Archives de catégorie : Mètre

Au sein du sang quel déchiré drapeau — 1959 (2)

Olivier LarrondeRien voilà l’ordre

A ma bête noire
(tracé au fouet)

Au sein du sang quel déchiré drapeau
Intérieur (comme un poison dans l’air)
Se mord la queue si je claque ta peau
Comme un sourd de soif – Moïse ô désert.

Les purs profils dont les cuirs m’auréolent
Maîtrisent seuls – oui  c’est ta proie que moi;
Eux forcent moins, en musicaux émois,
Ton noir que l’air, timidement créole.

De destinée l’innocent contrepoint
Se zébra-t-il d’humaines discordances
Gestes, gifles dédoublées aux doigts joints

Ma solitude inséparable danse
Dompté défroissons dompteur ce grimoire Cinglé:
la dentelle étreint ses loups noirs.

Q60 – T23 – 10s – disp: 4+4+4+2

Vos froideurs froissées, héritière — 1959 (1)

Olivier LarrondeRien voilà l’ordre

Rose & mon droit

Vos froideurs froissées, héritière
Des rosées, volent une et une.
Aussi le nid du noir sans lune:
Mes toutes puissantes paupières.

Horizon libéral assiège
Moi: ce trou noir debout, colonne
Où l’ombre pensive empoisonne
Un cœur sans mains, sans bras d’acier.

Archet-né sonnons plein silence!
Je crache au baiser d’air du temps
Il bruit – flèche-moi – sans parler.

Fais le jeu d’un biceps géant
Ma droiture! Pour Qui te lance
Sans yeux dehors Ni au dedans.

Q63 –cdx cdc – octo

Tout ce que je demande c’est de mettre un peu de terre dans le creux de la main — 1958 (10)

Raymond Queneau Sonnets

Terre meuble

Tout ce que je demande c’est de mettre un peu de terre dans le creux de la main
Juste un peu de terre dans laquelle je pourrais m’enfouir et disparaître
Regardez comme je l’étale grande cette paume on croirait qu’à tous je veux serrer la main
Et pourtant mon seul désir mon unique but et mon vœu le plus cher c’est de disparaître

J’écrivais dans de petits carnets des tas de choses au crayon qui étaient destinées à disparaître
Comme allaient s’évanouir aussi la verdure des graminées et la poussière des chemins – oui tout ça s’évanouirait demain
Je suivais la même courbe que les rails du tramouai qui déjà semblaient prêts à disparaître
Et je savais déjà oui déjà que je ne penserais qu’à une seule chose à tout finir, à finir tout ça – demain

Peintres échafaudés le long des murs de la chapelle Sixtine!
Sculpteurs agrippés le long des monts marmoréens!
Sachez sachez bien que je ne confonds pas ah mais non votre art avec de la bibine

Poètes qui sondez les mystères héraclitéens!
Prosateurs! Dramaturges! Essayistes! N’éprouvez aucun remords!
De mes amis je n’attends qu’un peu de terre dans la main – et des autres la mort

Q11 – T23 – m.irr  – quatrains sur deux mots-rimes – vers longs

Notre chemin passe par les traverses — 1954 (8)

Jean Sénac Les leçons d’Edgard in Oeuvres poétiques (1999)

1

Notre chemin passe par les traverses
Il est large et précis comme un cou de taureau,
Il craint le cœur dans les heures adverses
Dans le plaisir il craint les mots.

Notre chemin quand tombent les averses
Sent la luzerne et l’églantine à crocs,
Et si l’ornière au feu central nous verse,
Notre pied garde assez de flot.

Notre chemin procède par énigmes,
Quoique très clair ton sourire conduit,
Ton corps charrie les pigments et les rythmes.

Ta voix consent aux laves de la nuit.
Mais l’or au front, il trace, solitaire,
Notre chemin de paix dans les plis de la terre.

Q8 – T23 – 2m : déca;  octo: v.4, v.8; alexandrin: v.14

Un torse plat tout plat comme un pilastre — 1954 (7)

Pierre Albert-Birot Tout finit par un sonnet (Poésie 1952-66)

Sonnet récapitulatif

Un torse plat tout plat comme un pilastre
Un masque rond avec un œil de fer
Un paysage en forme de désastre
C’est à tout prendre et tout foutre à la mer

Et s’en aller sur n’importe quel astre
Chercher un beau grand dieu qui vous soit cher
Plus que Bouddha Jésus ou Zoroastre
Qui vous reçoive juste entre âme et chair

Mais par fenêtre entre de l’amical
C’est grand c’est chaud c’est fort c’est musical
Je reste ici ce que j’ai je le garde

Et quand viendra l’hiver le temps des maux
Pour me chauffer je cuirai des émaux
Quant à la mort je sais ça me regarde

Q8 – T15 – déca

Or dans quelle ombre, à peine ouverte, — 1951 (2)

Henri de Lescoët Dix sonnets occultes

Nuit du 2 août 1947

Or dans quelle ombre, à peine ouverte,
Pointe un oiseau, s’engage un vers?
Le ciel mélange un cri pervers
Aux fils défaits des mains inertes.

Une vague qui pousse, perd
Ici la raison d’être verte.
Plus bas du vent qui déconcerte,
Au bord de l’oeil, plus près des chairs,

Comme le sang pensé, le rêve
Le temps altère aux divers coeurs
Les gestes vrais, la seule ardeur.

Quel vieux soupçon cependant crève
A travers le mot nu de froid
D’un jour, cent fois maudit, pourquoi?

Q16 – T30 – octo

Dans une contrée étrangère — 1947 (7)

Pierre-Jean JouveDiadème


Mandala

Dans une contrée étrangère
Entretien sur ce qui n’est pas:
Recherche du Nom sans personne
Et de la personne sans nom

Recherche des routes sans pont
Et de lacs où nulle eau ne sonne
Des temples bâtis sans lumière
Nuit où le soleil ruissela

Désir du membre sans moteur
De l’action sans corps de bête
De l’éternité sans pâleur

Et par le silence des fêtes
Faim du Souverain qui là-bas
Se dérobe dedans l’état.

abcc bcab – T23 – octo

Folle douce, dans ses augures — 1949 (3)

Pierre-Jean JouveDiadème

Ophélie

Folle douce, dans ses augures
Celui qui t’adore n’a pas
Tant de mémoriales figures
Qu’il puisse pêcher vers le bas

Ta figure au fil des roseaux
Enfoncée dans le verdi charme
Des choses qui brouillent les eaux
Ont fait ta chute sans alarme;

Mais il gémit de ta nature
Sous les grands arbres du départ
Les vaches du palais où dure

La terreur profonde du dard
Amoureux, les remous d’oiseaux,
Et les bouches jusqu’aux tombeaux.

Q59 – T23 – octo