Archives de catégorie : Formule entière

Dans la barque, au ras des eaux, qui s’assoupit, — 1913 (1)

Edouard DujardinPoésies

Hommage à Mallarmé (Souvenir du voilier de Valvins)

Dans la barque, au ras des eaux, qui s’assoupit,
La voile large tendue parmi l’espace et blanche,
Tandis que le jour décroît, que le soir penche,
Le bon nocher vogue sur le fleuve indéfini.

A pleine voile, aussi, le soir, l’idée luit,
Au-dessus de la vie et du tourbillon et de l’avalanche,
Blanche en un encadrement de sombres branches,
Là-bas à l’horizon vague de l’esprit.

Maître,
Sur la rive d’où je vois votre voile apparaître,
Et dans mon âme que réconforte la clarté,

Je regarde et j’adore
Le rayonnement argenté
Qui dans le crépuscule semble une aurore.
1897

Q15 – T14 -banv –  m.irr

Le miracle apparaît, et le hideux litige — 1912 (14)

Albert Saint-Paul

Hommage à Mallarmé

Le miracle apparaît, et le hideux litige
Apaise son blasphème aux portes du jubé.
La foule, dont le front reste à jamais courbé,
A sur elle senti respendir le prodige.

Qui ne frémit, tel qu’une sibylle, au prestige
Du Verbe où la rumeur banale a succombé,
Ne ceindra pas le diadème dérobé
A quelque océanique et sonore vertige.

Héroïque destin d’une âme si le sort
Doit ne la proclamer qu’aux fastes de la mort
Devant la multitude à la vie interdite !

Le Poète renferme en un cloître d’orgueil,
Solitude, dédain, exil de qui médite,
Le songe somptueux dont luira son cercueil.

Q15 – T14 – banv

Vos seins, morbleu ! Madame, à les voir insoumis, — 1912 (11)

Charles Perrès in Les Soirées de Paris

En relisant Montaigne

Vos seins, morbleu ! Madame, à les voir insoumis,
Fiers, arrogants, nerveux, rieurs sous la dentelle,
J’évoquais leur printemps hors de la citadelle,
Et rêvais que mes doigts s’en feraient deux amis !

Hélas ! on ne tient pas quand on a trop promis :
Au revoir … Puisse un jour mon âme plus fidèle,
Madame, retrouver par les champs d’asphodèle,
Ses désirs, votre ardeur … et le reste affermis !

Des pleurs ! …Non … comprenez ! mettez-vous à ma place :
Dieu, plus que nous, pensant au destin de la race,
Il faut bien l’un de l’autre en Amour s’approcher.

Point ne veux qu’alors seul mon regard se délecte :
Point ne souffre – aimez-vus les plaisirs du toucher ?
Un trop mol oreiller pour ma teste bien faicte.

Q15  T14 – banv

Petit nid sous un petit toit, — 1912 (9)

Fernand Fleuret Le Carquois du Sieur Louvigné du Dezert

Sonnet pour un petit connin

Petit nid sous un petit toit,
D’une oiselle fine industrie,
Nid qui n’a rien d’un nid de pie,
Mais où la pie hier estoit;

Petit annelet trop estroit
Dont je tente l’escroquerie;
Chef-d’oeuvre de serrurerie
Qu’un vit en crochet n’ouvriroit;

Fissure où vrille une lambrusque,
Bosquet où le Plaisir s’embusque:
Tel est le connin d’Alison,

Luy qui régale ma braguette
Du sphincter d’un jeune garçon
Sous la motte d’une fillette.

Q15 – T14 – 8- 9 qui pourrait croire un instant qu’il s’agit de textes du 16ème siècle? occasion sans doute, de cultiver l’éros-bonbon’

Il neige dans mon cœur …. et le printemps éclate — 1912 (2)

– Docteur Paul PersyLes sonnets de l’or (1903-1912) –

Triomphe

Il neige dans mon cœur …. et le printemps éclate
En fleurs
De vives et fastueuses couleurs
Partout le blanc, le bleu, le roi et l’écarlate.

La brise chaude – comme on flatte
Un visage d’enfant en pleurs –
Caresse ces blancheurs, ces roses enjôleurs,
Ces bourgeons incarnats que le soleil dilate.

Or, pendant que la vie infatigable sort
Des tiges qu’elle brise et qu’un souffle plus fort
Chasse en un vol d’or les corolles libres,

Les flocons froids tombent plus pressés dans mon cœur,
Glaçant, tordant, broyant ses fibres;
Et c’est la mort et son ricanement vainqueur.

Q15 –  T14 – banv – m.irr

Dans les rameaux des ifs et des cèdres en cône, — 1911 (10)

Léon Vérane Terre de songe

Dans les rameaux des ifs et des cèdres en cône,
Les perroquets rouges et verts se sont juchés
Et troublent d’un frôlis d’ailes le soir d’automne
Au long des boulingrins de corolles jonchés.

Et le nain, sous son chaperon de velours jaune
Où comme un bleu panache un iris est fiché,
Jongle avec des citrons, des cédrats et des pommes
Aux cris rauques des grands oiseaux effarouchés.

Mais la lune surgie au ciel de lazulite,
Ecorne sa rondeur aux ifs pointus du bois,
Et le nain qui jonglait, soudain devenu triste,

Songe qu’il a manqué pour la première fois
Un citron, un cédrat ou une pomme blanche,
Puisqu’un fruit est resté dans la fourche des branches

Q8  T23  quelques assonances

Saper les fondements de la propriété, — 1911 (7)

Jules Durand Poésies

Le renversement

Saper les fondements de la propriété,
Epouvanter le monde avec plaisir de fauve,
Tuer, blesser, détruire en lâches qui se sauve,
Sans crier ‘gare à vous’ c’est crime en vérité.

Ils fabriquent l’enfin de leur atrocité,
Hantés de visions au fond de leur alcôve,
Car voir l’habit cousu, la robe azur et mauve,
Ronge leur cœur jaloux qu’aigrit l’adversité.

Au chemin criminel, quand l’âme est déjà morte,
Ne s’arrête qui veut, parfois le mal l’emporte.
Ah ! maudit soit l’auteur d’un tel égarement.

Si la matière est tout, l’homme à l’homme s’oppose
Et lui lance sa bombe à vrai renversement :
La loi divine donc à tout vivant s’impose.

Q15  T14 – banv –  acrostiche palindromique

Ainsi qu’un coeur brisé, ton cul saigne, mignonne — 1911 (6)

J.K. Huysmans

Sonnet saignant

Ainsi qu’un coeur brisé, ton cul saigne, mignonne
Les règles à grands flots coulent, et, affamé
D’amour et de mucus, faune enthousiasmé,
Je bois ton vin sanglant et je me badigeonne

Les lèvres d’un carmin vaseux qui me goudronne
Et moustache et langue. Ah! dans ton poil, gommé
Par les caillots fondus, j’ai maintes fois humé
Une odeur de marine, et, pourtant, ça t’étonne,

Que je puisse avaler ton gluten sans dégoût,
Mais c’est le vrai moment, pour un homme de goût,
De barbouiller sa bouche au suc rouge des règles,

Alors que les Anglais ont débarqué, joyeux!
Pour activer ce flux, vite l’ergot de seigle;
Car si baiser est bien, gabahoter* est mieux.

Q15  T14 gabahoter* : gamahucher

Au-delà de l’Araxe où bourdonne le gromphe, — 1911 (3)

Philippe Berthelot in Philippe Martinon Dictionnaire méthodique et pratique des rimes françaises

« … triomphe, l’exemple ordinaire des mots sans rimes, n’aura pas de rime ici, puisqu’il n’en pas dans l’usage. *
* Nous citerons pourtant, à titre de curiosité, le sonnet suivant, de M. Philippe Berthelot

Alexandre à Persépolis 330 av J.C.

Au-delà de l’Araxe où bourdonne le gromphe,
Il regardait, sans voir, l’orgueilleux Basileus,
Près du rose grandit que poudroyait le leuss,
La blanche floraison des étoiles du romphe .

Accoudé sur l’Homère au coffret chrysogromphe,
Revois-tu ta patrie, ô jeune fils de Zeus,
La plaine ensoleillée où roule l’Aenipeus,
Et le marbre doré des murailles de Gomphe?

Non! le roi qu’a troublé l’ivresse de l’arack,
Sur la terrasse où croît un grêle azédarac,
Vers le ciel, ébloui du vol vibrant du gomphe

Levant ses yeux rougis par l’ivresse et le vin,
Sentait monter en lui comme un amer levain
L’invincible dégoût de l’éternel triomphe.

Q15 – T15 –  y=x ( d=a ) – – Cet exemple nous a été signalé par mr J.Cl. Milner.(JR)

Prends cet Alde. Il est souple et poli sous ta main. — 1911 (2)

Henri de RégnierLe miroir des heures

Sur un exemplaire des Dialogues d’amour de Léon l’Hébreu

Prends cet Alde. Il est souple et poli sous ta main.
Le papier est de choix, et la lettre est accorte,
Et la première page, au bas du titre, porte
La haute ancre marine où s’enroule un dauphin.

Pour le couvrir, on n’a voulu ni parchemin
Trop orné, ni velours trop éclatant, de sorte
Que son double plat noir, pour tout lustre, comporte
A chacun de ses coins, un seul fleuron d’or fin.

En sa parure sobre et sombre autant que belle,
Il évoque un décor de gondole, comme elle,
Or sur noir, à la fois galant et ténébreux,

Car c’est ainsi jadis qu’un seigneur de Venise
Fit relier pour lui, sans chiffre ni devise
Ce livre qui plaisait à son cœur amoureux.

Q15 – T15