Archives de catégorie : Formule entière

Dès longtemps, sur le luth, j’exerce — 1908 (6)

Emmanuel Signoret Poésies complètes


Invocation

Dès longtemps, sur le luth, j’exerce
Mes doigts, sur tous, les mieux instruits:
Qu’une nouvelle mer me berce
Sur des vaisseaux par moi construits.

Ma hache brillante renverse
Un pin couronné de ses fruits,
Qui coupe le ciel et qui verse
Des torrents d’ombres et de bruits.

Qu’en ses flancs je taille ma barque!
Après Ronsard, après Pétrarque,
Légers sonnets, emportez-moi!

Jusqu’à ce qu’en l’or des trompettes,
Faisant trembler les cieux d’effroi,
Ma bouche souffle des tempêtes!

Q8  T14  octo  s sur s

Sous le Notos hurleur et sous l’Euros paterne, — 1908 (5)

Robert de MontesquiouLe parcours du rêve au souvenir

Sous le Notos hurleur et sous l’Euros paterne,
Flots, berceaux des soleils, et vagues, leurs tombeaux:
O mer, versicolore azur, redite terne,
Ou luisante, des faits et gestes de Phoibos;

Peut-être, déplorant ton rôle subalterne,
Corail épanoui sous ses levers dispos,
Sanglant rubis, sous ses couchers, d’une citerne
Aux paisibles reflets, crois-tu les sorts plus beaux?

O tain inconscient, impersonnel mirage
Qui répètes la paix, qui rabâche la rage
Du ciel capricieux, du ciel supérieur;

Ton flux et ton reflux vocifèrent des lieues
De paradoxes forts, que le remous crieur
Construit de saphirs verts et d’émeraudes bleues.

Q8 – T14

Lorsque je serai mort depuis plusieurs années, — 1908 (4)

Valéry LarbaudLes poésies de A.O. Barnabooth

Vœux du poète

Lorsque je serai mort depuis plusieurs années,
Et que dans le brouillard les cabs se heurteront,
Comme aujourd’hui (les choses n’étant pas changées)
Puissè-je être une main fraîche sur quelque front!
Sur le front de quelqu’un qui chantonne en voiture
Au long de Brompton Road, Marylebone ou Holborn,
Et regarde en songeant à la littérature
Les hauts monuments noirs dans l’air épais et jaune.
Oui, puissè-je être la pensée obscure et douce
Qu’on porte avec secret dans le bruit des cités,
Le repos d’un instant dans le vent qui nous pousse,
Enfants perdus parmi la foire aux vanités;
Et qu’on mette à mes débuts dans l’éternité,

L’ornement simple, à la Toussaint, d’un peu de mousse.
ababcdcdefeffe – sns  – disposition d’un seul bloc, ‘à l’anglaise’.

Tant d’esprits doux parmi la lassitude nés — 1908 (3)

André Fontainas Le jardin des îles claires – La nef désemparée

La Paresse

Pour une eau-forte en couleur de H. Detouche

Tant d’esprits doux parmi la lassitude nés
Pour des yeux demi-clos s’écoulent comme un fleuve;
L’immobile et la multiple volupté neuve
Se disperse en miroitements inopinés.

Accorde à du songe ton beau front pur. Eprise
De mieux qu’elle, que veut la Vie et tout son bruit
Ravir à ton extase sereine où ne luit
Qu’un clair soleil jailli du regard qu’il irise?

Si la spirale couve un sommeil morne et lent,
Ta pensée a tissé, comme un fil l’araignée,
Le manteau d’oubli lourd dont tu sais, résignée,
Tristement dorloter l’effroi d’un hiver blanc

Jusqu’au printemps nouveau dont la verdeur redresse
Même la tige de tes rêves, ô Paresse!

Q63  T30 disp du précédent shmall*

En l’église, où ne s’allume — 1908 (2)

André Fontainas Le jardin des îles claires – La nef désemparée

Pour Stéphane Mallarmé

HOMMAGE

En l’église, où ne s’allume
Qu’une étoile taciturne,
Le myrrhe fade de l’urne
Et, sous l’angoissante brume,

Surgit du sol qu’elle évite:
Tel, secret et pur, s’élève
Vers le Ciel perdu le rêve
D’un sacrilège lévite.

Joie et désir de mon songe
Epris d’air lointain et d’astres
Mon orgueil fuit maints désastres
Pour des nuits où se prolonge

Le rayon d’extase vers
Le bel azur de vos vers!

Q63  T30 – 7s – disp du précédent : shmall*

De toi seul fils et l’aïeul — 1908 (1)

André Fontainas Le jardin des îles claires – La nef désemparée

A O.G.D.

De toi seul fils et l’aïeul
Naît aux portiques du rêve
Le guerrier de qui le glaive
Soit le simple et clair glaïeul.

En ses doigts tige qu’isole
D’un geste las son dédain
Il t’a prise à quel jardin
De Spolète ou de Fiesole,

Pour, ce héros puéril
Surgi d’un lointain de l’âme,
Abdiquer la fleur de flamme
Aux futurs pourpris d’avril

Où des roses seront fières
D’être des roses-trémières.

Q63  T30 – 7s – shmall* : Disposition semblable à celle de Mallarmé (‘schmall’), mais en quatrains à rimes embrassées

Tous les matins j’allais la voir à sa chaumière — 1907 (6)

Charles Guérin Premiers et derniers vers

Annaik

Tous les matins j’allais la voir à sa chaumière
Et dans l’enivrement calme des prés fleuris,
Chauds de soleils, pleins de grillons jetant leurs cris,
Nous causions sur un banc de l’étreinte première.

Revenez, revenez, souriait la fermière;
Et je suis revenu souvent, le coeur épris,
Et dans la chambre basse, au crépuscule gris,
Devant l’âtre défait nous rêvions de lumière.

Or un soir qu’elle était assise à son rouet
Elle me dit: « je veux exhaucer ton souhait. »
Et ses yeux bruns ardents étincelaient dans l’ombre.

Après avoir jeté sa Croix – je me souviens –
Elle étendit la main vers l’énorme lit sombre
Et, brusque, m’entraînant par le bras: « Allons, viens! ».

Q15 – T14 – banv

« Ce n’est pas bien malin d’accoucher d’un sonnet » — 1907 (1)

Joseph CorrardCent sonnets

Au critique

« Ce n’est pas bien malin d’accoucher d’un sonnet »
Disait un freluquet; « quatorze lignes … qu’est-ce?
Tout poète en trouve un, le soir, sous son bonnet:
Pas besoin, pour ça, de battre la grosse caisse! »

– Ami, prends ton absinthe ou bien ton Dubonnet.
Lis les journaux du soir, les nouvelles, mais laisse,
Loin de ta tabagie, errer seul ce benêt,
Ce rimailleur, ce fou … qui tient la lune en laisse!

– C’est bien simple, disait un coq, de pondre un œuf;
J’en vois tous les jours pondre avec neuf poules …. neuf!
Au fond d’un poulailler, blottie et plume en boule,

On s’accoufle, on s’installe en le meilleur confort
Et l’on attend … Après un tout petit effort
L’œuf arrive – Oui, cria quelqu’un …., quand on est poule.

Q8 – T15 – s sur s