Archives de catégorie : Formule entière

Quand vous serez bien vieux, avec encor des dents — 1939 (1)

Raoul Ponchon in  Marcel Coulon: toute la poésie de Ponchon

Sonnet à Chevreul

Quand vous serez bien vieux, avec encor des dents
Plein la bouche, et déjà dorloté par l’Histoire,
Direz, si ces vers-ci meublent votre mémoire
Un tel me célébrait lorsque j’avais cent ans.

Lors, vous n’aurez aucun de vos petits-enfants
Qui n’ait soif à ce nom et ne demande à boire,
Répétant à l’envi votre immortelle gloire
Et le nombre fameux de vos jours triomphants.

Pour moi, je serai mort depuis belle lurette
Mais je refleurirai dans quelque pâquerette
Vous, vous aurez toujours la même horreur du vin.

Ah ! si vous m’en croyez, ô vieillard sobre et digne,
Ainsi que tout le monde éteignez-vous demain
Mais cueillez aujourd’hui les roses de la Vigne.

(1886)

Q15 – T14 – banv

J’évoquais Théocrite, un jour, et son poème — 1938 (8)

Emile d’Erlanger trad Sonnets from the Portuguese (Elizabeth Barrett Browning)

I

J’évoquais Théocrite, un jour, et son poème
Des années désirées, des chères et des douces,
Semblent, l’une après l’autre, en leurs doigts gracieux,
Porter un don pour les mortels, jeunes ou vieux,

Et je le murmurais, dans son antique langue,
Quand, sur mes pleurs, monta la lente vision,
Des ans, tristes et doux, des ans mélancoliques
Qui formèrent ma propre vie et dont chacun

Mit une ombre sur elle … Aussitôt, je sentis
Qu’une forme mystique était derrière moi,
Qui m’entraînait par ma chevelure, vers elle.

Je résistais. Sa voix de maître interrogea :
« Devine qui te tient maintenant ? » – C’est la Mort ? »
« Non » tinta la réponse argentine : l’Amour !

bl  tr

L’assesseur ne doit pas rédiger son courrier, — 1938 (7)

Pierre Malicet Les sonnets du juge

L’assesseur

L’assesseur ne doit pas rédiger son courrier,
Faire le manucure au cours de l’audience,
Ni bavarder trop fort, mais sauver l’apparence,
Et d’un sommeil bruyant n’être pas coutumier.

Cet auditeur passif n’est qu’un pur chancelier
Disent les ignorants avec quelque impudence.
Ils ne veulent pas voir que la jurisprudence
Est l’oeuvre de ces gens au bon vouloir entier

Qui subissent sans fin, pénitence invisible,
Les assauts des bavards dont ils forment la cible,
Et sans pouvoir bouger de leur vaste fauteuil,

Supportent un bon vieux qui préside à sa mode,
Trop lentement parfois, c’est là le grand écueil,
Alors qu’ils ont, eux seuls, la meilleure méthode.

Q15  T14 – banv

J’ai rêvé posséder les oeuvres de Malherbe. — 1938 (6)

Raoul Ponchon La muse au cabaret

L’exemplaire du Roy

J’ai rêvé posséder les oeuvres de Malherbe.
Un exemplaire unique, admirable, un trésor!
Tout habillé de pourpre, et les fleurs de lys d’or
En étoilant les plats, nombreuses comme l’herbe.

Le vélin en est pur, l’impression superbe,
Messieurs les éditeurs, à cette époque encor,
Se montraient soucieux de soigner le décor
Qui faisait ressortir et resplendir le verbe.

Mais ce rare bouquin ne serait rien ma foi,
S’il n’était pas le propre exemplaire du Roy.
Il l’est. Et dans un coin de marge, on y remarque,

Alors que le poète arrive au baragouin
De l’éloge, ces mots, de la main du monarque:
 » Mon vieux Malherbe, ici, tu vas un peu trop loin! »

Q15 – T14 – banv

Un nasillement doux. C’est elle et c’est assez. — 1938 (4)

Francis Jammes – Poèmes inédits et isolés in Oeuvres

Les quatre demoiselles Ducos

Un nasillement doux. C’est elle et c’est assez.
Ni poitrine, ni bras, ni jambes, ni cervelle.
Dieu bon mit un corset à son corps de javelle
Et pour la douce enfant créa les cétacés.

La seconde a des yeux de chinoise sensés.
Et ces yeux-là feraient au Japon des fidèles
Car ils ont la couleur des soupes d’hirondelle.
On dit que c’est très bon, ma cousine. Excusez.

La troisième des soeurs ressemble aux Philis douces
Qui, près des vieux châteaux, s’étendant sur les mousses
Semblaient être les fleurs vivantes du gazon;

Et la petite Ady que tout le monde vante
A l’air, lorsque son corps s’ajoute à sa raison,
D’un petit papillon plus gros qu’une éléphante.

1891?

Q15 – T14 – banv

Il rêvait tout enfant d’une boite de fil — 1938 (3)

Francis Jammes – Poèmes inédits et isolés in Oeuvres

Dandysme

Il rêvait tout enfant d’une boite de fil
Qu’il avait entrevue un jour chez la comtesse:
Un indien avec un soleil sur la fesse
Gauche et que regardait un serpent de profil.

Superbement campé, un tout nu sans coutil,
Ce sauvage tirait de l’arc avec adresse
Si bien qu’il envoyait – tout juste à son adresse –
La flèche dans l’œil droit du grand python subtil.

Et cet enfant rêveur qui se curait les ongles,
Dandy futur, était scandalisé de voir
L’anthropophage nu montrant son cul aux jungles:

Mon père, pensait-il, se mêt en habit noir.
Quand il fut plus âgé, ce Dandy sur l’échine
De cet indien mit un peu d’encre de Chine.

1891?

Q15 – T23

Ouvrier précieux qui polis et qui rodes — 1938 (2)

Francis Jammes – Poèmes inédits et isolés in Oeuvres

Ouvrier précieux

Ouvrier précieux qui polis et qui rodes
Le cristal fin des vers aux doux résonnements,
Plus inquiet que toi des clairs raisonnements,
Je ne gemmerai point mes pages d’émeraudes.

Quand tu rimes ainsi, grand artiste, tu fraudes
Et facette du strass pour de durs diamants,
Orfèvre d’Hiéron dont les faux parements
Sont faits de cuivre vil avec lequel tu brodes.

Je forge ce sonnet pur impeccablement,
Impassible, et cachant mon noir accablement,
Pour te montrer qu’aussi je dompte et je terrasse

Les rhythmes solennés en mon œuvre bannis,
Faisant voir que mon livre est de ma seule race
Et que c’est bien exprès que mes mots sont ternis.
1888

Q15 – T14 – banv

Ose entrer après moi dans ces portes claquantes — 1937 (1)

Pierre Jean JouveMatière céleste


La putain de Barcelone

Ose entrer après moi dans ces portes claquantes
Où suffit la cheville ardente d’un regard
La grotte brune avec le parfum du volcan
T’attend parmi mes jambes

Je suis la communiante des poils noirs
Le regard inhumain les soleils hébétés
J’ai traversé vingt fois sous un homme la mer
Le sol gras de la mer et le bleu et les moires

Ton membre de lumière mes globes de malheur
Et l’œil couché sous une bouche décorée
Ce sont là mes plaisirs, mes vents mon désespoir

Une ombre te retient l’univers te soutient
Client! Nous deux épouvantés en un
Paraissons une fois sur l’éternité noire.

bl  – Premier exemple des pseudo- ou quasi- ou presque sonnets de Pierre Jean Jouve.

O vous qui percevez, sous la rime qui sonne, — 1936 (4)

Jacques Langlois Les sonnets amoureux de Pétrarque

1

O vous qui percevez, sous la rime qui sonne,
L’écho de ces soupirs dont j’ai nourri mon cœur
Au temps de ma première et juvénile erreur,
Lorsque j’étais alors tout une autre personne,

Sous le style divers où sanglote et raisonne
Ma bien vaine espérance et ma vaine douleur,
Que votre expérience, en lisant mon ardeur,
M’accorde une pitié qui comprenne et pardonne.

Mais, je vois aujourd’hui combien longtemps je fus
La fable de la foule; et j’en suis tout confus
Vis-À-Vis de moi-même et rempli de vergogne.

Honte est fruit de folie; et j’apprends clairement,
Par repentir tardif de si folle besogne,
Qu’ici-bas ce qui plaît est songe d’un moment.

Q15 – T14 -banv –  tr (rvf 1)