Archives de catégorie : Mètre

Ta rose distraite et trahie — 1926 (5)

Francis Ponge Dix courts sur la méthode


Le jeune arbre

Ta rose distraite et trahie
Par un entourage d’insectes
Montre depuis sa robe ouverte
Un cœur par trop en piété.

Pour cette pomme l’on te rente
Et que t’importe quelqu’enfant
Fais de toi-même agitateur
Déchoir le fruit comme la fleur.

Quoiqu’encore malentendu
Et peut-être un peu bref contre eux
Parle! dressé face à tes pères

Poète vêtu comme un arbre,
Parle, parle contre le vent
Auteur d’un fort raisonnement.

bl – octo

Le cœur sur l’arbre vous n’aviez qu’à le cueillir, — 1926 (2)

Paul Eluard Capitale de la douleur

Poèmes

Le cœur sur l’arbre vous n’aviez qu’à le cueillir,
Sourire et rire, rire et douceur d’outre-sens.
Vaincu, vainqueur et lumineux, pur comme un ange,
Haut vers le ciel, avec les arbres.

Au loin, geint une belle qui voudrait lutter
Et qui ne peut, couchée au pied de la colline.
Et que le ciel soit misérable ou transparent
On ne peut la voir sans l’aimer.

Les jours comme des doigts repliant leurs phalanges.
Les fleurs sont desséchées, les graines sont perdues,
La canicule attend les grandes gelées blanches.

A l’œil du pauvre mort. Peindre des porcelaines.
Une musique, bras blancs tout nus.
Les vents et les oiseaux s’unissent – le ciel change.

r.exc.  – 2m

Les grands troupeaux ailés gardaient vos portes colossales, — 1926 (1)

Emile CottinetBallades contre et sonnets pour

Les ruines (Assyrie, Perse, Egypte)

Les grands troupeaux ailés gardaient vos portes colossales,
Vos palais où trônaient Sarçon, Sardanapale, Assur,
Où les soldats tombaient comme des épis de blé mûr,
Ninive, Baghdad, ô cités vaines et vassales!

Des archers défilaient, vêtus d’émail bleu, sur les purs
De Suze et de Persépolis, les jumelles royales,
Et l’Egypte dressait, dans le sable aux profondeurs pâles,
Son sphinx immarescible aux yeux noyés d’ombre et d’azur.

Passé, désert de cendre où des mirages formidables
Appellent notre rêve, ô Passé, pour tes yeux de fables,
Chemin mystérieux jalonné de tombeaux sans fin,

Tes colosses de pierre ou de métal, forces obscures,
Gisent anéantis parmi tes attributs divins.
Kronos a passé là – Dieu sourd qui détruit et qui dure.

Q16 – T14 – 14s

Sous quelle lampe penchée — 1925 (4)

Pierre Camo Cadences

Psyché

Sous quelle lampe penchée
Penses-tu, vaine Psyché,
Reveiller l’amour caché
Dont mon âme est détachée ?

Si le beau charme épuisé
Parfume encor ma pensée,
C’est comme la fleur blessée
D’un printemps désabusé !

Cette chère inquiétude
Qui fait ta sollicitude
Ne te découvrira rien

D’une secrète blessure
Où ta flamme ne peut bien
Raviver que ta brûlure !

Q63  T14  7syll  on remarque, dans les quatrains, que b est la ‘rime hétérosexuelle’ de a, et b’ de a’.


Pélops, par l’épaule d’ivoire — 1924 (7)

Tristan Derème La verdure dorée

Pélops, par l’épaule d’ivoire
Qui tous les maux guérit,
M’arracheras-tu de l’esprit
La face de ta gloire?

Chaque aube annonce une victoire
Que l’autre aube flétrit.
Plus heureux celui qui n’écrit
Et ne pense qu’à boire.

Il est aux bois tièdes et verts
Des jeunes femmes, et tes vers
N’ont que toi pour les lire.

Et le vent dans un  peuplier
Quand il chante fait oublier
Les cordes de ta lyre.

Q15 – T15 – 2m : octo; 6s: v.2, v.4, v.6, v.8, v.11, v.14

J’ai craint parfois qu’il ne fut plus sincère — 1924 (6)

Emile Blémont Gloires de France

Envoi au ‘Tombeau de Verlaine »

J’ai craint parfois qu’il ne fut plus sincère
Où qu’il ne fût sincère qu’à demi,
Je l’admirais en poète, en ami,
Tout approuver était-il n’écessaire?

Ce rut païen après ce doux rosaire,
Ces yeux d’orgueil, ce coeur mal affermi,
Qui les a vus, et n’en a point gémi?
O le grand Saint, mais quel bon vieux corsaire!

Pour la logique
Grave embarras! – Puis, la mort a sculpté
En marbre blanc sa tête socratique.

Maints vers de lui sont étrangement beaux;
Et ce damné, dans son rêve extatique,
Ouvrit à l’Art des horizons nouveaux.

Q15 –  cxcdcd T.exc –  déca (v.9:4s.)

..Mais, ni la pêche cressonière — 1924 (4)

Jean Tardieu in Margeries


Mots refoulés

..Mais, ni la pêche cressonière
D’un adjectif dormeur et lourd,
Ou bien d’un verbe de rivière
Qui, brusque, entre les algues, court,

Ni cette patience entière
De sertir un mot d’un discours
Comme s’il était de matière
Plus précieuse que l’entour,

Ne ternit mon amour du monde!
Je connais l’animal plaisir
De refouler sans les saisir

Mes mots – et, les yeux entr’ouverts
L’âme pendue à la seconde
D’accueillir absent l’univers.

Q8 – T34 – octo

Les forteresses des Karpathes — 1924 (3)

Georges LimbourSoleils bas

Faux château

Les forteresses des Karpathes
étaient de grands châteaux de pâte.
les princesses y étaient de spectres oppressées
mais qui étaient là-haut la ronde de nos pensées.

A cause d’un Seigneur aux épais favoris
nous rêvions la beauté fragile et sans patrie
et cette voix bourrue d’un bourreau podestat
fit cette mélodie qui tout bas nous hanta.

mais les Karpathes étaient courbes comme faucille
et dans la nuit leur ombre lentement s’avançait
pour faucher dans la plaine barrée de longs fossés

nos cœurs qui avaient osé
contempler presque à leur hauteur ses forts branlants
par le regard oblique de leurs maints cerfs-volants

Q57 – xccc  dd – m. irr

Toi qui pâlis au nom de Vancouver, — 1924 (2)

Marcel Thiry Toi qui pâlis au nom de Vancouver

Toi qui pâlis au nom de Vancouver,
Tu n’as pourtant fait qu’un banal voyage;
Tu n’as pas vu les grands perroquets verts,
Les fleuves indigos ni les sauvages.

Tu t’embarquas à bord de maints steamers
Dont par malheur aucun ne fit naufrage
Sans grand éclat tu servis sous Stürmer,
Pour déserter tu fus toujours trop sage.

Mais il suffit à ton orgueil chagrin
D’avoir été ce soldat pérégrin
Sur le trottoir des villes inconnues,

Et juste, un soir, dans ce bar de Broadway,
D’avoir aimé les grâces Greenaway
D’une Allemande aux mains savamment nues.

Q8 – T14 – déca – Le vers 4 est césuré en position 6.