Archives de catégorie : 9s

Vers de 9 syllabes

Sa douceur qui n’est pas excessive, — 1889 (21)

Verlaine Dédicaces

à J-K. Huysmans

Sa douceur qui n’est pas excessive,
Elle existe mais il faut la voir,
Et c’est une laveuse au lavoir
Tapant ferme et dru sur la lessive.

Il la veut blanche et qui sente bon
Et je crois qu’à force il l’aura telle.
Mais point ne s’agit de bagatelle
Et la tâche n’est pas d’un capon.

Et combien méritoire son cas
De soigner ton linge et sa détresse,
Humanité, crasses et cacas.

Sans jamais d’insolite paresse,
O douceur du plus fort des J.-K.,
Tape ferme et dru, bonne bougresse !

Q63  T20  9s

Les choses qui chantent dans la tête — 1884 (13)

Paul VerlaineJadis et Naguère

Vendanges
A Georges Rall

Les choses qui chantent dans la tête
Alors que la mémoire est absente,
Ecoutez! c’est notre sang qui chante…
O musique lointaine et discrète!

Ecoutez! c’est notre sang qui pleure
Alors que notre âme s’est enfuie
D’une voix jusqu’alors inouïe
Et qui va se taire tout à l’heure.

Frère du sang de la vigne rose,
Frère du vin de la veine noire,
O vin, ô sang, c’est l’apothéose!

Chantez, pleurez! Chassez la mémoire
Et chassez l’âme, et jusqu’aux ténèbres
Magnétisez nos pauvres vertèbres.

Q63 – T23 – 9s – Rimes toutes féminines

Il s’en va, le matin, sac au dos. — 1880 (8)

Narzale Jobert Klimax.

IX quater
Deux césures: troisième et sixième syllabes
Le facteur rural

Il s’en va, le matin, sac au dos.
Guêtre en main, sac au pied; la casquette
En cuir lisse étincelle à sa tête
Comme un heaulme argenté de héros.

Constamment son jarret est dispos,
Soit qu’il sente arriver la tempête,
Soit qu’au ciel le soleil tout en fête
Lance en plein ses rayons les plus chauds.

Il gravit les monts, court les bruyères,
Il franchit les torrents, les rivières,
Et traverse, en chantant, les grands bois …

A l’heure où le pédon doit paraître,
Le coeur bat. A sa suite on voit naître
Les espoirs, les soucis, les émois.

Q15 – T15 – 9s (3+3+3) – pédon est inconnu du TLF. Héloïse Neefs le recense dans ses Disparus du Littré : «  Courrier à pied dans certains pays du Midi (la forme française est piéton, nom qu’on donne dans le Nord au facteur rural)

Partez, jeunes amis des conquêtes; — 1880 (7)

Narzale Jobert Klimax.

IX
césure après la 2ème syllabe
A nos soldats

Partez, jeunes amis des conquêtes;
Vos coeurs, des grandes gloires épris
Sauront, un jour, mériter le prix
Que Mars réserve aux vaillantes têtes.

Sachez, nobles enfants, que vous êtes
L’espoir de vos ancêtres choisis;
Pour l’heure ils sont dans les noirs abris;
Jadis, ils firent face aux tempêtes.

Debout à tout signal du danger,
Toujours, ils châtiaient l’étranger.
C’étaient les neveux de Mérovée.

Leurs sang, qu’il palpite dans vos bras!
Voyez, la patrie est abreuvée
D’affronts. Dites-lui: Tu renaîtras …

Q15 – T14 – 9s

Sarrazin, Benserade et Voiture, — 1845 (7)

Hip. Floran Les amours

A trois poètes

Sarrazin, Benserade et Voiture,
Tous les trois prenez place au sonnet
Qu’à défaut de landau, de voiture,
J’ai pour vous sans façon mis au net.

En sentant dans mon cœur l’ouverture
D’un accès de gaité qui renait,
J’ai voulu suivre à pied l’aventure
Qui vers vous follement m’entrainait.

Vous avez tant d’esprit, tant de grâce,
Et parfois votre muse est si grasse
Que quiconque en serait amoureux ;

Pour ma part, aussi chaud qu’une braise,
J’aime à voir ses appas amoureux,
Et partout comme un Dieu je la baise *

Q8  T14 – 9s « ceci est une manière de dire à des poètes qu’on leur baise la main – et nous avons peut-être bien fait de nous mettre à pied dans cette circonstance, car il est à craindre que le vieux Pégase n’eût pas voulu marcher avec des vers de neuf pieds, coupés par des hémistiches de trois, ce qui, selon nous pourtant, est un rythme plein de grâce et d’entrain ».