Archives de catégorie : 11s

hendécasyllabe

Ce soir je m’étais penché sur ton sommeil. — 1884 (12)

Paul VerlaineJadis et Naguère

Vers pour être calomnié
A Charles Vignier

Ce soir je m’étais penché sur ton sommeil.
Tout ton corps dormait chaste sur l’humble lit,
Et j’ai vu, comme un qui s’applique et qui lit,
Ah! j’ai vu que tout est vain sous le soleil!

Qu’on vive, ô quelle délicate merveille,
Tant notre appareil est une fleur qui plie!
O pensée aboutissant à la folie!
Va, pauvre, dors, moi, l’effroi pour toi m’éveille.

Ah! misère de t’aimer, mon frêle amour
Qui va respirant comme on respire un jour!
O regard fermé que la mort fera tel!

O bouche qui ris en songe sur la bouche,
En attendant l’autre rire plus farouche!
Vite, éveille-toi! Dis, l’âme est immortelle?

abba a*b*b*a* ccd c*c*d*– 11s – Comme en 1881, 7, Verlaine rime une finale masculine avec une féminine.

Chose italienne où Shakespeare a passé — 1884 (9)

Paul VerlaineJadis et Naguère

A la louange de Laure et de Pétrarque

Chose italienne où Shakespeare a passé
Mais que Ronsard fit superbement française,
Fine basilique au large diocèse,
Saint-Pierre-des-Vers, immense et condensé,

Elle, ta marraine, et Lui qui t’a pensé,
Dogme entier toujours debout sous l’exégèse
Même edmondshéresque ou francisquesarceyse,
Sonnet, force aquise et trésor amassé,

Ceux-là sont très bons et toujours vénérables,
Ayant procuré leur luxe aux misérables
Et l’or fou qui sied aux pauvres glorieux,

Aux poètes fiers comme les gueux d’Espagne,
Aux vierges qu’exalte un rythme exact, aux yeux
Epris d’ordre, aux coeurs qu’un voeu chaste accompagne.

Q15 – T14 – banv –  – 11s – s sur s

La tristesse, la langueur du corps humain — 1881 (6)

Paul VerlaineSagesse

La tristesse, la langueur du corps humain
M’attendrissent, me fléchissent, m’apitoient,
Ah! surtout quand des sommeils noirs le foudroient,
Quand des draps zèbrent la peau, foulent la main!

Et que mièvre dans la fièvre du demain,
Tiède encor du bain de sueur qui décroît,
Comme un oiseau que grelotte sur un toit!
Et les pieds, toujours douloureux du chemin,

Et le sein, marqué d’un double coup de poing,
Et la bouche, une blessure rouge encor,
Et la chair frémissante, frêle décor,

Et les yeux, les pauvres yeux si beaux où point
La douleur de voir encore du fini!
Triste corps! combien faible et combien puni!

Q15 – T30 – 11s – Rimes masculines sur mètre rare

Du Don au Volga, fleuve à l’eau généreuse, — 1880 (10)

Narzale Jobert Klimax.

XI bis
Césure après la cinquième syllabe
Les Kalmouks

Du Don au Volga, fleuve à l’eau généreuse,
Les Kalmouks, ces fils du noir « Fléau de Dieu! »
Par les steppes vont, toujours changeant de lieu,
Sur leurs courts chevaux à croupe vigoureuse.

Ce qui leur plait, c’est la course aventureuse,
C’est la liberté, l’air et l’horizon bleu,
Pour leur vie active et contente de peu
Ils ont le kouniss – la liqueur savoureuse –

Et la pêche au bord des lacs et de la mer,
Le lait des juments et leur sanglante chair
Fait veule sous la selle de leurs montures.

Qu’ils errent, ou bien qu’ils reposent au khan,
Constamment ils ont le poignard aux ceintures …
Ils passent pareils au néfaste ouragan.

Q15 – T14 – banv –  11s (5+6)

L’élégante à la mode a mis de côté — 1866 (11)

Eugène de Lonlay (sans titre)

La Vénus moderne – Sonnet de onze pieds

L’élégante à la mode a mis de côté
La pudeur d’autrefois qui faisait son charme,
Elle porte culotte et son pied botté
Imite à s’y tromper le pan d’un gendarme.

Le cigare à sa lèvre et l’oeil effronté
Sont même pour les fous un sujet d’alarme ;
La femme perd ses droits à la royauté
Quand elle ne sait plus répandre une larme.

Le chapeau de travers et le ton mutin
Vont à ravir sans doute à toute lorette
Mais de l’hymen jamais ne font la conquête:

A la fille qui prend un air masculin
L’homme le plus épris hésite à se rendre
Il craint de n’épouser qu’un amas de cendre

Q8 – T30 – 11s             Monsieur de Lonlay signale fièrement son emploi de l’hendécasyllabe, bien négligé jusque là dans le siècle