour moi n’a pas une espérance, — 1829 (6)

Sainte Beuve

Quand l’avenir pour moi n’a pas une espérance,
Quand pour moi le passé n’a pas un souvenir,
Où puisse, dans son vol qu’elle a peine à finir,
Un instant se poser mon Ame en défaillance;

Quand un jour pur jamais n’a lui sur mon enfance,
Et qu’à vingt ans ont fui, pour ne plus revenir,
L’Amour aux ailes d’or, que je croyais tenir,
Et la Gloire emportant les hymnes de la France.

Quand la Pauvreté seule, au sortir du berceau,
M’a pour toujours marqué de son terrible sceau,
Qu’elle a brisé mes voeux, enchaîné ma jeunesse ,

Pourquoi ne pas mourir? de ce monde trompeur
Pourquoi ne pas sortir sans colère et sans peur,
Comme on laisse un ami qui tient mal sa promesse?

Q15 – T15