Archives de catégorie : Mètre

Si tu veux, ouvrons la porte — 1943 (5)

Vincent Muselli Plusieurs sonnets

Si tu veux

Si tu veux, ouvrons la porte
Qui mène au jardin secret:
Laisse-toi prendre à ce ret,
O Toi, si frêle et si forte!

Amie, et faisons de sorte,
Par un amoureux apprêt,
Que je tienne, indiscret,
En cet émoi d’être morte

Elyséen, mais si bref!
Ah, n’en demeure grief
En ta chair jeune et fleurie,

Mais qu’un désir ingénu,
Charmante, y persiste et rie
A tel beau dieu reconnu!

Q15  –  T14 – 7s

Je goûte, à ton fil de lait, — 1943 (1)

Audiberti Toujours

Ruth

Je goûte, à ton fil de lait,
tes creuses raisons, drôlesse
Laissant ce qui ne me laisse,
Je te choisis. Le fallait.

Mon soleil vit sous les feuilles
Des penseurs que je perdis.
Va-t-il se dissoudre, dis,
dans le golfe où tu m’accueilles?

Si c’est toi, beauté, ce soir
la porte du péché noir
qu’elle s’ouvre, et que je passe …

-Non! non! je ne veux, je ne
veux pas maintenant, limace!
toucher la face de Dieu.

Q63 – T14 – 7s

Onze nombre impair. La rétention du temps — 1942 (4)

Raymond Queneau – in Si tu t’imagines – les Ziaux IV – daté 1942

Bout de l’an

Onze nombre impair. La rétention du temps
Décembre devant nous achève un cortège
Assez loin de mille et un peu plus de cent
La boue et la pluie et pas encor la neige

De l’achèvement toujours à la limite
L’arbre attend son fruit et la lave son roc
La faux se détourne du nid de termites
L’étoile court après le chant niais du coq

Tous vont arriver. L’aube belle charogne
Epluche l’univers rejette la nuit
La sotte volaille s’égosille et luit

La graine éclate et se met à la besogne
L’année accouche de son alexandrin

Le sonnet s’arrête au numéro quatorze

Q59 – cddcxy 11s

A vous, Madame, qui voulûtes — 1937 (5)

Albert Mockel dans une  lettre

Sonnet
à Madame Boissière née Thérèse Roumanille

A vous, Madame, qui voulûtes
Ce matin ivre de soleil,
Ouïr sur mes fragiles flûtes
Un écho du chant non pareil,

J’apporte une légère page
Qui tremble encor au vent amer,
Flocon d’écume sur la plage
Déserte des voix de la mer.

Le songe est l’éternel empire
Où par le verbe qu’il expire
Règne Stéphane Mallarmé

Mais à vous les roses de Mai,
A vous dont le si jeune rire
Surprit le poète charmé .

Q59 – T10 – octo

Ils ont cherché longtemps longtemps — 1935 (2)

Charles Dupuis Au hasard de leurs mains ouvertes

Sonnet

Ils ont cherché longtemps longtemps
Au hasard de leurs mains ouvertes
La synthèse des palmes vertes

Et du bonheur dans les printemps

Ils ont cherché, toujours courant
Fuyant parfois comme on déserte
La prison des lèvres offertes

Leur quadrature de vivants

Ils ont cherché de porte en portes
Et puis des chimères sont mortes
Dont leurs âmes traînent les deuils

Et leurs coeurs sont des cimetières
Où sans croix, sans ifs, sans prières
Pourrissent d’étranges cercueils.

Q15  T15  disp 3+1+3+1+3+3 – octo

Le jeune homme moderne — 1935 (1)

Francis Jammes De tout temps à jamais

Dans les combles

Le jeune homme moderne
Essaye en son grenier
Qu’éclaire une lanterne
L’habit d’un chevalier.

Je ne sais s’il nous berne,
Mais son aspect altier
Semble bien le lier
Au temps de la poterne.

Cependant, il est chic.
Dans l’œil, un léger tic
Semble dire à sa femme,

Folle de lui d’ailleurs:
Que pensez-vous, Madame,
De mon ancien tailleur?

Q9 – T14 – 6s

A quoi te sert de fuir ? l’Angoisse est prête. — 1934 (7)

– Benjamin Fondane L’exode in Le mal des fantômes (ed.1996)

Voix de l’Esprit

A quoi te sert de fuir ? l’Angoisse est prête.
– Je veux dormir. Qui crie ? est-ce moi ?
Une lumière gicle – Sang ou soie ?
C’était, je m’en souviens, c’était la fête …

Ce n’est, inimitable, qu’une voix
Qui coule de mes reins jusqu’à ma tête :
Arrête-toi ! qui parle ?  suis-je bête !
C’était, je m’en souviens, c’était la joie …

Figures vierges. Solitudes grasses.
Est-ce le plat démon ? une ombre passe,
Emplit mon arc tendu, de mouvement.

Délices fortes que le temps renoue !
O voix !  plus assassines que le sang.
Et pas un fleuve pour coucher ma joue.

Q15  T14  – banv – déca

La chair a beau crier: l’Angoisse est lourde. — 1934 (6)

– Benjamin Fondane L’exode in Le mal des fantômes (ed.1996)

La chair a beau crier: l’Angoisse est lourde.
Et l’Ange a beau gémir : il est lié.
Qui suis-je ? en quelles paumes oublié ?
Mer repliée au cœur de la palourde.

Es-tu ici prière ? o grande sourde !
Je crie. Le monde me revient crié.
Rien ! rien que ce sanglot du temps nié
Où pèse des soleils la masse sourde.

Pas même seul. Des tas ! des tas de SEULS !
Ont elles droit, si maigres, aux linceuls,
Ces pures ombres que l’histoire traque ?

Puisse-t-il être ton moyeu, sommeil,
Ce centre où Dieu rayonne le Zodiaque !

…. Ô terres du futur ! puissants orteils ! ….

Q15  T14  déca – disp: 4+4+3+2+1

Je l’avais compris un soir de légende — 1934 (5)

Patrice de La Tour du Pin La quête de joie

Je l’avais compris un soir de légende
Si profondément que j’en avais peur,
Et notre amitié devenait si grande
Que nous n’en pouvions saturer nos cœurs.

Je ne connaissais que toi de si rare,
De si lumineux dans le haut chemin;
Je croyais que seule la mort sépare
Et que ton absence aurait une fin.

Par les soirs cruels de l’indifférence,
Je vivais dans ta très douce présence,
Attendant des jours tranquilles et clairs.

J’ai veillé longtemps sans âme et sans force:
Peut-être as-tu su déchirer l’écorce
Qui voilait si mal un cœur si désert?

Q59 – T15 – tara – taratantaras (avec un couac métrique au vers 7: une césure ‘lyrique’)