Archives de catégorie : Mètre

Rais de soleil ou patte blanche? — 1914 (9)

André Breton in La Phalange
Rais de soleil ou patte blanche?
La main ne glane – on le saurait –
Dans sa chevelure à regret
L’or au gré soudain de la branche

Sans que fuse plus clair son rire
Pâle ou cendré comme l’or blond
Par le cher feuillage selon
L’accompagnement de ta lyre.

Et l’âme, au battement d’une aile
Captive – on croirait – d’un col fin,
Vers l’épaule, sous la tonnelle,

Si la caresse ondule à fin
De charme, ô pur Viélé-Griffin,
Pressent la Pigeon aigrefin!

Q63 – T22  octo

Sanglé dans son dolman d’étain, — 1914 (4)

?Cristaux et colloïdes – Anthologie des pharmaciens poètes –

Le suppositoire

Sanglé dans son dolman d’étain,
Qui lui donne allure guerrière,
Le suppositoire, malin,
Attaque toujours par derrière.

Odorant comme un Muscadin,
On le croirait d’essence fière;
Mais, son idéal est mesquin,
Il ne prise que la matière!

Pourtant, sa fin lui fait honneur!
C’est lorsque, héroïque pointeur
Que n’émeut point la canonnade;

Pour donner son calmant effet,
Tête baissée, il disparaît,
Au fracas d’une pétarade!

Marcel Mavit

Q8 – T15 – octo

Si je contemple le plafond — 1914 (2)

Jean de La Ville de Mirmont – in Oeuvres complètes ed. 1992 –

Si je contemple le plafond
Avec tant de mélancolie,
Gentlemen, avouerai-je, au fond
Le motif de ma rêverie?

Lorsque j’ai bu trois carafons
De gin, de rhum et d’eau de vie,
Goddam! Tous ces alcools me font
Songer à la mère-patrie …

J’en partis à vingt ans à peine
Pour acheter du bois d’ébène
Sur la côte des Somalis.

Négrier plus qu’aux trois-quarts ivre
(En vérité je vous le dis),
J’ai gardé tout mon savoir-vivre.

Q8 – T14 – octo

Oh! combien que j’eusse aimé — 1914 (1)

Jean de La Ville de Mirmont – in Oeuvres complètes ed. 1992 –

Les frères aînés

Oh! combien que j’eusse aimé
Avec toute ma jeunesse
Combien de frères aînés
Sont morts avant que je naisse!

Encore tout affamés
D’une éternelle tendresse
Combien se sont résignés
A ce bonheur qu’on nous laisse.

De notre sort mécontents,
Nous sommes, de tous les temps,
Vague troupeau sans étable.

Mes frères insoucieux
Saurons-nous tourner les yeux
Vers le seul bien véritable?

Q8 – T15 – 7s

Le pré est vénéneux mais joli en automne — 1913 (13)

Guillaume Apollinaire Alcools

Les Colchiques

Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s’empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne

Les enfants de l’école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières
Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne

Q10  – T13 -y=x: e=a  – 15v – disp: 7+5+3m.irr.On peut à la rigueur considérer qu’il s’agit d’un sonnet, si on admet qu’il a été ‘dénaturé’ par le découpage en deux vers de l’alexandrin ‘Les vaches y paissant ..’ (qui a eu lieu sur épreuves) et le déplacement des frontières strophiques.

A vous seule qui ne fûtes l’étrange poupée — 1913 (12)

André Breton in ed. Pléiade

A vous seule

A vous seule qui ne fûtes l’étrange poupée
Sœur ai-je dit je pressens que sous vos mains petites,
En précieux chignon ne fuserait la poupée
Tout ce qu’orne l’audace verte des clématites.

Un seau de femme où gèle en bleuissant l’eau pompée
Porte à voir au milieu de salores des stalactites
Un bout de corne pointe ustensile d’épopée
Au front des pauvres moutards de banlieue à otites.

On rapporte la fumée aux losanges de natte
Ainsi le rêve du forain mou je l’enviai
Que ce fut mordre à belles dents la baie incarnate

Ange vous selon mes paradoxes de janvier
Retintes ce long talus qui bée au vent moqueur
Et me pardonnâtes l’équipée à contre-coeur.

Q8 – T23 – 13s

– Lettre à Paul Valéry du 9 janvier 1916:  » Et voici même un  sonnet trop irrégulier. Que ne puis-je me retenir de vous faire part , avec la puérilité que vous condamnez, d’essais toujours malheureux ».
Réponse de P.V.:  » Nous avons lu ces derniers vers que vous m’avez envoyés. Ils font penser que vous êtes dans un état que les physiciens nommeraient critique. Leur brisement, leur art situé entre les types définis, le hasard introduit, voulu, rétracté à chaque instant, assurent que vous touchez un certain point intellectuel de fusion ou d’ébullition, bien connu de moi, quand le Rimbaud, le Mallarmé, inconciliables, se tâtent dans un poète. Début capital, perceptible si clairement dans ce sonnet où le solitaire, le volontaire, le seul soi, mais la rime exacte, la forme fixe, la recherche des contrastes coexistent ».

Tel qu’en l’obscur discours de Locke — 1913 (10)

Charles Derennes, Charles Perrot, Pierre Benoit, ed. La grande anthologie

Stéphane Mallarmé

Tel qu’en l’obscur discours de Locke
Agonisait sa sombre ardeur
Où sourdre avec tant de candeur
La gigantesque et molle cloque

Si pendillait la pendeloque
Cette languide et noire odeur
Qui hors du cœur du maraudeur
S’exalte et tend et flotte loque

Mais chez qui par amour se pend
Lourdement pend un grand serpent
En la courbure hypothétique

Tel qu’en l’unanime foison
Selon nul autre amer poison
L’aigre malade ne se pique

Q15 – T15 – octo

La mer joue à son miroir — 1913 (6)

Léon Deubel in Oeuvres

La fleur terminale

La mer joue à son miroir
Que les innombrables plumes
Des eiders de l’aube embrument
Effrayante et belle à voir.

Oh! glissez, vous que j’exhume
Formes d’un vain désespoir ,
Dans la tombe au linceul noir
Que la mer ouvre et parfume.

Mais, de grille, sans merci
N’entraînez pas le souci
Qui me point et me consume

Quand je tente de gravir
L’Alpe du flot, pour cueillir
L’edelweiss de son écume.

Q16 – T15 – y=x :d=b – 7s –

Gai, gai, marions les heures — 1913 (5)

Léon Deubel in Oeuvres

Gai, gai, marions les heures
Aux souvenirs tour à tour,
Un instant frivole court
Sur son talon de couleur.

Que la mariée est belle
Sous ses fleurs en ses atours!
Chantons ses chastes amours!
Le futur est poivre et sel.

Il porte beau et ses bagues
Dardent mille éclats de dagues
Qui font assaut d’épidermes.

Ah! ces cloches envolées;
Gai! Vive la mariée;
L’instant luit comme un dieu terme.

Q15 – T15 – 7s