Archives de catégorie : Mètre

Elle tombe aussi finement — 1890 (6)

Alfred MigrenneLes moissons dorées

En voyant tomber la pluie

Elle tombe aussi finement
Que si c’était de la rosée,
Et la terre presque épuisée
S’en désaltère avidement.

De ma serre tout irisée
Des fleurs qui s’ouvrent par moments,
Le jasmin s’élève hardiment
Pour apparaître à ma croisée.

Demain les épis jauniront
Et gaîment des faucheurs iront
Les couper, puis les mettre en gerbe.

Car la pluie est à la moisson,
Ce que l’air est à la chanson
Et l’or du soleil à la gerbe.

Q16 – T15 – octo  – bi

D’autres auront le bruit, la gloire, — 1890 (4)

Edouard GrenierPoèmes épars

Renoncement

D’autres auront le bruit, la gloire,
Et leur nom partout répété;
Le mien s’éteindra sans mémoire,
Comme s’il n’eut jamais été.

Mais qu’on marque ou non dans l’histoire,
Rien ne vaut d’être regretté.
La vie est un rêve illusoire,
Le songe d’une nuit d’été.

Obscur ou glorieux, qu’importe!
La mort d’un seul coup d’aile emporte
Tous nos vains désirs – et c’est bien!

La gloire est d’être aimé. S’il tombe
Une ou deux larmes sur ma tombe,
Il suffit: le reste n’est rien.

Q8 – T15 – octo

Si, subtile, le petit nez — 1890 (3)

Mallarmé in Oeuvres complêtes – Poésies (ed. Barbier-Millan)


Pour un baptême

Si, subtile, le petit nez
Eblouissant noyé dans telle
Candeur de rires devinés
Que s’entr’ouvre cette dentelle,

Le filial instinct vous prit,
Orgueilleuse, mais la seconde,
De ressembler par son esprit
Tout bas à votre aïeule blonde,

Conservez, des fonts baptismaux,
Afin qu’il se volatilise
Miraculeusement en mots
Natifs et clairs comme une brise,

Mademoiselle Mirabel
Sur la langue le grain de sel.

shmall – octo

La Gloire, comme nulle tempe — 1890 (2)

Mallarmé in Oeuvres complêtes – Poésies (ed. Barbier-Millan)

Sonnet à Valère Gille

La Gloire, comme nulle tempe
Encore mi-poivre mi-sel
Ne s’y dora selon la lampe,
De si tôt paraître missel

Ce l’est, avec le commentaire
Par entrelacs colorié:
Je me sens un peu comme en terre
Allé refleurir le laurier.

Le beau papier de mon fantôme
Ensemble sépulcre et linceul
Vibre d’immortalité, tome,
A se déployer pour un seul

Dans le gothique, d’évangile
Par vous rêvé, Valère Gille.

shmall – octo

De frigides roses pour vivre — 1890 (1)

Mallarmé in Oeuvres complêtes – Poésies (ed. Barbier-Millan)


Eventail de Méry Laurent

De frigides roses pour vivre
Toutes la même interrompront
Avec un blanc calice prompt
Votre souffle devenu givre

Mais que tout battement délivre
La touffe par un choc profond
Cette frigidité se fond
En du rire de fleurir ivre

A jeter le ciel en détail
Voilà comme bon éventail
Tu conviens mieux qu’une fiole
Nul n’enfermant à l’émeri

Sans qu’il y perde ou le viole
L’arôme émané de Méry

Q15 – T14 – banv – octo

Tous deux avons ce travers — 1889 (29)

Verlaine Dédicaces

A Paterne Berrichon

Tous deux avons ce travers
De raffoler des bons vers
Et d’aimer notre repos.

Aussi tout, jusqu’aux hasards,
Punit sur nos tristes peaux
Ces principes de lézards.

Alors parfois nons rancunes,
Ne connaissent plus d’obstacles,
Oeuvrent sans mercis aucunes,
Toutes sortes de miracles.

Si que la pante morose
S’indigne que, mal civile,
La muse métamorphose
Le lézard en crocodile.

s.rev  octo  QU fem – T masc

Savantissimo Doctori — 1889 (28)

Verlaine Dédicaces


A Louis et Jean Jullien

Savantissimo Doctori
Bonissimoque Scriptori,
Au frère et puis encore au frère

Ce sonnet les jambes en l’air
Qui commence à chanter son air
En pur latin de feu Molière !

Ce sonnet pour dire à tous deux
Sur un ton badin mais sincère
Que je les aimes bien et serre
Leurs loyales mains à tous deux.

Louis, malgré le sort contraire,
Salut à vous qui guérissez,
A vous aussi qui punissez
L’ordre bourgeois, Jean, mon confrère

s.rev  octo

C’est le beau Jean Moréas — 1889 (24)

Verlaine Dédicaces

A Jean Moréas

C’est le beau Jean Moréas
Qui fait dire à l’échotier
Que l’art périclite, hélas !
Au mains d’un si tel routier.

Routier de l’époque insigne,
Violant des vilanelles
Comme aussi, blancheur de cygne !
Violant des péronnelles.

Va-t’en, sonnet libertin,
Fleuri de rimes gaillardes
Ce chanteur et ce butin,

Migrateur emmi les bardes,
Que suivent sur ses appels
Tous les cœurs des archipels.

Q59  T23  7s

Des jeunes – c’est imprudent – — 1889 (23)

Verlaine Dédicaces

A Stéphane Mallarmé

Des jeunes – c’est imprudent –
Ont, dit-on, fait une liste
Où vous passez symboliste.
Symboliste ? Ce pendant

Que d’autres, dans leur ardent
Dégoût naïf ou fumiste
Pour cette pauvre rime iste
M’ont bombardé décadent.

Soit ! Chacun de nous en somme
Se voit-il si bien nommé ?
Point ne suis tant enflammé

Que ça vers les n…ymphes, comme
Vous n’êtes pas mal-armé
Plus que Sully n’est Prud’homme.

Q15  T28  7s

Sa douceur qui n’est pas excessive, — 1889 (21)

Verlaine Dédicaces

à J-K. Huysmans

Sa douceur qui n’est pas excessive,
Elle existe mais il faut la voir,
Et c’est une laveuse au lavoir
Tapant ferme et dru sur la lessive.

Il la veut blanche et qui sente bon
Et je crois qu’à force il l’aura telle.
Mais point ne s’agit de bagatelle
Et la tâche n’est pas d’un capon.

Et combien méritoire son cas
De soigner ton linge et sa détresse,
Humanité, crasses et cacas.

Sans jamais d’insolite paresse,
O douceur du plus fort des J.-K.,
Tape ferme et dru, bonne bougresse !

Q63  T20  9s