Archives de catégorie : Mètre

Monnayer l’or des couchants! — 1920 (14)

Raymond Radiguet in Oeuvres, ed. 2001

Champ de Mars

Monnayer l’or des couchants!
Que les clairons militaires
Berceurs du stérile champ
Ensemencent d’autres terres

Oreille insensible aux chants
Qui s’envolent de Cythère
Je suis devenu méchant
A force de battre l’aire

Le temps est un laboureur:
Rides tracées sans charrue
Vaine d’un astre empereur

Car son pégase qui rue
Ne pourrait voir sans horreur
Fleurir les chansons des rues

Q8 – T20 – 7s

Une poupée autour du doigt — 1920 (13)

Raymond Radiguet in Oeuvres, ed. 2001

Froid de loup

Une poupée autour du doigt
Trop inhabile à l’escarmouche
Votre aiguille fit la farouche
Pardon si je fus maladroit

A la rencontre d’autres mois
Un décembre fermant la bouche
Candide (c’est ce qui me touche)
Nous de nouveau sommes en froid

La charpie imite la neige
En clignant des yeux pourquoi n’ai-je
Vu qui de nous avait raison

Répétons encore si j’ose
Que l’on meurt en toute saison
Voyez s’évanouir les roses

Q15 – T14 – banv –  octo

Billet de faveur, I …. Hortense s’évanouit, apercevant  au bout de son petit doigt une goutte de sang rose comme la rosée. Elle revient à elle, et à moi, moyennant un sonnet

Nous avons pensé des choses pures — 1920 (11)

Paul ValéryAlbum de vers anciens

Le bois amical

Nous avons pensé des choses pures
Côte à côte, le long des chemins,
Nous nous sommes tenus par les mains
Sans dire … parmi les fleurs obscures;

Nous marchions comme des fiancés
Seuls, dans la nuit verte des prairies;
Nous partagions ce fruit de féeries
La lune amicale aux insensés.

Et puis, nous sommes morts sur la mousse,
Très loin, tout seuls parmi l’ombre douce
De ce bois intime et murmurant;

Et là-haut, dans la lumière immense,
Nous nous sommes trouvés en pleurant
O mon cher compagnon de silence!

Q63 – T14 – 9s

L’oiseau sur l’affiche BOTTINES — 1920 (10)

Aragon (sonnets non repris dans Feu de joie)

La vie privée

L’oiseau sur l’affiche BOTTINES
L’amour revient de bon matin
Nous ne trouvons plus l’incertain
Regard des grâces enfantines

Le plancher danse tu destines
Ce bras de souvenir lointain
Aux fleurs du papier Nu satin
Tes yeux resteront mes cantines

Décor décor Madame au ciel
Quand abeille aux cheveux de miel
On recommence la tristesse

Tu défais le nœud des saisons
Alors et c’est l’essentiel
Je perds la raison des raisons

Q15 – T14 – – banv – octo


A songer que l’état m’assigne — 1920 (8)

Aragon (sonnets non repris dans Feu de joie)

Satan, ses pompes et ses oeuvres

A songer que l’état m’assigne
Six francs, le prix d’une catin
Et le déjeuner du matin
Le noir registre je le signe:

Docteur, et ce nom qu’un destin
Favorable doit rendre insigne
Non sans quelque gaieté maligne
De mentir à ce bulletin.

Il n’est de titre que j’envie
garder ou l’une ou l’autre vie
comme en-tête pour mes papiers,

sinon celui que me confère
ce doux emploi de ne rien faire:
Médecin des Sapeurs-Pompiers.

Q16 – T15 – octo – sns

L’habitude — 1920 (7)

Aragon Feu de joie
(sonnet caché dans Lever, (Feu de joie))


L’habitude
Le pli pris
L’habit gris
Servitude
Une fois par hasard
Regarde le soleil en face
Fais crouler les murs les devoirs
Que sais-tu si j’envie être libre et sans place
Simple reflet peint sur le verre

Donc j’écris
A l’étude
Faux Latude
Et souris

Que les châles
les yeux morts
les fards pâles

et les corps
n’appartiennent
qu’aux riches
Le tapis déchiré par endroits.

r.exc. – m.irr

Que m’importe qu’un pédagogue — 1920 (6)

Léon de Berluc-PerussisSonnets

A M. Achille Vogue,
qui me demandait un sonnet pour son recueil d’autographes

Que m’importe qu’un pédagogue
Me déclare d’une voix rogue
Que mes vers – sonnet, ode, églogue –
Ne sont qu’une assez pauvre drogue!

Voilà que mon humble pirogue
Aux rives de la gloire vogue,
Puisque, entre les auteurs en vogue,
Mon nom brille en l’album de Vogue.

A mon œuvre nul astrologue
N’eut prédit pareil apologue:
J’entre au temple où le meilleur drogue.

Mais êtes-vous sûr, ô bon dogue,
Que votre indulgent catalogue
La postérité l’homologue?

monorime  octo

Bruit qui ne s’énumère, et sous l’atone nue — 1920 (5)

René Ghil – in Oeuvres Complètes

Mer montante.

Bruit qui ne s’énumère, et sous l’atone nue
le rond soleil qui transparaît
en point ardent d’où s’amasse la révolue
cendre du soir désert, la Mer ne saurait

d’éternel arrêter la respiration tûe
de tous les hommes morts en trophées! arrivait
de dessous l’horizon qui limite ma vue
et le soupir de ma poitrine – et elle avait

immensément le mouvement qui outre-passe
et la grève et les pas et les mots qu’en vain tasse
le poids multiplié de nos vivants trépas:

et elle était – qui vient de soi-même suivie –
de l’étendue que le temps ne tarit pas
et sur ma lèvre un goût de sel, mouillé de vie ….

1916

Q8 – T14 – 2m: octo: v.2:

Ma Triste, les oiseaux de rire — 1920 (3)

René Ghil – in Oeuvres Complètes

Sonnet

Ma Triste, les oiseaux de rire
Même l’été ne volent pas
Au Mutisme de morts de glas
Qui vint aux grands rameaux élire

Tragique d’un passé d’empire
Un seul néant dans les amas
Plus ne songeant au vain soulas
Vers qui la ramille soupire.

Sous les hauts dômes végétants
Tous les sanglots sans ors d’étangs
Veillent privés d’orgueils de houle

Tandis que derrière leur soir
Un souvenir de Train qui roule
Au loin propage l’inespoir.

1886

Q15 – T14 – octo

Quatorze pieds! Pourquoi mes vers ont-ils quatorze pieds? — 1919 (7)

Henry Céard Sonnets de guerre

Explication

Quatorze pieds! Pourquoi mes vers ont-ils quatorze pieds?
C’est que lassé, depuis longtemps, par l’antique hexamètre
Ankylosé, fourbu, boiteux, j’ai prétendu lui mettre
Deux béquilles, deux pieds de plus, comme aux estropiés.

Hardiment, j’ai rayé l’alexandrin de mes papiers!
Et l’avenir, hors du néant, me tirera peut-être
Pour d’inusités vers, ouvrés sans modèle, sans maître
Et sur aucun patron connu, coupés ou copiés.

Suivant l’accent, je place et déplace la césure.
J’en mets une, deux trois, quatre, et le sens et la mesure
Au lieu de se trouver gênés demeurent agrandis.

La règle peut changer: tout change. Alors risquons l’épreuve
De transformer des procédés trop pratiqués jadis.
– Si l’essai n’est pas bon du moins la tentative est neuve.

Q15 – T14 – banv – 14s – Illusion: il y a déjà eu des sonnets en vers de quatorze syllabes!