Archives de catégorie : déca

décasyllabe

sur les deux roues de son vélocipède — 1963 (3)

Jean QuevalLieux-dits

Sur un film de Harry Langdon

sur les deux roues de son vélocipède
un garnement comme un cheval de cirque
regarde cette fille il est timide
il tourne et n’ose pas prendre de risque

c’est un gars muet qui joue du lasso
la fille est changée en momie vivante
avecque ses yeux ses tours de vélo
il vise le cœur de l’étoile absente

c’est le temps des cops et des fiançailles
baraques de bois blancheur des images
magie galopante à la corde raide

il meurt et reste à la périphérie
à l’enseigne des années de la vie
sur les deux roues de son vélocipède

Q59 – T15 – déca

A chacune âme éprise et gentil cœur — 1962 (3)

Pierre-Jean JouveGénie

(Rêve de la Vita nova)

A chacune âme éprise et gentil cœur
En qui viendra la parole présente
Pour que me renvoie la sienne pensante
Salut en son seigneur qui est Amour

Déjà c’était presque la troisième heure
Du temps qui fait tous les astres brillants
Quand m’apparut Amour subitement
Essence qui fait peur à la mémoire

Joyeux me semblait l’Amour il tenait
Mon cœur en main, et dans ses bras avait
Ma dame en un drap voilée endormie

Puis il la réveillait, et de ce cœur brûlant
Il la paissait humblement attendrie:
Mais à la fin je le voyais partir pleurant

Q63 – T14 – 10s – tr

Au sein du sang quel déchiré drapeau — 1959 (2)

Olivier LarrondeRien voilà l’ordre

A ma bête noire
(tracé au fouet)

Au sein du sang quel déchiré drapeau
Intérieur (comme un poison dans l’air)
Se mord la queue si je claque ta peau
Comme un sourd de soif – Moïse ô désert.

Les purs profils dont les cuirs m’auréolent
Maîtrisent seuls – oui  c’est ta proie que moi;
Eux forcent moins, en musicaux émois,
Ton noir que l’air, timidement créole.

De destinée l’innocent contrepoint
Se zébra-t-il d’humaines discordances
Gestes, gifles dédoublées aux doigts joints

Ma solitude inséparable danse
Dompté défroissons dompteur ce grimoire Cinglé:
la dentelle étreint ses loups noirs.

Q60 – T23 – 10s – disp: 4+4+4+2

Un torse plat tout plat comme un pilastre — 1954 (7)

Pierre Albert-Birot Tout finit par un sonnet (Poésie 1952-66)

Sonnet récapitulatif

Un torse plat tout plat comme un pilastre
Un masque rond avec un œil de fer
Un paysage en forme de désastre
C’est à tout prendre et tout foutre à la mer

Et s’en aller sur n’importe quel astre
Chercher un beau grand dieu qui vous soit cher
Plus que Bouddha Jésus ou Zoroastre
Qui vous reçoive juste entre âme et chair

Mais par fenêtre entre de l’amical
C’est grand c’est chaud c’est fort c’est musical
Je reste ici ce que j’ai je le garde

Et quand viendra l’hiver le temps des maux
Pour me chauffer je cuirai des émaux
Quant à la mort je sais ça me regarde

Q8 – T15 – déca

C’est un sonnet. Pensant à vous, très belle, — 1949 (1)

Tristan Klingsor Cinquante sonnets du dormeur éveillé

Le sonnet

C’est un sonnet. Pensant à vous, très belle,
A cet iris bordé de cils de nuit
Où la moquerie fait luire une perle,
Je le compose pour tromper l’ennui

Sorcier des mots, hélas! ce soir ne suis;
En habits d’or la syllabe rebelle
Paraît, danse, tournique et puis s’enfuit
Dès que ce niais de Sologne l’appelle

Et si l’amour recommençait sa fête,
Si la folle du logis revenait,
Ah! seriez-vous à cette heure où vous êtes?

Tant pis, je veux en avoir le cœur net;
Encore un vers, voici la chose faite:
N’en doutez pas, belle, c’est un sonnet.

Q11 – T20 – déca (peu réguliers) – s sur s

Ce qui sera bientôt ne sera plus ; — 1945 (10)

Paul Valéry Corona & Coronilla (Ed. De Fallois, 2008)
Derniers vers

Il disperato

Ce qui sera bientôt ne sera plus ;
Demain se meurt au cœur de ce jour même :
Derrière moi, qui perdrai ce que j’aime,
Du temps futur s’enfuit vraiment le flux.

Jours qui viendrez, vous êtes révolus,
Gens qui naîtrez, enfants que l’amour sème
Dans l’avenir aux couleurs de poème,
Vous êtes morts qui vivrez superflus.

La vie est riche en fausse pierrerie ;
S’il t’arrivait que l’heure te sourie
Tiens l’espérance une vieille catin :

Vois sous son fard l’éternelle grimace,
Garde ta bouche, ou crains demain matin
Qu’elle ait baisé quelque immonde limace.

Q15  T14  déca

Les nus bien joints, leurs sources mieux que jointes, — 1945 (9)

Paul Valéry Corona & Coronilla (Ed. De Fallois, 2008)
Sonnets à Jean Voilier

« En acte »

Les nus bien joints, leurs sources mieux que jointes,
L’amour en force, à huit membres ramant,
Presse les corps vers l’éblouissement
Du haut sommet aux deux divines pointes.

Aux flancs, aux reins, aux seins, les mains empreintes
L’être avec l’être ajustant fortement
Pour l’œuvre intense et l’âpre emportement
Des heurts dansés par leurs fureurs étreintes.

L’âme commune,, à chaque tendre choc,
Sent le délice exhausser roc sur roc
Les vifs degrés qui visent à la cime :

Sa hâte ébranle une vie aux abois
Et la chair verse une plainte unanime
Qui plane et meurt sur la suprême fois …

Q15  T14 – banv –  déca

Suprême Rose, orgueil de mon hiver, — 1945 (8)

Paul Valéry   Corona & Coronilla

Sonnet à Jean Voillier

A la Pétrarque

Suprême Rose, orgueil de mon hiver,
O le plus beau malheur de mon histoire,
Tu fais, ô fleur, qu’au dedans de ma gloire,
L’amour me ronge, et je vis de ce ver.

Douce à baiser, délicieuse à boire,
Ta bouche vaut les plus doux de mes vers
Et les regards de tes beaux yeux divers
M’en disent plus que toute ma mémoire.

Tu me fais mal de toutes tes beautés
Et de ton corps les tendres cruautés
Qaund je suis seul venant vives se peindre

Et dans la nuit me torturer dormant
C’est te chérir sans cesser de me plaindre,
Suave toi, LAURE de mon tourment.

Q36  T14  déca

Vous qui surprenez dans mes vers le bruit — 1945 (1)

Aragon V sonnets de Pétrarque

1

Vous qui surprenez dans mes vers le bruit
De ces soupirs dont j’ai nourri mon cœur
Dans ma première et juvénile erreur
Quand j’étais homme autre que je ne suis

Aux tons divers dont je plains mes ennuis
Suivant l’espoir vain la vaine douleur
Si l’un comprend l’amour par son malheur
J’attends pitié non point pardon de lui.

Mais je vois bien comme je fus la fable
Du peuple entier longtemps et le tourment
Au fond de moi de la honte m’en ronge

Jours égarés j’en garde seuls durables
Ce repentir et clair entendement
Tout ce qui plaît au monde n’est qu’un songe

Q15 – T36 – déca – tr

Il n’y avait que des troncs déchirés, — 1944 (2)

Jean Cassou (Jean Noir) – 33 sonnets composés au secret

VIII

Il n’y avait que des troncs déchirés,
que couronnaient des vols de corbeaux ivres,
et le château était couleur de givre,
ce soir de fer où je m’y présentai.

Je n’avais plus avec moi ni mes livres,
ni ma compagne, l’âme, et ses péchés,
ni cette enfant qui tant rêvait de vivre,
quand je l’avais sur terre rencontrée.

Les murs étaient blanchis au lait de sphynge
et les dalles rougies au sang d’Orphée.
Des mains sans grâce avaient tendu des linges

aux fenêtre borgnes comme des fées.
La scène était prête pour des acteurs
fous et cruels à force de bonheur.

Q17 – T23 – déca