Archives de catégorie : Formule entière

Est-il donc vrai, Boileau, que ce petit poème, — 1883 (27)

E. Chalamel in le Feu Follet

Sonnet
contre le sonnet

Est-il donc vrai, Boileau, que ce petit poème,
Aux rimes se croisant dans ses quatorze vers,
Soit, lorsqu’il est parfait, de l’art la fin extrême ?
Un chef-d’oeuvre que doit admirer l’univers ? …

Cela doit l’être, car tu nous l’as dit toi-même,
D’ailleurs ceux que tu fis, n’ont jamais eu de pairs,
Comment pus-tu résoudre un semblable problème ? …
Moi j’y brûle mon sang, j’en blémis, je m’y perds ! …

Qu’il en est cependant qui de la renommée
Boivent le doux nectar, trônent dans l’empyrée,
Et, veux-tu des sonnets ? … En voilà des empans ! …

Cela sort de partout ; cela vole par troupes :
Ainsi les charlatans avalent des étoupes
Et jettent aux badauds des années de rubans.

Q8  T15  s sur s

Comme deux oiseaux nous nichons — 1883 (25)

Ernest d’Orlanges Poésies naturalistes

Hélène, IX

Comme deux oiseaux nous nichons
Dans un lit d’éclatante hermine
Et lorsque l’été se termine
A tous les yeux nous nous cachons.

Nous sommes les petits nichons,
Tant convoités de la gamine
Et que le garçon examine
Avec des regards folichons.

Lorsqu’avec notre tétin rose
Un homme, ivre de plaisir, cause
Nous nous cabrons comme un coursier,

Nous sommes plus blancs que l’ivoire,
Et presque aussi durs que l’acier
Voilà ce qui fait notre gloire.

Q15  T14 – banv – octo

Cette balle, comme elle est ronde — 1883 (24)

Ernest d’Orlanges Poésies naturalistes

Le poème d’un suicidé

Cette balle, comme elle est ronde
Comme elle entre bien dans le trou
De ce revolver … J’en suis fou !
J’ai pour elle une amour profonde.

Non jamais brune, jamais blonde
Avec leurs robes à froufrou
N’allumèrent pareil grisou
Dans ma cervelle vagabonde.

Quand elle entrera dans ma peau
Je tomberai comme un moineau
Me pâmant sous sa douce étreinte.

Chère balle, je t’aimerai
Lorsque ma vie étant éteinte
Je dormirai dans le tombeau.

Q15  T14  – banv – octo

Il siège au coin du feu, les paupières mi-closes, — 1883 (19)

Hippolyte Taine Douze sonnets sur les chats

A 3 chats, Puss, Ebène et Mitonne, … ces douze sonnets sont dédiés par leur ami, maître, et serviteur

IV
Les souvenirs

Il siège au coin du feu, les paupières mi-closes,
Aspirant la chaleur du brasier qui s’éteint;
La bouilloire bouillonne avec des bruits d’étain.
Le bois flambe, noircit, s’effile en charbons roses.

Le royal exilé prend de sublimes poses;
Il allonge son nez sur ses pieds de satin;—
Il s’endort, il échappe au stupide destin,
A l’irrémédiable écroulement des choses.

Les siècles en son coeur ont épaissi leur nuit,
Mais au fond de son coeur, inextinguible, luit
Comme un flambeau sacré, son rêve héréditaire:

Un soir d’or, le déclic empourpré du soleil,
Des fûts noirs de palmiers sur l’horizon vermeil,
Un grand fleuve qui roule entre deux murs de terre

Q15 – T15

Là-bas, dans la tiédeur et la lumière brune — 1883 (17)

Edmond Haraucourt La légende des sexes

L’homme d’Etat

Là-bas, dans la tiédeur et la lumière brune
De l’alcove où l’air âcre aigrit les odorats,
Un cul parlementaire enfle l’ampleur des draps,
Et large s’arrondit comme une pleine lune.

Dans les fesses qu’il fit, Rubens n’en fit aucune
De majesté plus noble et de contours plus gras;
Obéron ne saurait le tenir dans ses bras,
Et Vénus Callipyge en garderait rancune.

Si vertueux qu’on soit et malgré la pudeur,
Rien qu’à voir cette ferme et virile rondeur,
On sent lever en soi des désirs monastiques.

On contemple: on voudrait; et le rêve mutin
Flotte alentour, avec des langueurs extatiques;
Cependant que le cul chante un hymne au matin.

Q15 – T14 – banv

Madame, vous avez une tête de mort. — 1883 (16)

Edmond Haraucourt La légende des sexes

Madrigal
Sonnet.

Madame, vous avez une tête de mort.
Votre front vaste et jaune et votre face glabre
Vos pommettes que l’âge ossifie et délabre
Vont me hanter la nuit, comme hante un remords.

Quand votre bouche rit, soupire chante ou mord,
Le triangle effrayé de votre nez se cabre,
Et le reflet vitreux d’une danse macabre
Tremble en vos yeux falots où sommeille la Mort.

Sur un ventre fumeux que ravinent les rides,
Vos seins pendants et longs comme deux gourdes vides
Balottent flasquement au moindre de vos pas;

Et Satan aurait peur de s’écorcher la langue
Si Vénus lui prêtait, pour y planter son cas
Le sourire tanné de votre vulve exsangue.

Q15 – T14 – banv

Non, non! l’accouplement que je voudrais connaître, — 1883 (15)

Edmond Haraucourt La légende des sexes

Voeu

Non, non! l’accouplement que je voudrais connaître,
Ce n’est point aujourd’hui le coït impuissant
Qui fouille un peu de chair et verse un peu de sang
Au bord d’une blessure où sa langueur pénètre.

Je veux, ô femme entrer tout entier dans ton être:
Il hurlera d’amour, ton ventre bondissant,
Comme hurle, trop pleine, une mère qui sent
L’effort intérieur d’un géant qui va naître.

C’est mon rêve: Je veux dans ton torse en débris,
Sentir mes os broyés et mes muscles meurtris
Sous les spasmes vengeurs de ta chair envahie.

Et dans le rut suprême et ses derniers élans,
Je veux pour féconder ta vie avec ma vie,
T’éjaculer mon âme et mourir dans tes flancs!

Q15 – T14 – banv

Source vénérienne ou vont boire les mâles! — 1883 (14)

Edmond Haraucourt La légende des sexes

La Source

Source vénérienne ou vont boire les mâles!
Fissure de porphyre où frise un brun gazon,
Qui, fin comme un duvet, chaud comme une toison,
Moutonne dans un bain de senteurs animales.

Quand un homme a trempé dans tes eaux baptismales,
Le désir turgescent qui troublait sa raison
Il en garde à jamais la soif du cher poison
Dont s’imprègne sa peau dans ses lèvres thermales.

O Jouvence des coeurs! Fontaine des plaisirs!
Abreuvoir ou descend le troupeau des désirs
Pour s’y gorger d’amour, de parfums & d’extase.

Il coule de tes flancs, le nectar enchanté.
Elixir de langueur, crême de volupté …
Et pour le recueillir, nos baisers sont des vases!

Q15 – T15

Reviens sur moi! Je sens ton amour qui se dresse; — 1883 (13)

Edmond Haraucourt La légende des sexes

Sonnet pointu

Reviens sur moi! Je sens ton amour qui se dresse;
Viens. J’ouvre mon désir au tien, mon jeune amant.
Là …. Tiens …. Doucement   va plus doucement …
Je sens tout au fond ta chair qui me presse.

Rythme   ton   ardente    caresse
Au gré de mon balancement.
O mon âme … Lentement
Prolongeons l’instant d’ivresse

Là … Vite! Plus longtemps!
Je fonds! Attends
Oui … Je t’adore

Va! Va! Va!
Encore!
Ha!

Q15 – T14 – banv –  bdn 12+12+10+10  +8+8+7+7  + 6+4+4  + 3+2+1 – Suivant la terminologie oulipienne, on dira qu’on a affaire à une boule de neige métrique fondante.

Oui, ce monde est bien plat, quant à l’autre, sornettes. — 1883 (12)

Jules LaforgueLe sanglot de la terre

La cigarette

Oui, ce monde est bien plat, quant à l’autre, sornettes.
Moi, je vais résigné, sans espoir, à mon sort,
Et pour tuer le temps, en attendant la mort,
Je fume au nez des dieux de fines cigarettes.

Allez, vivants, luttez, pauvres futurs squelettes.
Moi, le méandre bleu qui vers le ciel se tord,
Me plonge en une extase infinie et m’endort
Comme aux parfums mourants de mille cassolettes.

Et j’entre au paradis, fleuri de rêves clairs
Où l’on voit se mêler en valses fantastiques
Des éléphants en rut à des choeurs de moustiques.

Et puis, quand je m’éveille en songeant à mes vers,
Je contemple, le coeur plein d’une douce joie,
Mon cher pouce rôti comme une cuisse d’oie.

Q15 – T30