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code 49 Un roi à sang chaud offre un yacht à sa star lâche

Harry Mathews

Cher Jacques,

voici donc le sonnet. Comme tu le verras, les contraintes m’ont poussé
encore une fois vers la narration mélodramatique.
Lesdites contraintes sont facilement repérables:
— tous les mots sont monosyllabiques ;
— a part la dernière, toutes les rimes sont hétérosexuelles
(lac-lache), et cela de façon assez stricte;
— parce que, il y a un certain nombre d’années, lorsque je t’ai posé des questions sur la césure de l’alexandrin et que tu m’as répondu, « C’est
surtout une affaire de maîtrise de l’e muet au milieu du vers », la sixième syllabe de chacun de mes vers comporte un mot se terminant en e suivi d’un
mot commençant par une voyelle (offre_un).

Ce poème, je tiens a ce que tu le saches, m’a pris énormément de temps. Je n’ai eu un toute petite gratification qu’a la fin de mon travail au moment
ou je me suis rendu compte que je pouvais inscrire les deux principaux mots du titre en écrivant « Qu’au cul un groom… » Mais si le résultat t satisfait, je serai largement récompensé.

Dis-moi si tu as besoin d’un exemplaire sur papier.

je t’embrasse

Harry

Le groom cocu_

Un roi à sang chaud offre un yacht à sa star lâche
qui le fuit et se cache au bout de son grand lac.
Qu’au cul un groom se venge ! Il rend du tac au tac
au roi : il prend la femme et la rompt à la tâche
cinq, dix fois ; puis la hache et la coud dans la bâche
du beau foc blanc. Il rentre au port seul par le bac
du coin. Le soir, il laisse aux chiens du roi son sac
plein de corps cru, retourne au lit sans qu’on n’en sache
rien. Au moins il le pense. Et tiens! il n’a pas tort.
On dit : la star est sainte ! On boit aux feux de torche
à son nom, à son âme, à son yacht. Et ce porc
de groom est pris de doute, alors du haut du porche
de Dieu il dit tout. Honte au nul qui se veut pieux !
On le prend, on le traîne, on le fend de vingt pieux

coda 48 L’os mué dans notre raison exécuta

Ian Monk

Cher Monsieur Roubaud,

Tu m’as demandé d’écrire un sonnet, le voici sous sa forme actuelle. Dis moi, s’il te plaît, ce que tu en penses. Je précise tout de suite qu’il s’agit d’un sonnet monquine, c’est à dire une monquine de 7 (vers 1 à 7) ensuite manipulée une seule fois pour donner les vers 8 à 14, qui essaie également de respecter la métrique (césures pas toujours très classiques!) et la rime (uniquement masculines pour des raisons assez évidentes – enfin, une seule rime féminine aurait été possible). J’aime bien l’idée (contrainte assez molle cachant contrainte assez dure) mais je ne sais pas si la réalisation en est digne. J’aimais aussi compter les lettres et les syllabes au même temps.

Bien à toi, Ian

L’os mué dans notre raison exécuta
fasciné, l’aile du savoir, cap aboli,
indue utilité où j’eus tout défini.
Alinéa assis, l’attrait neuf se lia
des nombres alignés ; imité, il n’aura
même pas évidé dûment l’exemple si
tu (vive habile, mon ingénue aimée) y
es sans brides. Elu, calculé, tablé à
l’or, cet acte délie, rouage farfelu,
initie, bâtit l’instant vide. Si eux
écument l’aléa, je désire ton creux –
muse, vos agios élevés m’avaient eu –
ainsi répètes-tu à cet ivre bateau
mon option affinée, émise de l’étau

coda 47 J’offre ma coupe vide à l’humaine souffrance

Hervé Le Tellier

La gloire, de Maldelaire

J’offre ma coupe vide[1] à l’humaine souffrance[2]
Ayant peur de mourir[3] roulés dans des quittances. [4]
Je veux délaisser l’Art [5] pour embrasser la gloire[6]
De l’éternel azur[7] construit en marbre noir[8]

Au risque de tomber [9] comme un astre inutile, [10]
Je fuis, pâle, défait, [11] ainsi qu’un sable fin, [12]
Je fuis et je m’accroche[13], par des liens subtils. [14]
Et laisse un bloc boueux[15] de viandes et de vins, [16]

Abominablement[17] comme un sphinx incompris; [18]
Je goûterai le fard[19] de l’immortalité. [20]
Extase des regards[21] verts comme les prairies, [22]

Il m’amuse d’élire[23] la houle qui m’enlève! [24]
Le peuple s’agenouille[25] à nos impuretés,[26]
Aux noirs vols du Blasphème [27] lavé comme une grève[28]


[1] Toast funèbre, de Stéphane Mallarmé

[2] Avec ses vêtements ondoyants et nacrés, de Charles Baudelaire

[3] Angoisse, de Stéphane Mallarmé

[4] J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans, de Charles Baudelaire

[5] Las de l’amer repos, de Stéphane Mallarmé

[6] La chevelure, de Charles Baudelaire

[7] L’azur, de Stéphane Mallarmé

[8] Remords posthume, de Charles Baudelaire

[9] Les fenêtres, de Stéphane Mallarmé

[10] Avec ses vêtements ondoyants et nacrés, de Charles Baudelaire

[11] Angloisse, de Stéphane Mallarmé

[12] Les chats, de Charles Baudelaire

[13] Les fenêtres, de Stéphane Mallarmé

[14] Semper eadem, de Charles Baudelaire

[15] Le Guignon, de Stéphane Mallarmé

[16] Bénédiction, de Charles Baudelaire

[17] Le Tombeau de Charles Baudelaire, de Stéphane Mallarmé

[18] La beauté, de Charles Baudelaire

[19] Tristesse d’été, de Stéphane Mallarmé

[20] J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans, de Charles Baudelaire

[21] Les fleurs, de Stéphane Mallarmé

[22] Correspondances, de Charles Baudelaire

[23] Sonnet de Paphos, de Stéphane Mallarmé

[24] La chevelure, de Charles Baudelaire

[25] Le Guignon, de Stéphane Mallarmé

[26] Bénédiction, de Charles Baudelaire

[27] Le tembeau d’Edgar Poe, de Stéphane Mallarmé

[28] L’ennemi, de Charles Baudelaire

coda 46 Qui sait ce que je fuis? Qui sait ce que je traîne?

Jacques BensL’art de la fuite

XVII

Qui sait ce que je fuis? Qui sait ce que je traîne?
En ces villes de rien, je n’ai vu de sirène
Qu’aux marches des palais de marbre ou de granit.

Plus que l’éloignement, la solitude est chère.

On a, pour les calmer, l’opium et l’aconit,
Complices pour traquer l’hypocrite migraine,
Ou le vieux transistor, car la musique est reine
Quand le mal du pays s’apaise et sic transit .

Avec l’éloignement, la nostalgie est chère.

Revit le souvenir des aurores légères
Et des soirs étouffants qui sentent le fagot.
C’est ainsi qu’au retour des villes étrangères
Les ptits aventuriers marient des boulangères,
Dédaignant le veau gras au grand dam des bigots.

coda 45 Tel l’enchevêtrement d’herbe verte recense

un oulipien

Thème de Déméter

sonnet jouetien en ‘revenentes’

Tel l’enchevêtrement d’herbe verte recense
Belles tresses le blé, greffe de temps clément,
De vents prestes versé, s’égrène lentement,
Sphère de centre net, perle, gemme, semence.
L’encre sèche de sel entre grèves dépense
De cette blême mer les germes tellement
De tertres détrempés, jette le tremblement
Des spermes empressés, rêves en déshérence.
Terre! mer! terre! mer! ferme sceptre d’été!
Déesse lève-le, presse le vert Léthé,
Entre ses berges mets ta tempête fervente!
Enfle ce ventre, leste, pénètre, retend
Le texte recréé des Genèses; et rend
Cette règle secrète extrêmement présente.

coda 44 L’âge de celle-ci veille sur notre rive,

Jacques Jouet

*

Brève, commence là cette cadence, suive
la forme fixe qui sonne comme ‘ce n’est’,
où, même vaguement, elle-même, son nez,
riment. Je cherche ferme une contrainte vive.

L’âge de celle-ci veille sur notre rive,
de longue date, mais cette forme sonnet
demande crânement une norme qui n’ait
nulle fortuite cause. Une pareille clive,

scinde le texte lu: quatre coupes deux fois;
douze syllabes; trois coupes viennent (les lois
quarte, tierce, doublées). Parement? lourde chaîne?

lettres muettes, tous les e tintent, maintenus.
Quatre comptent par vers en places prévenus.
Trame, trace, le chant tisse de haute laine.

coda 43 Même si j’aime mieux Rose que Roseline,

Jacques Jouet

*

Même si j’aime mieux Rose que Roseline,
Simone sourde que Geneviève trop loin,
l’absente Berthe rend Madeleine bien moins
nettement rejetée, pâle de mousseline.

Jupe de tulle blanc, manches de zibeline,
Germaine m’aime plus qu’Eve, qu’Anne. Les soins,
la prévenance bue, elle serre les poings,
range son paletot, quitte sa pèlerine.

Cette gracieuseté des dames devenant
sages, est-elle bien crédible jurement
qu’une sorte de fin porte pâle le pire?

Le rêve passe trop par l’ogre ramené,
songe d’âme perdue, ange, goule, vampire.
est-elle perle rare, ivresse d’homme né?

coda 42 Le bonhomme est assis au milieu du monde

François Caradec

Hommage au système décimal

Le bonhomme est assis au milieu du monde
c’est un champ labouré pas tout à fait carré
on aperçoit aux quatre coins cardinaux
les petites barrières blanches de l’horizon.

Il s’est levé il tend les bras
il trace autour de lui avec des gestes
les vingt-quatre angles droits de rigueur
qui tremblent coagulés dans l’air comme de la gélatine.

mais le bonhomme est tout de même inquiet car il sait
qu’une seule minute d’inattention
ferait crouler les six faces du miroir.

Il suffit même qu’il ait songé bêtement
A faire entrer ce cube de lumière
dans la tirelire en zinc du système décimal.