Archives de catégorie : Formule entière

Le sonnet, Poésie, est ton char radieux — 1887 (5)

Antoine de Bengy-PuyvalléeLes Gerfauts

Le char du sonnet

Le sonnet, Poésie, est ton char radieux
Par quatorze coursiers entraîné dans la nue,
Dans leur vol écrasant la topaze inconnue
Dont la poudre en nuée enveloppe les cieux.

Sur les chevaux de feu, les rimes dans les cieux
Se renvoient les échos de leur hymne ingénue;
La colombe d’amour à ces chants est venue
Se griser de rayons, de parfums précieux.

Lorsque la Nuit étoile au ciel sa robe noire,
En marche de triomphe, il glisse sur la moire
Que le coeur sait broder dans un rêve à vingt ans.

Sous la roue irrisée éclosent les fleurettes,
Chaque pétale ailé, vers l’éternel printemps
S’envole et va fleurir les âmes de poëtes.

Q15 – T14 – banv – s sur s

Un coquin de parfum gagne de proche en proche, — 1887 (4)

Raoul Ponchon La muse vagabonde

Sonnet du gigot

Un coquin de parfum gagne de proche en proche,
Un parfum à la fois subtil et nourrissant
Et tel que si j’en crois mon odorat puissant,
C’est un gigot à l’ail qui ronronne à la broche.

Comme il est cuit à point, vite qu’on le décroche;
Je n’ai jamais rien vu de plus attendrissant;
Pour ne pas être ému devant ses pleurs de sang
Il faudrait, sur mon âme, avoir un coeur de roche.

Dites-donc à du veau qu’il vous en pleure autant,
Madame, tra la la! Mais sans perdre un instant
Si nous en effeuillions quelques légers pétales;

Car ta chair n’est que rose et que coquelicots,
O suave bouquet de viande qui t’étales
Sur ton lit préféré d’onctueux haricots!

Q15 – T14 – banv

O bien-aimé mollusque vert! — 1887 (3)

Tancrède MartelLes poèmes à tous crins

Le sonnet de l’huître

O bien-aimé mollusque vert!
Sais-tu bien que notre existence,
Sans toi, perdrait en importance?
Quel Lucullus t’a découvert!

Toi seul eusses charmé Javert,
Ce modèle de tempérance;
Chrémès, qui posa pour Térence,
Te chérissait, dit-on, l’hiver.

Phoebus s’intéresse à ta race
Depuis que le compère Horace
A fait le tour du lac Lucrin;

Et ta chair est si délectable,
Que ton écaille est un écrin,
O perle fine de la table!

Q15 – T14 – banv – octo

Du ciel tendre où court la nue indécise, — 1886 (26)

Albert Pinard Sonnets, ghazels, …

Louise

Du ciel tendre où court la nue indécise,
Des bois assoupis dans leur profondeur,
De l’eau murmurante et du sein des fleurs,
Nous voulons tirer, quintessence exquise,

Harmonie auguste, une voix qui dise :
« Fleurs qui frémissez aux vents maraudeurs,
Rayons, ruisseaux, charme épars des odeurs,
Formez un concert pour fêter Louise.

Composez sa vie uniment d’étés,
Versez vos fraîcheurs & vos puretés,
Etendez sur elle une ombre propice . »

Mystère des nuits, vérité du jour,
Nous vous invoquons, sûrs de votre hospice :
La nature entend les cœurs sans détour.

Q15  T14  – banv – tara  bi

Crapuloz, mon ami d’enfance, — 1886 (24)

Sylvain Dorabel Equevilles

Crapuloz

Crapuloz, mon ami d’enfance,
Avec plaisir, je te fumais,
Quand ma lèvre sentait le rance
Cher Crapuloz, que je t’aimais !

Avec toi, bien souvent je flâne !
Quel bonheur quand je te fumais,
En vaguant par là, comme un âne,
Cher Crapuloz, que je t’aimais !

Et maintenant, pas de centimes !
Le vieux tabatier, sur mes rimes,
Crache un dédain que je connais.

Je n’ai pas le sou, pas de graisse,
Je passe comme un chien en laisse,
Cher Crapuloz, que je t’aimais !

Q38  T15  octo  refrain : v 4-8-14 Le crapulos est un cigare très bon marché, d’après le TLF

Absinthe, je t’adore, certes ! 1886 (21)

Raoul Ponchon in Le courrier français

L’absinthe

Absinthe, je t’adore, certes !
Il me semble, quand je te bois,
Humer l’âme des jeunes bois,
Pendant la belles saison verte !

Ton frais parfum me déconcerte,
Et dans ton opale je vois
Des cieux habités autrefois,
Comme par une porte ouverte.

Qu’importe, ô recours des maudits !
Que tu sois un vain paradis,
Si tu contentes mon envie ;

Et si, devant que j’entre au port,
Tu me fais supporter la vie,
En m’habituant à la mort.

Q15  T14  – banv – octo

On peut interroger l’histoire, — 1886 (20)

Evariste Carrance in  Littérature Contemporaine, 36

Le siècle de Victor Hugo
Proclamons-le hautement, proclamons dans la chute et dans la défaite, ce siècle est le plus grand des siècles – V.H.

On peut interroger l’histoire,
Aucun siècle n’a projeté
Plus de grandeur et plus de gloire,
Plus de justice et de clarté!

Il grave au temple de mémoire
La sainte et pure égalité;
Il commence dans la victoire,
Et finit dans la liberté!

Ce siècle à la marque profonde
Inscrit sur la carte du monde
Ses merveilles et ses grandeurs;

A travers ses rudes tempêtes
Il a fait jaillir des poètes,
Comme de nouveaux rédempteurs!

Q8 – T15 – octo

Mais leurs ventres éclats de la nuit des Tonnerres! — 1886 (17)

Le Scapin

René Ghil

Sonnet

Mais leurs ventres éclats de la nuit des Tonnerres!
Désuétude d’un grand heurt de primes cieux
Une aurore perdant le sens des chants hymnaires
Attire en souriant la vanité des Yeux.

Ah! l’éparre profond d’ors extraordinaires
S’est apaisé léger en ondoiements soyeux
Et ton vain charme humain dit que tu dégénères!
Antiquité du sein où s’épure le mieux.

Et par le Voile aux plis trop onduleux ces Femmes
Amoureuses du seul semblant d’épithalames
Vont irradier loin d’un soleil tentateur:

Pour n’avoir pas songé vers de hauts soirs de glaives
Que de leur flanc pouvait naître le Rédempteur
Qui doit sortir des Temps inconnus de nos Rêves.

Q8 – T14

« Décadence – dit-on – mensonge et fiction ». — 1886 (13)

Miguel Fernandez in Le Décadent

Dégénérescence

« Décadence – dit-on – mensonge et fiction ».
Erreur! Oui! tout décade et l’igneur prolifique
S’éteint dans l’énerveur d’un corps épileptique,
Comme un fruit arescent qui n’a plus d’embryon.

Contemnable dégoût de la parturition.
Boréales frigueurs d’un amour antarctique.
Bâtardes siccités d’un flanc anhélélique
Où périt le fœtus en germination.

Les modernes Phrynés ont des cœurs de banquise,
Un regard terne et froid comme un pavé d’église
Qui glace et réfrigère en sa blémeur de mort.

Les hommes allouvis d’une crainte érophobe
Semblent s’être entendus pour dépeupler le globe
Et le faire occomber au Néant dont il sort.

Q15 – T15