Archives de catégorie : Formule entière

Pour le mal qu’il me fait — 1931 (1)

Robert Desnos Les nuits blanches

Lou la Rouquine, II

Pour le mal qu’il me fait
Ton amour m’est fétiche
Laisse rassir la miche
Dans le fond du buffet

Dans la nuit du café
La nébuleuse biche
Fuit dans le ciel en friche
Aux lueurs d’autodafé

Quand tu viens nuitamment
Rôder tel un dément
Près de Lou la coquine

Si tu lis l’avenir
Dis-moi quand va mourir
L’amour plus hérissé qu’un buisson d’églantines

Q15 – T15 – 2m : 6s; v.14: alexandrin

Violante m’ordonne de faire un sonnet, — 1930 (4)

Lope de Vega  (trad. G.Boussagol)

Violante m’ordonne de faire un sonnet,
De ma vie je ne me suis vu en un tel embarras ;
On dit que quatorze vers c’est un sonnet ;
Tout en plaisantant, en voilà trois ci-dessus

Je pensais que je ne trouverais pas de rime,
Et je suis à la moitié de l’autre quatrain :
Mais si j’arrive au premier tercet,
Il n’y a rien dans les quatrains qui m’épouvante.

Je suis en train d’entrer dans le premier tercet,
Et il semble même que j’y entre d’un bon pied,
Puisqu’avec ce vers j’y mets fin.

Déjà je suis dans le second, et je soupçonne même
Que je suis en train d’achever treize vers ;
Comptez s’ils sont quatorze, et le voilà fait.

r.exc. –   m.irr- tr –  s sur s « Un soneto me manda hazer Violante »

Pour mourir sans regret il faut être si lasse — 1930 (3)

Robert DesnosYouki 1930 poésie

Mourir

Pour mourir sans regret il faut être si lasse
Pour mourir sans regrets des désirs oubliés
Pour mourir sans chagrin pour mourir sans pitié
Faut-il détruire aussi les mains les yeux les faces

Celles-là qui sont nées choisies parmi les races
avec un cœur violent par nul amour plié
avec des membres durs que rien ne peut lier
Savent chercher la mort parmi les ombres basses

Mais celles qui aimaient celles qui dans leurs bras
surent garder parfois dans la froideur des draps
L’amant ou le mari jusqu’à défier les ombres

Fermeront leurs deux yeux par une nuit sans feux
Et jetant leur amour comme un dernier enjeu
Connaîtront le repos creux comme les décombres.

Q15 – T15

Toi qui fends d’une habile rame — 1930 (2)

Vincent MuselliLes sonnets à Philis

L’épigramme

Toi qui fends d’une habile rame
Des flots de miel et de venin ,
Es-tu virile ou féminin,
Charmante ou charmant Epigramme?

De l’orgueil la plus forte trame,
Tu déchires d’un ongle nain,
Et tiens dans un rire bénin
Tous les poignards du mélodrame.

Tout est chez toi doute et conflit:
Si parfois ton ardeur faiblit,
C’est ta chute qui te relève:

L’on voit dans ton étroit discours
Le maître enseigné par l’élève,
La trahison portant secours.

Q15 – T14 – banv –  octo

Ce siècle est sans foi et je ne crois guère — 1930 (1)

Léon VeraneLe livre des passe-temps

Aveu

Ce siècle est sans foi et je ne crois guère
Au banquet promis prendre un jour ma part
Levant, à la fois, la lyre et le verre,
Parmi les élus auprès de Ronsard.

Errant de demain comme de naguère,
C’est assez, pour moi que le boulevard
Mène entre les haies de ses réverbères
Vers un tabouret au comptoir d’un bar.

Je n’appelle pas le Règne et le Trône,
Et tout couvre-chef m’est une couronne,
Satisfait d’avoir au fil des mes jours,

Bu d’un même cœur le vin et l’absinthe,
Et d’avoir conçu d’obscures amours,
Au long des trottoirs pour des filles peintes.

Q8 – T14 – tara

Si le parfait apprêt où mouvoir notre amour — 1929 (4)

Pierre FrayssinetPoésies (ed. 1931)

Si le parfait apprêt où mouvoir notre amour
N’est plus que le réel où s’est mué l’ombrage
Pour rire je bâtis aventureuse cage
L’ordinaire connu que précise le jour.

La ligne qui s’essaie à tenir le contour
De toute chose vue qui fait mon entourage
Exagère parmi l’intérieur paysage
Une chaise posée sur un espace court.

Si je m’y tiens voilà que le silence lie
Tout rêvé mouvement de mon corps qui s’oublie
A ne paraître rien dans le vide alentour

Et telle alors sera qu’une ivresse donnée
Dans l’engourdissement de ce prestige court
Le nu de ta langueur créole imaginée !

Q15  T14 – banv – y=x :d=a

Si le souci d’aimer me poise — 1929 (3)

Roger AllardPoésies légères

Coquelicot

Si le souci d’aimer me poise
Aux orges du prochain été
J’irai vers les bosquets hantés
Du lieu-dit « Au Goujon de l’Oise ».

L’Île de France aux yeux d’ardoise
En souriant voudra tenter
De ravir à vos cruautés
Le cœur à qui vous cherchez noise.

Mais en vain parmi les crins blonds
De cette reine des moissons
Rougira le pavot sauvage,

Pourrai-je désormais le voir
Refleurir à son avantage
Ailleurs que dans vos cheveux noirs?

Q15 – T14 – banv –  octo

O Sonnet, tes quatorze rimes, — 1929 (1)

Henri de RégnierVestigia Flammae

Frontispice

O Sonnet, tes quatorze rimes,
En leur ordre bien mesuré,
Ont je ne sais quoi de sacré
Pareil aux dépouilles opimes!

Pur joyau, honneur de nos rimes,
Ton or, avec art ajouté,
Enchâsse le reflet nacré
Des mots qu’avec soin nous polîmes.

Comme les conques de la mer
Que travaille le flot amer
Au gouffre bleu que nul ne sonde,

Tu conserves tous les échos,
O Sonnet à la vie profonde,
En tes méandres musicaux!

Q15 – T14 – banv – octo  – s sur s

Mieux que l’arc triomphal et l’image d’airain, — 1928 (9)

Henri de RégnierFlamma Tenax

Heredia
« Un vil lierre a suffi à disjoindre un trophée’

Mieux que l’arc triomphal et l’image d’airain,
Par quoi le conquérant survit à sa conquête,
Vaut, pour éterniser la gloire du poète,
Le livre humble à la vue et léger à la main;

Ouvre-le. Relié de cuir ou de vélin
Il t’offre sa beauté éloquente et secrète
Et sa mystérieuse voix est toujours prête
A te dire le vers mémorable et divin.

Heredia! Ton œuvre immortellement neuve,
Déjà d’un quart de siècle a surmonté l’épreuve;
Chaque jour le laurier croît sur elle plus beau;

Et, haussant son nœud vil vers ta gloire étouffée,
Je n’ai pas vu ramper à son socle trop haut
Ce lierre qui suffit à disjoindre un trophée.

Q15 – T14 banv