Archives de catégorie : Formule entière

Ta voix a la langueur des lyres lesbiennes, — 1910 (2)

Renée VivienPoèmes – ed. 1923 –

Sonnet féminin

Ta voix a la langueur des lyres lesbiennes,
L’anxiété des chants et des odes saphiques,
Et tu sais le secret d’accablantes musiques
Où pleure le soupir d’unions anciennes.

Les Aèdes fervents et les Musiciennes
T’enseignèrent l’ampleur des strophes érotiques
Et la gravité des lapidaires distiques.
Jadis tu contemplas les nudités païennes.

Tu sembles écouter l’écho des harmonies
Mortes; bleu de ce bleu des clartés infinies,
Tes yeux ont le reflet du Ciel de Mytilène.

Les fleurs ont parfumé tes étranges mains creuses;
De ton corps monte, ainsi qu’une légère haleine,
La blanche volupté des vierges amoureuses.

Q15 – T14 – banv – Rimes féminines

Humaniste, gourmet, déiste et régicide, — 1910 (1)

Emile BergeratBallades et sonnets

La guillotine de poche . 1792.

Humaniste, gourmet, déiste et régicide,
Le sans-culottiseur de l’Isère et du Doubs
Porte dans un étui dont le cuir est très doux
Une guillotinette en verre translucide.

Quand la petite hache amusante s’oxyde
De rouille ci-devante, il la passe au saindoux
D’un pot enjolivé de rubans dits: padous
Qu’ornent des vers latins à la masse d’Alcide.

Elle lui sert à maints usages, notamment
A trancher sur le plat d’un Nouveau testament
Les têtes des canards, des lapins & des oies;

Car il n’aime que ceux dont il fut le Samson
Lui-même, et telles sont les innocentes joies
Du proconsul François Lejeune à Besançon.

Q15 – T14 – banv –   padou (TLF) Ruban moitié fil, moitié soie

C’est un garçon très doux, très chaste et très discret. — 1909 (7)

Georges-Hector Mai in Les poètes sociaux

L’ouvrier-aux-livres
(Vitrail)

C’est un garçon très doux, très chaste et très discret.
Des livres ont toujours bossué sa vareuse ;
Et, sous un front griffé de rides fiévreuses,
Il a des yeux d’enfant, bleus, au reflet doré.

C’est un bon ouvrier, sobre, actif, toujours prêt.
Mais il semble haïr l’usine monstrueuse …
Et son âme cachée est sans doute amoureuse
D’un rêve merveilleux qu’il caresse en secret.

Il lit … Et quand le soir azure sa mansarde,
Seul, sans femme, sans rien que son rêve, il hasarde
Avec simplicité des essais effrayants ;

Et, dans son grand amour pour la douleur du monde,
Parfois, avec des doigts méticuleux et lents,
Sans haine et sans remords, il fabrique des bombes.

Q15  T14 – banv

Nul bruit, nul cri, nul choc dans les grands prés de soie — 1909 (6)

Jules de Marthold in  (Bertrand Millanvoye) Anthologie des poètes de Montmartre

Nuit d’or

Nul bruit, nul cri, nul choc dans les grands prés de soie
Où tout rit et sent bon sous le ciel bleu du soir,
Où, sauf le ver qui luit, on ne peut plus rien voir,
Où le chat-linx des bois va, court et suit sa proie;

La voix des nids en chœur dit son pur chant de joie;
Un cerf boit à sa soif, au guet, l’eau du lac noir,
Au pan creux d’un vieux mur dort en paix un vieux loir,
Et sous les feux de juin tout vit, tout croît, tout ploie,

Un vent chaud des blés mûrs fait un flot de la mer
Et sur les monts des pins ont cent longs bras de fer,
Sur un roc nu la tour plus que le roc est nue.

Doux et fort, œil mi-clos, roi du sol, un bœuf paît.
Il pleut sans fin, croit-on, des clous d’or en la nue.
Le temps court, le temps fuit, la nuit meurt, le jour naît.

Q15 – T14 – banv – sonnet de monosyllabes

X x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x — 1909 (3)

Georges Fourest La négresse blonde

Pseudo-sonnet que les amateurs de plaisanterie facile proclameront le plus beau du recueil
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Nemo (Nihil, cap 00)

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* Si j’ose m’exprimer ainsi (Note de l’auteur)

aaaa aaaa aaa aaa

Dès l’enfance, cherchant, sous l’obscur palimpseste, — 1908 (12)

Robert de Montesquiou Les paons

LACUNE

Dès l’enfance, cherchant, sous l’obscur palimpseste,
Du Monde, le secret des avenirs humains,
Il avait oublié l’attitude et le geste
Des hommes, et la loi fatale des hymens.

Loin des jeux de l’arène et des luttes du ceste,
Il avait enserré son crâne dans ses mains,
Demandant sans relâche à l’étude indigeste
Une sécurité pour les noirs lendemains.

Mais, sous l’hiéroglyphe énigmatique et traître
De la feuille et du flot, s’obstine à disparaître
Le texte primitif raturé pour jamais.

Nul mot n’est plus écrit aux feuilles de Dodone.
Et le penseur au rêve inutile s’adonne…
Puis se prend à sourire… et songe : « Si j’aimais ! »

Q8  T15

Vous qui, dans votre Phare aux murs trapus et clos — 1908 (11)

Robert de Montesquiou Les paons

BELLE-ISLE-EN-ART

Vous qui, dans votre Phare aux murs trapus et clos
Que l’ouragan ébranle ainsi qu’une guérite,
Aimez parfois jouer un rôle d’Amphitrite
Drapé, par l’Océan, d’azur et de sanglots ;

Vous regardez, le soir, s’allumer les falots
Dont la barque, au lointain, contre la Mort s’abrite ;
Une réplique d’ombre, et par Dieu même écrite,
S’élève alors vers vous, de la plainte des flots.

Je devine, Sarah, votre amour pour la houle
Qui vous ramène, en eux, l’applaudissante foule,
Dont tant de fois votre art triomphant fut vainqueur.

Vous goûtez les rappels de la Mer qui s’effare,
Vous que le Monde voit briller dans votre Phare
Qu’illumine un génie où l’on sent battre un coeur!

Q15  T15 à Sarah Bernhardt

Tu montais radieux dans la grande lumière, — 1908 (10)

Albert Lozeau Ame solitaire

A Emile Nelligan

Tu montais radieux dans la grande lumière,
Enivré d’idéal, éperdu de beauté,
D’un merveilleux essor de force et de fierté,
Fuyant avec dédain la route coutumière.

Tu montais emporté par ton ardeur première,
Battant d’un vol géant la haute immensité,
Et là, tout près d’atteindre à ton éternité,
Tu planais, triste et beau, dans la clarté plénière.

Mesurant du regard le vaste espace bleu,
Tu sentis la fatigue envahir peu à peu
La précoce vigueur de tes ailes sublimes.

Alors, fermant ton vol largement déployé,
Ô destin ! tu tombas d’abîmes en abîmes,
Comme un aigle royal en plein ciel foudroyé !

Q15  T14 – banv

De la tour de Justice à la tour du Trésaut, — 1908 (9)

Pierre Fons La divinité quotidienne

Devant la Cité de Carcassonne

De la tour de Justice à la tour du Trésaut,
Le soir apaise enfin l’horizon solitaire ;
D’implacables destins ont désolé ces terres,
Mais leur sombre splendeur garde encor des vassaux.

Seul, le soleil tentant quelque suprême assaut
Ensanglante à présent la Lice & Saint Nazaire :
Où les cerviers du Nord tous en vain s’écrasèrent,
Les femmes lentement rêvent près des berceaux.

Fière monte une nuit, orientalement chaude ….
Montfort, ton oeuvre est morte et sa cendre est à l’Aude,
Les Midis à leur tour ont chassé les effrois ;

Et, la lune courbée en profil de tartane,
Tout le ciel étoilé tend un blason d’orfrois,
Qui figure l’orgueil de la terre occitane.

Q15  T14 -banv –

Sur un lit onduleux d’algues aux lents rameaux, — 1908 (7)

Paul Reboux & Charles Müller A la manière de

Le câble

Sur un lit onduleux d’algues aux lents rameaux,
Dans un vallon marin de la verte Atlantide,
Le câble monstrueux qu’éclaire un jour livide
Se déroule, tordant deux longs muscles jumeaux.

À son derme rugueux s’incrustent les émaux
Des conques où la mer dort d’un sommeil limpide;
Et dans ce fil de chanvre et de laiton, rapide,
Frissonne en sourds éclairs le passage des Mots !

Les grands requins béants et les horribles scombres
Des gouffres bleus d’en haut plongent aux gouffres sombres
En frôlant les fucus de leur ventre poli.

Et, parmi les coraux où s’enfouit le câble,
Ils s’étonnent, roulant leurs gros yeux pleins d’oubli,
De cet inerte et long serpent inexplicable !

(José-Maria de Heredia)

Q15 – T14 – banv